Photo : Tcheky Karyo et Lambert Wilson assistent à l'exposition "L'Art De  James Cameron - The Art Of James Cameron" à La Cinémathèque le 3 avril 2024  à Paris. Nasser Berzane/ABACAPRESS.COM -

C’est une nouvelle qui a frappé le monde du cinéma français avec la brutalité d’un coup de marteau, laissant un vide immense, presque irréel. Ce vendredi 31 octobre, l’acteur Tchéky Karyo, cette figure reconnaissable entre mille dont le regard perçant et la voix rocailleuse ont marqué des générations de spectateurs, nous a quittés à l’âge de 72 ans. Si son nom n’a jamais trôné en haut de l’affiche comme une tête d’emploi incontestée, son visage était une signature, un gage de qualité, depuis des rôles cultes comme dans L’Ours de Jean-Jacques Annaud ou Nikita de Luc Besson. Mais derrière le choc de cette disparition se cache une tragédie encore plus poignante : celle d’un combat secret, mené à la hâte, contre une maladie terrifiante, dont les derniers moments sont aujourd’hui révélés par un ami proche, Charl Couture. Ses confidences, publiées sur Facebook, dressent le portrait d’un homme d’une dignité et d’une noblesse rares, arraché à la vie dans un éclair d’une brutalité inouïe, mais s’accrochant à l’espoir jusqu’à son dernier souffle.

 

Le départ inattendu d’une force tranquille

 

À 72 ans, Tchéky Karyo n’était pas un homme destiné à mourir de vieillesse. La question, lancinante et inévitable, s’est rapidement posée : quelle fatalité pouvait emporter cet artiste à un âge où la carrière est souvent encore riche de projets ? La réponse est tombée, terrible, confirmant les pires craintes : c’est un cancer qui a emporté l’acteur. Dans un communiqué de sa famille, on apprenait la douleur de son épouse, Valérie Kerru Zoré, et de leur enfant, face à cette perte soudaine. Né à Istanbul en 1953, Karyo avait passé toute sa carrière à enrichir le septième art de sa présence magnétique, offrant une profondeur singulière à des rôles de second plan qui, sous son interprétation, devenaient souvent inoubliables. Il était l’archétype de l’acteur de composition dont chaque apparition laissait une empreinte durable. Sa silhouette, à la fois dure et sensible, était devenue une icône familière, un pilier discret mais essentiel du cinéma international.

Mais les révélations les plus émouvantes, celles qui confèrent à son départ une dimension profondément humaine et tragique, proviennent du témoignage de Charl Couture. Ami de l’acteur, il a partagé sur les réseaux sociaux une publication bouleversante, offrant un aperçu des ultimes semaines de Tchéky Karyo. Ce que l’on découvre est une course contre la montre déchirante, où l’espoir a lutté désespérément contre une maladie décrite comme « foudroyante ».

 

Le cancer « foudroyant » : un combat secret de quelques semaines

Tcheky Karyo và Bruce Greenwood trong buổi ra mắt phim "The Core" tại Mann'a... Nachrichtenfoto - Getty Images

Le terme « foudroyant » est rarement utilisé à la légère. Dans le cas de Tchéky Karyo, il semble malheureusement décrire une réalité implacable. Charl Couture a en effet indiqué que l’acteur n’était malade que depuis « quelques semaines » à peine, soulignant la rapidité sidérante avec laquelle la maladie l’a emporté. Cette vitesse est à la fois choquante et tragique. Elle ne laisse aucune place à la préparation, ni pour l’artiste, ni pour ses proches. L’image d’un acteur vibrant de vie, dont la force émanait de l’écran, se heurte de plein fouet à la fragilité de l’existence.

Malgré l’avancée fulgurante de la maladie, Tchéky Karyo s’est battu. Et son combat était teinté d’une lueur d’espoir presque miraculeuse, d’une attente fébrile qui résume sa volonté inébranlable de vivre. Son ami a révélé que l’acteur attendait la validation d’un « traitement révolutionnaire » qui devait venir des États-Unis. Ce traitement, apparemment considéré comme « magique » par ceux qui le connaissaient, n’était pas encore tout à fait homologué en France. C’est sur cette homologation que reposait tout le poids de son avenir, le rêve d’une rémission, le refus de céder face à la fatalité.

Ce détail est particulièrement poignant. Il nous montre un homme qui, malgré la douleur et la rapidité du mal qui le rongeait, restait tourné vers l’avenir, prêt à saisir la moindre chance pour remonter la pente. Tchéky Karyo, l’homme aux mille rôles, jouait alors la partie la plus importante de sa vie, celle où l’enjeu était sa propre survie, armé d’une foi inébranlable dans le progrès médical. Le fait que ce traitement “miracle” n’ait pas pu arriver à temps ajoute une couche de tristesse et d’injustice à son départ prématuré. Il a fallu que la réalité des choses le rattrape brutalement, annihilant cette étincelle d’espoir.

 

La dignité jusqu’à l’ultime seconde : « Garder la tête haute »

 

Ce qui ressort avec le plus de force du témoignage de Charl Couture et d’une autre personne intervenue sur le même poste Facebook, c’est l’incroyable dignité de l’acteur face à la mort. Karyo a, semble-t-il, « gardé la tête haute jusqu’au bout ». Cette expression, simple et puissante, dépeint un homme qui a refusé de sombrer dans le désespoir public, menant son combat avec une discrétion et un courage qui lui sont propres.

Mais au-delà du courage, c’est son altruisme qui marque les esprits. Une autre confidence déchirante révèle que, quelques heures seulement avant de nous quitter, Tchéky Karyo se souciait davantage du bien-être de ses amis que de son propre état de santé critique. Alors qu’il était au plus mal, il « se tracassait plus de savoir comment est-ce que cette personne allait » que de son propre sort. C’est un trait de caractère d’une profondeur émotionnelle rare. Dans ces instants où l’instinct pousse naturellement à se concentrer sur soi-même, Karyo est resté fidèle à une humanité débordante, faisant passer l’autre avant sa propre souffrance.

Cette attitude pose même la question de sa propre conscience de la fin. L’ami suggère que, peut-être, il « ne se sentait pas partir ». Soit par une force de déni protectrice, soit par une noblesse d’esprit telle qu’il parvenait à transcender sa propre agonie pour s’intéresser aux autres, Tchéky Karyo a quitté ce monde dans une bulle de bienveillance. C’est une image puissante et réconfortante pour ceux qui l’aimaient : celle d’un homme qui n’a jamais perdu son humanité, même face à l’inévitable.

 

L’héritage de la « tête » et de la voix inoubliable

Si Tchéky Karyo n’a pas été la star de toutes les affiches, son rôle dans le cinéma reste fondamental. L’acteur, né d’une mère grecque et d’un père turc, portait en lui une complexité et une richesse culturelle qui se lisaient dans ses yeux. Il a su naviguer entre les grandes productions américaines et européennes, incarnant souvent des personnages ambigus, puissants, dotés d’une profondeur psychologique marquante. Sa « tête » et sa voix, comme le rappelle l’hommage de son ami, étaient des atouts majeurs, une présence qui remplissait l’écran et que l’on reconnaissait instantanément.

Des rôles emblématiques dans des films comme L’Ours, où il jouait l’un des chasseurs, ou dans Nikita, où il prêtait ses traits au mystérieux Bob, ont façonné son image de second rôle de luxe, d’acteur capable d’apporter gravité et intensité à n’importe quelle scène. Il était de ceux qui, sans monopoliser l’attention, la captaient par leur seule présence.

Aujourd’hui, il manque au cinéma français, mais il manque surtout à ceux qui l’ont côtoyé de près. L’hommage vibrant de Charl Couture, ce journal de bord émotionnel, est un cadeau douloureux, mais essentiel, pour tous ceux qui pleurent l’acteur. Il permet non seulement de comprendre la brutalité de sa fin, mais aussi de célébrer l’homme qu’il était : un combattant plein d’espoir, doté d’une dignité absolue et d’une altruisme rare jusqu’à son dernier souffle. Tchéky Karyo est parti, mais son courage face à la maladie fulgurante et sa noblesse de cœur resteront gravés comme le témoignage ultime de sa grandeur.