Il ne lui restait plus que 3 jours à vivre… son dernier souhait était de rencontrer une mendiante avec un bébé.

La pluie tombait doucement sur les vitres de la grande maison de retraite perchée sur une colline de Lyon. À l’intérieur, dans une chambre sobre mais chaleureuse, un vieil homme aux cheveux argentés regardait fixement le plafond, les yeux baignés de mélancolie. Il s’appelait Victor Lemoine. Âgé de 82 ans, ancien chef d’entreprise à succès, il avait connu la gloire, la richesse, les dîners avec des ministres… mais jamais l’amour.

Son médecin venait de lui annoncer que son cœur ne tiendrait plus que trois jours. Pas plus. Une insuffisance cardiaque terminale. Le genre de nouvelles qui glace l’âme, même quand on croit être préparé.

Mais Victor ne réagit pas avec colère ni peur. Il hocha doucement la tête, demanda qu’on ferme les rideaux, puis murmura :

— Il est temps.

Ce que personne ne savait, c’est qu’il avait une dernière volonté. Non, il ne voulait pas revoir son manoir, ni ses voitures de luxe. Il ne voulait pas être entouré de notaires ou de journalistes. Il avait un seul souhait, simple mais étrange : rencontrer une mendiante… avec un bébé.

Pourquoi ? Cela, lui seul le savait.

Le lendemain matin, il fit appeler Alice, une infirmière douce au regard bienveillant, qu’il appréciait beaucoup.

— Alice… peux-tu m’aider à accomplir quelque chose d’important ? demanda-t-il d’une voix rauque.

— Tout ce que vous voulez, Monsieur Lemoine, répondit-elle sans hésiter.

Il lui confia alors son vœu. Elle eut d’abord un sursaut de surprise, pensant à une lubie d’un mourant. Mais en croisant ses yeux, elle comprit qu’il s’agissait de quelque chose de profondément sérieux.

— Trouvez-moi une mendiante avec un bébé, à Lyon. Demandez aux associations, parlez aux bénévoles, cherchez dans les gares, dans les rues. Il faut que je la voie. Avant de mourir.

Alice promit. Elle passa la journée à mobiliser ses contacts. La Croix-Rouge. Les Restos du Cœur. Les maraudes nocturnes. Elle expliqua la situation. La plupart hésitèrent, certains acceptèrent. Finalement, au deuxième jour, elle eut un nom. Une jeune femme : Samira.

Samira avait 25 ans. Elle errait dans les rues de Lyon avec sa petite fille, Nour, âgée de six mois. Son compagnon l’avait abandonnée lorsqu’elle était enceinte. Elle avait fui un père violent, avait dormi sous des ponts, mangé des restes, essuyé des insultes. Mais elle n’avait jamais abandonné son bébé.

Quand on lui proposa de rencontrer un vieil homme mourant, elle hésita. Elle se méfiait. Mais lorsqu’elle comprit qu’il ne s’agissait pas d’une farce ni d’un piège, elle accepta. La promesse d’un lit chaud pour une nuit, d’un repas, et d’une étrange curiosité…

Victor attendait, assis dans son fauteuil près de la fenêtre. Le crépuscule teintait le ciel d’orange et de pourpre. Quand Alice frappa à la porte, le cœur du vieil homme s’accéléra.

— Elle est là, dit-elle doucement.

Samira entra, portant Nour contre sa poitrine, emmitouflée dans une couverture usée. Ses yeux scrutaient la pièce avec prudence. Victor la regarda longuement. Un silence pesant s’installa. Puis il murmura, ému :

— C’est elle… C’est exactement elle.

Samira fronça les sourcils.

— Vous m’attendiez ? demanda-t-elle.

Il hocha la tête. Puis, d’une voix brisée :

— Il y a soixante ans… j’ai abandonné une jeune femme. Elle s’appelait Lina. Elle portait mon enfant. Elle m’a supplié de rester. Mais j’ai choisi ma carrière. Je l’ai laissée dans une rue, enceinte, sans rien.

Samira sentit son cœur se serrer.

— Je l’ai cherchée, des années plus tard. Elle était morte d’une maladie. Seule. Mon enfant, je ne l’ai jamais connu. Je ne sais pas si c’était un garçon ou une fille. Mais depuis ce jour… je n’ai jamais cessé d’y penser. J’ai bâti un empire pour fuir ma culpabilité. Aujourd’hui… je voulais au moins demander pardon. À quelqu’un qui lui ressemble. À une femme que la société abandonne, comme je l’ai fait avec elle.

Les larmes coulèrent le long de ses joues ridées.

Samira resta silencieuse. Puis elle s’assit. Déposa Nour sur ses genoux.

— Elle s’appelle Nour. Cela veut dire “lumière”.

Victor tendit une main tremblante vers le bébé. Ses doigts effleurèrent sa joue.

— Elle est magnifique… Elle a des yeux d’étoiles.

Puis il tourna son regard vers Samira :

— Tu as une force que je n’ai jamais eue. Tu es ce que j’aurais voulu être pour Lina.

Samira sentit un nœud se défaire dans sa poitrine. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle croyait cet homme.

Ils restèrent là, des heures. Victor raconta sa vie, ses regrets, ses rêves brisés. Samira raconta les nuits froides, les refus, les humiliations, mais aussi l’amour inconditionnel qu’elle portait à sa fille.

À l’aube du troisième jour, Victor appela Alice.

— Je veux changer mon testament, dit-il.

Il demanda à ce que Samira et Nour reçoivent tout. Son appartement, son compte en banque, son assurance vie. Tout.

Alice, bouleversée, exécuta ses volontés. Un notaire fut appelé d’urgence.

— C’est une manière de racheter ce que j’ai fait, murmura-t-il. Même si ce n’est jamais assez.

Le troisième soir, Victor demanda à revoir Nour une dernière fois. Il la tint dans ses bras pendant de longues minutes. Puis il ferma les yeux.

— Merci… de m’avoir pardonné, même en silence.

Il s’éteignit paisiblement, un sourire sur les lèvres.

Six mois plus tard, Samira vivait dans un petit appartement en banlieue lyonnaise. Elle suivait une formation pour devenir auxiliaire de puériculture. Nour grandissait, entourée d’amour. Sur le mur du salon, une photo en noir et blanc montrait un vieil homme aux cheveux blancs, tenant un bébé contre lui, le regard plein de tendresse.

Chaque soir, Samira lui adressait un mot silencieux.

— Tu n’étais pas mon père… mais tu m’as offert une seconde vie.

Et parfois, dans les yeux de Nour, elle croyait voir un reflet du vieux Victor, comme une lumière discrète, douce… et éternelle.