L’annonce puis la concrétisation du match amical entre l’équipe nationale d’Argentine, championne du monde en titre et emmenée par la superstar mondiale Lionel Messi, et la sélection angolaise, ont provoqué une vague d’indignation massive et retentissante au sein de la société civile et de l’opinion publique en Angola. L’événement, censé être la pièce maîtresse des festivités marquant le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Angola vis-à-vis du Portugal, le 11 novembre, s’est rapidement transformé en un symbole de mauvaise gestion des deniers publics et d’un décalage flagrant entre les priorités du gouvernement et les besoins fondamentaux d’une population frappée de plein fouet par une crise socio-économique sévère.


Un Coût Pharaonique au Milieu de la Misère

 

Au cœur de la polémique réside le montant astronomique versé par le gouvernement angolais à l’Association du Football Argentin (AFA) pour garantir la venue de l’équipe et, surtout, la présence de Lionel Messi : selon de nombreuses sources de presse, la somme avoisinerait les 12 millions d’euros (ou l’équivalent de 25 millions de dollars, selon d’autres sources), une somme qualifiée de “pharaonique” dans un contexte national.

Ce chiffre a immédiatement soulevé un tollé dans un pays où la pauvreté est endémique. L’Angola, bien que riche en ressources pétrolières et minérales, voit près de la moitié de sa population, soit des millions d’Angolais, vivre avec moins de 4 dollars par jour. Le pays est confronté à une crise économique larvée : l’inflation est galopante, approchant les 20 %, et le taux de chômage s’élève à près de 30 %, selon l’Institut National de Statistiques (INE). En parallèle, le pays a connu des émeutes violentes quelques mois auparavant, suite à l’annonce de la hausse des prix du carburant, réprimées dans le sang, faisant plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés.

Pour les groupes civiques, les militants et l’opposition, dépenser l’équivalent de 12 millions d’euros – une somme qui pourrait financer des infrastructures essentielles comme des hôpitaux, des écoles, ou des programmes d’aide sociale – pour un simple match amical et l’attrait d’une seule star de football est un acte d’irresponsabilité criminelle et de mépris envers le peuple. Des organisations non gouvernementales (ONG) angolaises, dont certaines affiliées à l’Église catholique, ont publiquement exhorté l’AFA et Lionel Messi à annuler leur participation au match, en signe de solidarité avec les victimes des récentes émeutes et pour protester contre l’utilisation des fonds publics.

Julian Alvarez et Lionel Messi


La Tentation du “Soft Power” et l’Image de l’Argentine

 

Face à la tempête, le gouvernement angolais, dirigé par le Mouvement Populaire de Libération de l’Angola (MPLA), au pouvoir sans interruption depuis l’indépendance en 1975, a défendu l’événement comme un « cadeau unique » offert à la nation pour célébrer son jubilé. L’objectif était clair : utiliser l’aura d’une équipe comme l’Argentine et l’image d’un joueur comme Messi pour projeter une image de prestige international et de normalité festive, détournant ainsi l’attention des problèmes internes. C’était une tentative classique de “soft power” par le sport, visant à masquer les divisions et la crise.

Cependant, cet effort a eu l’effet inverse. L’indignation des Angolais s’est reportée non seulement sur leur propre gouvernement mais aussi, paradoxalement, sur l’équipe d’Argentine et Lionel Messi lui-même. Bien que le joueur ne soit pas l’instigateur direct de cette dépense, sa présence est devenue le prisme à travers lequel l’opinion publique a perçu le gaspillage. Pour beaucoup, la participation des champions du monde, et surtout de leur capitaine, à un événement dont la finance est si moralement douteuse, a soulevé des questions sur leur sens éthique et leur responsabilité sociale. L’Argentine, un pays qui lui-même est confronté à de graves difficultés économiques, était perçue comme priorisant le « box office » et le profit à court terme plutôt que la décence et la solidarité. L’AFA, de son côté, est restée silencieuse sur la structure des profits, ce qui n’a fait qu’alimenter les critiques.


Sécurité Accrue et Tension Démocratique

 

Le match, finalement maintenu, a eu lieu à Luanda et s’est soldé par une victoire 2-0 de l’Argentine, avec un but de Lautaro Martínez et un autre de Lionel Messi. L’Argentine a rempli son contrat sportif, mais l’atmosphère entourant l’événement était loin d’être sereine. Des rapports ont indiqué que les autorités angolaises avaient mobilisé près de 3 000 agents de sécurité dans la capitale pour prévenir et réprimer toute tentative de manifestation ou de contestation. Cette forte présence policière, contrastant avec l’esprit de fête voulu, a confirmé l’atmosphère électrique et la tension démocratique qui régnaient, le gouvernement craignant que l’indignation populaire ne dégénère en un nouveau mouvement de protestation anti-gouvernemental.

Les Angolais critiques ont souligné que la priorité de l’État aurait dû être le développement du football local et des infrastructures de base plutôt que l’organisation de rencontres de prestige à coût exorbitant. En définitive, l’arrivée de Lionel Messi et de l’équipe argentine en Angola, loin d’être une célébration unanime, est devenue un puissant catalyseur pour l’expression d’un profond mécontentement social et un révélateur des défis éthiques que pose le football moderne, où l’attrait commercial des superstars peut éclipser les réalités humaines et économiques des pays hôtes. L’histoire de ce match amical restera un exemple cinglant de la façon dont le sport, même dans sa forme la plus prestigieuse, peut être perçu comme un instrument de diversion et de gaspillage dans les nations en crise.