Giorgia Meloni, trois ans de pouvoir : la prudence comme stratégie de survie

Italie : Et si le secret de Giorgia Meloni, après trois ans au pouvoir, était  tout simplement de « n'avoir rien fait » ?

Trois ans déjà. Ce 22 octobre 2025, Giorgia Meloni souffle les bougies de sa troisième année à la tête du gouvernement italien. Une longévité rare dans un pays où les exécutifs tombent souvent plus vite qu’ils ne se forment. Depuis Silvio Berlusconi, aucun président du Conseil n’avait tenu aussi longtemps. Et pour beaucoup d’observateurs, si la cheffe du parti post-fasciste Fratelli d’Italia reste solidement installée au Palazzo Chigi, c’est justement parce qu’elle a su… ne pas trop bouger.

De la rupture annoncée à la continuité assumée

À son arrivée au pouvoir, Giorgia Meloni promettait un tournant historique : rupture avec Bruxelles, défense d’une identité nationale menacée, « Italie d’abord ». Trois ans plus tard, c’est une tout autre histoire. Celle d’une dirigeante passée de la défiance à la collaboration, d’une eurosceptique convaincue à une partenaire fiable de l’Union européenne.

« On a assisté à un revirement spectaculaire, résume Paolo Levi, journaliste à La Stampa. Elle a eu l’intelligence de faire exactement l’inverse de ce qu’elle avait promis en campagne. »
Et le paradoxe, c’est que cette volte-face lui réussit.

Celle que ses adversaires voyaient en héritière du néofascisme s’est muée en dirigeante « pragmatique », « humble », presque technocratique. « C’est Mario Draghi avec une perruque blonde », ironise le journaliste. En soutenant l’Ukraine et en s’alignant sur l’Otan, Meloni a rassuré Bruxelles et les marchés, tout en désamorçant les inquiétudes sur une possible dérive autoritaire.

La stabilité comme marque de fabrique

L’Italie sortait de quinze années de turbulences. Meloni l’a compris : ce dont le pays avait besoin, c’était de continuité. Elle a donc choisi de prolonger les politiques de son prédécesseur Mario Draghi, pourtant honni lors de la campagne. Dès son arrivée, elle reconnaît que les 200 milliards d’euros du plan de relance européen étaient « absolument indispensables ».

« Il n’y a pas eu de rupture avec le gouvernement précédent, constate Jean-Pierre Darnis, professeur à l’Université Côte d’Azur et à Rome. Sa réussite, c’est d’avoir su gérer les équilibres. »

Meloni n’a remis en cause ni les réformes impopulaires sur les retraites ni la rigueur budgétaire imposée depuis 2011. Elle a poursuivi le travail entrepris avant elle, tout en récoltant les fruits de dix ans d’efforts économiques. La Bourse italienne a doublé de valeur, le chômage est passé de 7,8 % à 6 %, et le déficit public devrait bientôt repasser sous la barre des 3 %.

Mais pour Paolo Levi, la réussite est trompeuse : « Ce n’est pas grâce à elle. Elle profite des mesures douloureuses prises par les gouvernements précédents. Elle, elle n’a quasiment rien fait. »

Un pouvoir sans secousses, sans vision

Cette stratégie de prudence a valu à Meloni une popularité stable : autour de 30 % dans les sondages, un record pour une cheffe de gouvernement italienne. Mais à quel prix ?

« Elle a validé de facto tous les choix de Draghi, analyse l’économiste Francesco Saraceno (OFCE). Résultat : une politique plate, sans secousse. »
Loin des réformes promises, le gouvernement Meloni se distingue surtout par son immobilisme.

Saraceno déplore l’absence de cap clair : ni stratégie d’investissement public ou privé, ni vision pour la transition écologique ou l’innovation. Certes, la note financière de l’Italie a été relevée par les agences de notation et le pays inspire davantage confiance aux marchés. Mais, avertit-il, « on va payer cher le prix de cette réussite. Quand l’impulsion du plan européen sera terminée, il ne restera rien. »

Même constat du côté de la démographie, de la croissance ou de l’emploi : les grands chantiers italiens restent sans réponse. « Elle ne résout aucun des problèmes du pays, estime l’économiste. En trois ans, elle n’a même pas commencé à proposer des solutions. On ne sait pas où elle veut aller. »

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Le fiasco albanais

Le seul véritable projet d’envergure tenté par Meloni restera sans doute son plus grand échec : l’externalisation du droit d’asile en Albanie.
Le plan, qui prévoyait d’y transférer des migrants secourus en mer Méditerranée, s’est révélé juridiquement bancal et politiquement coûteux. « C’est son flop total, analyse Beniamino Morante, journaliste à Courrier International. Des centres ont été construits, cela a coûté très cher, mais personne n’y a jamais été envoyé. La justice européenne a retoqué le projet. C’était presque amateur. »

Même sur l’immigration – le thème identitaire qui a fait sa carrière –, Meloni a dû composer avec la réalité : elle a récemment ouvert la porte à 500 000 travailleurs étrangers pour pallier la pénurie de main-d’œuvre et la crise démographique. Un virage à 180 degrés pour celle qui, hier encore, promettait de « fermer les frontières ».

Une droite recentrée et une gauche en panne

Ce paradoxe politique semble pourtant lui réussir. Trois ans après son arrivée, Fratelli d’Italia tutoie toujours les 30 % d’intentions de vote. « Les attentes étaient si basses qu’elle profite simplement du fait de ne pas faire de catastrophes, » sourit Beniamino Morante.

Meloni séduit par sa simplicité, son ton direct, son image de “mère italienne” proche du peuple. Sans susciter l’enthousiasme, elle inspire confiance : une qualité rare dans la politique italienne.

« Contrairement à la Hongrie d’Orban, l’Italie n’a pas vu son État de droit attaqué, observe Paolo Levi. En trois ans, Meloni s’est repositionnée jusqu’à devenir une sorte de démocrate chrétienne. Elle garde peu de son héritage d’extrême droite. »

La comparaison avec Berlusconi s’impose : comme lui, elle a su incarner une identité de droite tout en recentrant son discours. Et après la mort du Cavaliere, elle a hérité de son électorat, de son aura et, surtout, de sa fonction : être le visage d’une droite italienne capable de durer.

La stabilité comme réussite politique

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Sa longévité, plus que ses réformes, constitue donc sa victoire. Dans un pays où la durée moyenne d’un gouvernement n’atteint pas deux ans, tenir trois ans sans scandale majeur relève de l’exploit.

« Elle a fait de la stabilité une stratégie de pouvoir, souligne Jean-Pierre Darnis. En n’en faisant pas trop, elle a rassuré Bruxelles, les marchés, et même une partie de l’opinion. »

Reste à savoir si cette recette tiendra jusqu’en 2027. Pour l’heure, les analystes jugent ses chances élevées : la gauche italienne demeure divisée et incapable d’incarner une alternative crédible.

Mais cette stabilité pourrait aussi devenir son piège. Car derrière le calme apparent, l’Italie continue de stagner : faible croissance, fuite des jeunes talents, natalité en berne. « Elle a maintenu l’équilibre, conclut Francesco Saraceno, mais sans donner de direction. Le jour où la conjoncture changera, son absence de vision pourrait se retourner contre elle. »

Trois ans après son accession au pouvoir, Giorgia Meloni peut donc revendiquer une réussite paradoxale : celle d’avoir transformé la peur en confiance, le chaos en continuité. Une réussite faite d’immobilisme assumé. Mais pour combien de temps ?