Giulia Salvatori : un combat d’amour face à l’oubli d’Annie GirardotAnnie Girardot : ses plus belles photos | Vogue France

Dans le tumulte d’une maladie qui efface les souvenirs, il reste parfois l’essentiel : l’amour. Giulia Salvatori, fille unique d’Annie Girardot, a livré un témoignage bouleversant et lumineux sur les dernières années de vie de sa mère, emportée par la maladie d’Alzheimer. Dans un récit empreint de pudeur et de tendresse, elle retrace un chemin de douleur, de résilience, mais surtout de fidélité à l’amour d’une fille pour sa mère, une actrice qui fut l’une des plus grandes icônes du cinéma français.

Le lent naufrage d’une étoile

Annie Girardot, visage incontournable du cinéma des années 70, s’est progressivement effacée dans les sables mouvants de la maladie d’Alzheimer. En 2007, invitée sur le plateau de Vie privée, vie publique de Mireille Dumas, sa fille Giulia confiait déjà, la voix tremblante d’émotion, les premiers signes inquiétants et le refus instinctif d’accepter ce qui s’annonçait.

Dans son livre La mémoire de ma mère, publié chez Michel Lafon, elle raconte ce moment de bascule, cette période où les symptômes s’installent sournoisement, insidieusement. “Je ne voulais pas mettre de mot sur les symptômes de la maladie”, écrit-elle. Une résistance de l’âme autant que du cœur, car reconnaître la maladie, c’était commencer à faire le deuil d’une mère encore vivante.

Le premier diagnostic est tombé, brutal. Mais Giulia, incapable d’y croire, demanda un second avis deux ans plus tard. Malgré les preuves, elle luttait contre l’évidence. Car Alzheimer ne tue pas tout de suite : il éloigne, il efface, il transforme l’autre en étranger. “Ce qui faisait le plus mal, c’est que ta mère parfois elle perde les souvenirs qu’on a eus. C’est ça le plus douloureux.”Annie Girardot, retour sur une carrière en vidéo

Choisir de rester

Face à ce délitement progressif, beaucoup auraient fui. Mais Giulia, elle, est restée. Présente, constante, aimante. Elle a fait le choix du cœur. “Moi je lui ai dit : ‘Tu sais maman, on va lutter, c’est là et puis je suis là, je t’aime.’” Un engagement sans faille, une promesse silencieuse.

Son livre n’est pas un récit médical, ni un journal clinique. C’est un hommage vibrant, un témoignage d’amour et de respect pour celle qui, longtemps, a fait vibrer les salles obscures. En accompagnant sa mère jusqu’au bout, Giulia voulait refuser qu’elle sombre seule dans l’oubli, qu’elle disparaisse dans l’indifférence.

Un nouveau monde

Annie Girardot fut placée dans une maison spécialisée. Puis, en 2008, Giulia prit une décision symboliquement forte : transférer sa mère dans le même établissement que son frère Jean, lui aussi malade. Leurs chambres se faisaient face. Une fraternité reconstruite, une forme de veille affective. Jean surveillait Annie, la protégeait à sa manière, et ensemble, parfois, ils évoquaient leur mère, Magi, comme pour ancrer encore un peu de mémoire dans les replis de l’oubli.

Giulia, elle, venait trois fois par semaine. Elle observait sa mère perdre peu à peu son identité. “Maman ne se souvenait pas qu’elle avait été actrice.” Seul le nom de Claude Lelouch pouvait encore raviver une lueur dans ses yeux. Le reste – les rôles, les tapis rouges, les triomphes – s’évanouissait comme un vieux film trop longtemps oublié.

“La seule chose à faire est de s’adapter à leur monde”, expliquait-elle. “Essayer d’y entrer pour communiquer.” Une phrase simple, mais pleine de sagesse. Dans cette démarche, Giulia ne cherchait plus à ramener sa mère dans la réalité, mais à la rejoindre dans son univers. Un acte d’humilité et d’amour pur.Giulia Salvatori : “Annie Girardot, ma mère...mon enfant”

Une fin paisible

Le 28 février 2011, Annie Girardot s’éteignait doucement, entourée de sa fille Giulia et de sa petite-fille Lola. Une scène empreinte de tendresse et de sérénité. “Ça s’est passé superbement bien. Elle a fermé les yeux, elle nous a dit ‘au revoir’ et elle est partie paisiblement.”

Dans ces derniers instants, il n’y avait plus de maladie, plus d’oubli. Seulement trois générations de femmes réunies, dans un ultime adieu. Giulia, malgré la douleur, exprimait une forme de paix : “C’est la plus belle chose qui pouvait lui arriver… Je me sens sereine parce qu’elle ne souffre plus.”

Les obsèques, célébrées à l’église Saint-Roch à Paris le 4 mars 2011, furent sobres mais émouvantes. Alain Delon lut un poème. Jean-Paul Belmondo était présent. Le monde du cinéma, dans une belle solidarité, lui rendait hommage. Une reconnaissance tardive, peut-être, pour une femme dont la carrière avait connu des hauts vertigineux mais aussi une longue traversée du désert.

Le dernier mot : la pudeur

Malgré l’émotion médiatique, Giulia et les siens demandaient une chose : le respect. “Si vous avez aimé maman, surtout, il faut lui foutre la paix, garder d’elle une belle image.” Un rappel fort, presque cinglant, mais empreint de dignité. Annie Girardot ne devait pas être réduite à sa maladie.

Elle fut actrice, mère, sœur, femme libre. Elle fut aimée, admirée, puis oubliée… mais dans le cœur de Giulia, elle restera éternelle. Ce récit n’est pas une plainte, mais un chant d’amour. Une main tendue vers tous ceux qui, confrontés à la même maladie, cherchent du courage dans l’épreuve.

Giulia Salvatori ne s’est pas contentée de raconter la fin. Elle a su transmettre l’essence d’un lien, d’un amour qui, lui, n’a jamais disparu. Et si Alzheimer vole les souvenirs, il ne pourra jamais effacer ce qui est gravé dans le cœur.

Photo : Annie Girardot avec sa petite-fille Lola et sa fille Giulia venues  rendre visite à Alain Delon dans sa loge en 1997 - Purepeople