Emmanuel Macron recadré par une journaliste indienne pour sa vidéo de deepfakes.

L’intelligence artificielle (IA) n’est plus une promesse lointaine ; elle est une réalité bruyante, fascinante et, pour beaucoup, profondément inquiétante. Alors que Paris s’apprêtait à accueillir, ce lundi, l’un des sommets les plus cruciaux sur la régulation de l’IA, réunissant des représentants du monde entier, un échange télévisé est venu en souligner l’urgence et la gravité. Ce dimanche soir, sur le plateau du JT de 20h de France 2, le Président de la République, Emmanuel Macron, a été confronté à une interpellation inattendue et cinglante, non pas par un opposant politique, mais par une figure emblématique du journalisme indien, Palki Sharma.

L’objet de la discorde : une vidéo. Quelques heures auparavant, le chef de l’État avait tenté une démarche de communication audacieuse, voire inédite pour un dirigeant occidental : il avait mis en scène des deepfakes de lui-même. Ces vidéos, générées par intelligence artificielle, le montraient dans des contextes totalement factices et, selon la volonté présidentielle, humoristiques. Publiée sur X (anciennement Twitter), la compilation avait rapidement fait le buzz, atteignant plus de 8 millions de vues. Le message sous-jacent était clair : démontrer la puissance et le potentiel de l’IA en utilisant sa propre image. Le Président en profitait pour affirmer que l’IA était un levier pour « faire de très grandes choses » – transformant la santé, l’énergie et la vie sociale – et que la France et l’Europe devaient impérativement se positionner au « cœur de cette révolution ». L’intention était de capter l’attention de la jeunesse, de désacraliser la technologie et d’ouvrir le dialogue sur l’ambition nationale en matière d’innovation.

De l’Humour Viral à la Réalité Cruelle

Mais l’effet escompté a été brusquement interrompu par la voix de la pragmatique et mondialement reconnue Palki Sharma. L’interview, menée par Laurent Delahousse, était retransmise en direct en Inde, conférant à cet échange une portée immédiatement internationale. Lorsque la journaliste a été invitée à commenter la démarche présidentielle, le ton a changé du tout au tout, basculant de la légèreté de la « technoculture » à l’urgence d’une menace globale.

« Ça peut faire sourire, mais ça ne fait pas que sourire uniquement », a-t-elle lancé, ajoutant avec une franchise déconcertante : « La techno-culture, ça n’est pas drôle, ça n’est pas drôle ». Cette phrase, percutante et sans filtre, est devenue en quelques secondes le point de bascule de l’interview. Elle a instantanément recadré la conversation, rappelant à tous – et en particulier au locataire de l’Élysée – qu’au-delà de l’amusement et du potentiel économique, les outils d’IA générative sont des armes puissantes dont les dommages collatéraux sont déjà visibles.

Pour Palki Sharma, la plaisanterie présidentielle ne faisait que banaliser et, pire, légitimer, une technologie qui est aujourd’hui le vecteur d’une criminalité numérique en pleine explosion. L’argument de la journaliste indienne était d’une simplicité désarmante : en utilisant un deepfake de lui-même, Emmanuel Macron, malgré ses bonnes intentions, participait à l’accoutumance du public à la fausseté visuelle. Or, cette accoutumance est l’ennemi juré de la vérité et de la confiance démocratique.

Les Deux Menaces Exprimées : Identité et Création

Le cœur de l’alerte de Palki Sharma s’est articulé autour de deux menaces fondamentales, qui pèsent sur l’individu et sur l’économie : l’usurpation d’identité et la destruction des industries créatives.

L’usurpation d’identité via les deepfakes est un risque existentiel pour la société numérique. L’IA permet désormais de générer des contenus (images, voix, vidéos) sans l’accord des personnes qui y figurent, ouvrant la voie à des escroqueries sophistiquées, à l’atteinte à la réputation, ou à l’influence politique clandestine. Un deepfake n’est pas seulement un gadget humoristique ; c’est un outil de tromperie si perfectionné qu’il devient presque impossible pour l’œil humain, même averti, de distinguer le vrai du faux. En rendant un deepfake « acceptable », un dirigeant politique prend le risque, non pas de l’éduquer, mais de désensibiliser le citoyen à la menace.

Parallèlement, la journaliste a mis le doigt sur la crise qui frappe déjà les industries créatives. L’IA générative, capable de produire du son, de l’image et du texte avec une rapidité et une quantité industrielles, menace directement les créateurs, les artistes, les journalistes et les scénaristes. L’inquiétude porte sur la capacité de ces systèmes à piller des œuvres protégées par le droit d’auteur pour s’entraîner, puis à inonder le marché de contenus de substitution, dévalorisant le travail humain. L’enjeu est de savoir comment garantir le droit d’auteur et la juste rémunération dans un monde où la machine devient capable de générer des “œuvres” en un clic.

Le Dilemme de la Régulation : Vitesse vs. Globalité

Face à l’intensité du recadrage, le Président Macron a dû rapidement pivoter de l’ambition technologique à l’impératif éthique et légal. Sa réponse, plus mesurée, a insisté sur la nécessité d’une régulation mondiale. Il a réaffirmé sa préférence pour une approche coopérative entre les pouvoirs publics et les « grands acteurs de l’intelligence artificielle », citant en exemple le travail difficile, mais nécessaire, qui a été réalisé avec les réseaux sociaux ces dernières années.

Cette référence aux réseaux sociaux est lourde de sens. Elle rappelle qu’il a fallu plus d’une décennie pour que les gouvernements commencent à peine à encadrer les géants du web. Or, l’évolution de l’IA se fait à une vitesse exponentielle, rendant le temps politique et législatif obsolète avant même l’entrée en vigueur des textes. La question qui plane au-dessus du Sommet de Paris est donc la suivante : pouvons-nous nous permettre d’attendre dix ans pour réguler l’IA comme nous l’avons fait pour Meta ou X, sachant que la puissance de cette technologie est sans commune mesure ?

L’appel à une régulation mondiale est louable, mais il se heurte à la souveraineté des États et à la course à l’armement technologique. Alors que l’Union européenne tente de prendre les devants avec l’AI Act, l’approche d’Emmanuel Macron met en lumière le dilemme : une régulation isolée risque d’étouffer l’innovation européenne, tandis qu’une régulation mondiale, bien que plus efficace, est chronophage et dépendante d’un consensus international qui n’existe pas encore.

L’échange entre Emmanuel Macron et Palki Sharma n’a pas été un simple fait de télévision. Il a été un moment de lucidité globale, un miroir tendu à l’Occident sur sa tendance à l’enthousiasme technologique. La journaliste indienne a rappelé que l’innovation doit s’accompagner d’une éthique stricte et immédiate. En définitive, si la vidéo deepfake du Président a servi à quelque chose, c’est à prouver l’une des leçons les plus importantes de ce nouveau siècle : l’ère de la « techno-culture » a définitivement perdu son innocence et, comme l’a si bien dit Palki Sharma, elle n’est plus du tout drôle. Le Sommet de Paris s’ouvre avec ce rappel solennel, celui de l’urgence d’agir avant que les faussaires de l’IA ne prennent le pas sur les bâtisseurs de l’avenir.