Michel Constantin : L’Ascension Inattendue et la Fin Douloureuse d’un Géant du Cinéma Français.

Michel Constantin : L’Ascension Inattendue et la Fin Douloureuse d’un Géant du Cinéma Français

Le cinéma français a été le théâtre de nombreuses légendes, des figures dont le charisme et le talent ont traversé les générations, marquant à jamais l’imaginaire collectif. Parmi elles, Michel Constantin occupe une place singulière. Avec son allure de colosse au cœur tendre et son visage taillé à la serpe, il a su s’imposer comme un second rôle incontournable, puis comme une tête d’affiche, dans un registre souvent teinté de virilité et de droiture. Pourtant, derrière l’image de l’homme fort se cachait un destin riche en rebondissements, une carrière construite loin des sentiers battus, et une fin d’une tristesse poignante, reflétant la solitude que nul ne souhaite affronter.

Des Racines Russes et Polonaises à Boulogne-Billancourt

L’histoire de Michel Constantin, de son vrai nom Constantin Hokloff, commence bien loin des plateaux de cinéma, et même de la France. Ses parents, un officier de l’armée russe et une femme d’origine polonaise, ont fui la Russie pour immigrer en France en 1919. Ils s’installent à Paris, où, cinq ans plus tard, le 13 juillet 1924, le jeune Constantin voit le jour. Ses premiers pas se déroulent dans un appartement du 15ème arrondissement avant que la famille ne déménage à Boulogne-Billancourt, une ville qui deviendra le berceau de son enfance et de ses premières passions.

Constantin grandit rapidement, atteignant une stature impressionnante d’un mètre quatre-vingt-cinq. Le sport devient sa véritable échappatoire et son terrain d’expression privilégié. Il se passionne pour le volley-ball, une discipline dans laquelle il excelle. Mais la vie n’est pas qu’un jeu. À l’âge de 15 ans, la Seconde Guerre mondiale éclate, bouleversant le cours des choses. À peine sorti de l’école, il est contraint de travailler à l’usine Renault, près de chez lui. Loin d’être abattu, cette expérience lui forge un esprit d’entreprise. Il parvient à économiser de l’argent et, à la fin du conflit, il crée sa propre petite usine de fabrication d’aiguilles pour machines à tricoter.

Malgré cette incursion dans le monde industriel, le volley-ball reste une constante. À 24 ans, il s’inscrit au club olympique de la ville, où il s’illustre, disputant de nombreux matchs et menant son équipe aux championnats de France, qu’il remporte deux fois consécutivement en 1954 et 1955. C’est sur les terrains qu’il fait une rencontre décisive : Jean Becker, un jeune volleyeur avec qui il noue rapidement une solide amitié. Une amitié qui allait, sans qu’il le sache encore, ouvrir les portes d’un tout autre univers.

Le Volley-ball, un Tremplin Inattendu vers les Projecteurs

Professionnellement, Constantin cherche encore sa voie. Grâce à ses contacts dans le milieu sportif, il est engagé comme pigiste au journal “L’Équipe”. Une expérience enrichissante, certes, mais au fond de lui, une autre envie grandit, plus inattendue : celle de jouer la comédie. Il s’amuse parfois à interpréter des scènes de théâtre pour ses amis, une passion naissante qu’il n’ose pas encore totalement embrasser.

Le destin, cependant, a ses propres plans. En 1956, il apprend que Marc Allégret recherche des figurants pour un film intitulé “En effeuillant la marguerite”. Il est engagé et fait une brève apparition à l’écran, une première incursion discrète dans le monde du cinéma. Cette même année, alors qu’il passe des vacances sur la presqu’île de Giens, il rencontre Maud, une jeune femme qui deviendra l’amour de sa vie. C’est le coup de foudre, et tout va très vite. Ils se marient le 13 juillet de l’année suivante, jour de l’anniversaire de Constantin.

Sa vie personnelle est comblée, mais l’idée de devenir acteur le taraude toujours. Le tournant majeur survient en 1959. Son ami Jean Becker l’appelle pour lui proposer un rôle dans un film que son père, le célèbre Jacques Becker, est en train de réaliser. Il s’agit d’incarner un détenu cherchant à s’évader. Constantin passe le casting et est retenu. Le film, “Le Trou”, remporte un franc succès. À 35 ans, Constantin prend une décision radicale : il veut faire de la comédie son métier. C’est à ce moment qu’il choisit son nom de scène, celui sous lequel la France entière le connaîtra : Michel Constantin.

L’Émergence d’une Figure Incontournable du Cinéma Policier

Dès le début des années 1960, Michel Constantin enchaîne les castings. Sa carrure de sportif, son visage carré et ses traits marqués en font un candidat idéal pour les rôles de “gueules”, des personnages souvent associés à l’univers du polar et des films d’action. Il décroche ainsi des petits rôles de gangster, affinant son jeu et se forgeant une réputation.

L’année 1962 est marquée par une immense joie personnelle : sa femme Maud met au monde leur fille, Sophie. Fou de sa fille, Constantin est d’autant plus motivé à réussir sa carrière pour elle. Et la consécration ne tarde pas. En 1965, il décroche un rôle majeur aux côtés de géants comme Bourvil et Lino Ventura dans le film culte “Les Grandes Gueules”. Le succès est colossal, avec 3,6 millions d’entrées en France. Ce film est un véritable coup d’accélérateur pour sa carrière, le propulsant au rang de star montante.

L’année suivante, il retrouve Lino Ventura dans “Ne nous fâchons pas”, puis enchaîne avec le tournage du “Second Souffle”. Ces deux films confirment son talent et sa place dans la grande famille du cinéma français. Michel Constantin devient une figure incontournable, une présence rassurante et charismatique, capable d’incarner des personnages complexes, souvent intègres mais parfois aux prises avec les marges de la société. Dans les années qui suivent, il continue de tourner dans des films à succès, s’essayant même au cinéma d’auteur, prouvant la diversité de son talent.

Des Succès et des Doutes : La Carrière en Dent de Scie

Son ascension se poursuit jusqu’au début des années 1970, où il décroche le premier rôle dans “Il était une fois un flic”. Il donne ensuite la réplique à des monstres sacrés comme Jean-Paul Belmondo et Claudia Cardinale dans “La Scoumoune”. Mais le public commence à se lasser du cinéma policier, et sa carrière au cinéma ralentit. Fidèle à sa ténacité, il tente sa chance auprès du cinéma italien, mais le succès n’est pas au rendez-vous.

Heureusement, le début des années 1980 marque un renouveau. Il est contacté par Jean-Claude Missiaen qui le fait jouer dans “Tir groupé”, puis par Jean Yanne pour “Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ”. Enfin, Henri Verneuil le dirige dans “Les Morfalous” aux côtés de Jean-Paul Belmondo. Constantin est ravi de retrouver le chemin du succès et les grands plateaux.

Malheureusement, cette période de joie est de courte durée. En vieillissant, les propositions de rôles au cinéma se raréfient. Michel Constantin, jamais à court de ressources, se tourne alors vers la télévision. Il anime le jeu “Anagramme” pendant six mois, une expérience qui, bien que ne lui convenant pas entièrement, témoigne de sa polyvalence. Il accepte ensuite des rôles dans des téléfilms et des séries télévisées, apparaissant dans “Marc et Sophie” ou encore dans la série franco-italienne “Le Professeur”, où il partage l’écran avec Bud Spencer. Il tiendra même le rôle principal de la série “Papa Razzi” pendant près de trois ans. En 1991, il fait sa dernière apparition au cinéma dans “Les villes à vendre” de Jean-Pierre Mocky.

La Solitude Post-Cinéma et la Fin Tragique

Après une carrière riche et mouvementée, Michel Constantin se retire dans sa villa de Sainte-Maxime, sur la Côte d’Azur. Il coule des jours paisibles avec Maud, son épouse et son roc, retrouvant plusieurs fois par semaine ses amis au club de bridge pour de longues parties de cartes. Le bonheur semble enfin stable et durable.

Mais le destin, encore une fois, frappe de plein fouet. En 1996, Maud tombe gravement malade. Michel, dévoué, la soigne et reste à son chevet nuit et jour. Malgré tous ses efforts, Maud perd son combat et décède. Constantin se retrouve alors seul, un vide immense se creusant dans sa vie. Il se sent de plus en plus fatigué, le chagrin et la solitude pesant lourdement sur ses épaules.

Sept ans plus tard, l’été 2003 se transforme en fournaise. Les températures caniculaires écrasent la France, et les nuits restent brûlantes. Fragilisé et souffrant de problèmes de déshydratation, Michel Constantin, âgé de 79 ans, est seul chez lui le 28 août. Assis dans son fauteuil, il ressent soudain une violente douleur dans sa poitrine. Il est transporté d’urgence à l’hôpital de Draguignan, mais il meurt quelques jours plus tard. Il est parti rejoindre Maud, son amour éternel. Ses cendres seront dispersées sur la plage où ils s’étaient rencontrés, un geste symbolique pour un amour qui avait transcendé l’écran et les épreuves.

Durant sa vie, Michel Constantin aura tourné dans plus de soixante-quatre films, donnant la réplique aux plus grands acteurs de son époque. Le cinéma français pleure ce grand acteur, ce “gueule” au grand cœur qui a su faire vibrer, rire et pleurer la France tout au long de sa carrière. Son parcours, fait d’une reconversion inattendue, de succès éclatants et d’une fin marquée par la solitude et le chagrin, reste le témoignage d’une vie extraordinaire, celle d’un homme qui, au-delà de ses rôles, a su toucher le cœur de millions de spectateurs.