Le deuil est une épreuve universelle, mais il revêt parfois une amertume particulière lorsque ceux que l’on pleure semblent être oubliés par ceux à qui ils ont tant donné. C’est le sentiment qui habite aujourd’hui Jacob Bourguignon, fils de l’actrice Anémone, disparue en avril 2019, figure majeure du cinéma et du théâtre français. Dans une interview récente, Jacob revient avec émotion et franchise sur les obsèques de sa mère et sur le manque de reconnaissance qui les a entourées, malgré la place importante qu’elle occupait dans le paysage artistique français.

Pour le grand public, Anémone est indissociable de rôles cultes, comme celui de Thérèse dans Le Père Noël est une ordure, ou encore celui, plus grave et émouvant, dans Le Grand Chemin. Elle était une actrice aux multiples facettes, capable d’alterner les rôles comiques et dramatiques avec une justesse rare, une intensité brute qui ne laissait personne indifférent. Pourtant, derrière la comédienne célèbre, il y avait une femme complexe, passionnée, entière — et parfois difficile à suivre, même pour ses proches.

C’est cette complexité que Jacob Bourguignon tente de faire comprendre aujourd’hui. Il décrit une mère profondément humaine, honnête jusqu’au bout des ongles, mais dont la franchise et les convictions fortes ont pu déranger dans un milieu où les compromis sont parfois la norme. « Ma mère avait un caractère fort, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds et elle n’avait pas peur de dire ce qu’elle pensait, même si cela pouvait déranger », confie-t-il avec une sincérité désarmante.

Ce qui le blesse aujourd’hui, plus encore que la perte elle-même, c’est l’indifférence du monde artistique lors des obsèques d’Anémone, célébrées à Poitiers. Peu de figures du cinéma ou du théâtre se sont déplacées pour lui rendre hommage.

Jacob le dit sans détour : « Ce qui m’a attristé, c’est de voir à quel point elle a été ignorée par ce métier qu’elle a pourtant servi avec passion. » Il comprend que la distance ou l’organisation ait pu dissuader certains, mais au fond de lui, il ressent cela comme un refus d’honorer la mémoire d’une femme qui, malgré ses aspérités, a marqué durablement la culture française.

Cette absence massive a laissé un goût amer. « Elle a donné tellement de sa vie à ce métier, et pourtant, le jour où elle est partie, c’était comme si elle n’avait jamais existé », déclare-t-il avec une émotion palpable.

Ce silence collectif lui apparaît comme une injustice : pas qu’Anémone ait attendu des hommages solennels ou des couronnes de fleurs, elle aurait sans doute rejeté tout ce qui aurait pu sembler excessif ou hypocrite. Mais un simple geste, une présence discrète, un mot sincère, aurait suffi à rétablir une forme de respect pour sa carrière, pour son engagement, pour sa personne.

Jacob évoque également les tensions qui ont pu exister entre sa mère et certains membres de la troupe du Splendid, avec lesquels elle avait pourtant connu un immense succès populaire. Si Anémone a participé à l’aventure collective, elle s’en était progressivement éloignée, notamment à cause de désaccords financiers ou de divergences artistiques. « Ma mère n’était pas du genre à mâcher ses mots », explique Jacob.

Elle ne supportait ni l’injustice, ni la compromission. Ce qui aurait pu passer pour de la froideur était en réalité une forme de loyauté envers elle-même. Elle ne trichait pas, et c’est peut-être ce qui l’a rendue impopulaire dans certains cercles.

Mais cette marginalisation, aussi réelle soit-elle, n’efface en rien la contribution majeure d’Anémone à la scène artistique française. Actrice engagée, militante écologiste, femme de convictions, elle a toujours fait passer ses idées avant sa carrière, refusant parfois des rôles lucratifs pour rester fidèle à ses valeurs. Cette intégrité, bien que coûteuse, a fait d’elle une figure respectée par un public fidèle, même si elle a souvent été mal comprise par ses pairs.

Jacob préfère néanmoins ne pas s’attarder sur l’amertume. Il choisit de se souvenir de sa mère pour ce qu’elle était au fond : une femme aimante, généreuse, et d’une rare intensité émotionnelle. « Elle n’était pas parfaite, mais elle était vraie. Et c’est ce que je retiens », dit-il avec pudeur. Il espère que malgré l’absence de reconnaissance institutionnelle, le public continuera à apprécier le travail de sa mère, à se souvenir de ses rôles, de ses prises de position, et de la femme unique qu’elle était.

Ce témoignage fort nous rappelle que les artistes sont aussi des êtres humains, avec leurs forces et leurs failles, leurs combats et leurs blessures. Trop souvent, la mémoire collective est sélective, préférant célébrer ceux qui se sont pliés aux règles du jeu médiatique plutôt que ceux qui ont osé les remettre en question. Anémone faisait partie de cette seconde catégorie : franche, sans filtre, dérangeante parfois, mais profondément honnête et talentueuse.

La parole de Jacob Bourguignon est précieuse. Elle rétablit une vérité humaine derrière la figure publique. Elle souligne aussi l’importance de ne pas oublier ceux qui nous ont tant donné, même si leur personnalité ne cadrait pas avec les normes du milieu. Elle pose une question fondamentale : pourquoi certains artistes, malgré leur immense contribution, sont-ils si vite relégués au silence ? La réponse n’est pas simple, mais elle mérite d’être posée.

En définitive, pour Jacob, Anémone restera avant tout une mère, avec ses éclats, ses silences, ses colères, mais aussi avec son amour inconditionnel et sa force de caractère. Et pour tous ceux qui l’ont admirée, elle restera une actrice inoubliable, capable de faire rire comme de faire pleurer, toujours avec la même intensité. Elle méritait mieux que l’indifférence. Elle méritait la reconnaissance due aux grandes artistes.