« Un Cancer Qui Dévore La Démocratie » : L’Intervention Choc Du Journaliste Fabrice Arfi Révèle Le « CV Judiciaire » Terrifiant De La France


Article: La corruption n’est pas un rhume passager de la démocratie, mais un « cancer » qui risque de la dévorer. C’est l’avertissement percutant qu’a lancé Fabrice Arfi, journaliste d’investigation à Mediapart, devant la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance financière. Dans un échange d’une rare intensité, Arfi a dressé un portrait sans concession de l’état de la probité en France, dénonçant un système où l’argent et l’influence s’entrelacent au point de créer une justice à deux vitesses, alimentant un sentiment d’inégalité et de fatigue démocratique. Son témoignage, étayé par des faits et des chiffres souvent ignorés, est un véritable miroir tendu à l’élite politique et médiatique.


Le Bilan Judiciaire Sidérant de la Ve République

 

L’un des moments les plus marquants de cette intervention est sans conteste l’établissement du « CV judiciaire » de la France. Fabrice Arfi a rappelé que la nation, qui se targue d’être la patrie des Droits de l’Homme, possède un palmarès judiciaire unique en son genre pour une démocratie libérale moderne. L’énumération des hauts responsables définitivement condamnés pour atteintes à la probité est glaciale :

L’ancien président Jacques Chirac, dont le Premier ministre Alain Juppé a également été condamné.

Le successeur de Chirac, Nicolas Sarkozy, et son Premier ministre François Fillon.

Deux anciens Chefs d’État et deux anciens Chefs de Gouvernement ont été définitivement condamnés. Arfi insiste : un tel « CV judiciaire » devrait nous contraindre à une introspection collective, car il ne s’agit pas d’un problème partisan. Pour le prouver, il évoque des figures de gauche, comme Jérôme Cahuzac, ministre du Budget fraudeur fiscal, et Jean-Christophe Cambadélis, patron du parti socialiste sous François Hollande, déjà doublement condamné lors de sa nomination. Le constat est implacable : l’atteinte à la probité est un mal systémique, qui transcende les clivages politiques.


L’Hypocrisie de la Moralisation et la Justice d’Exception

 

L’intervention s’est poursuivie par une critique acerbe de la présidence d’Emmanuel Macron, qui avait pourtant fait de la moralisation de la vie publique le socle de sa campagne de 2017. Le contraste entre les promesses et la réalité actuelle est frappant. Arfi rappelle les engagements de 2017, comme le principe selon lequel un ministre mis en examen devrait démissionner.

Or, la situation est aujourd’hui différente : la France compte une ministre de plein exercice qui va être jugée pour corruption et un secrétaire général de l’Élysée mis en examen. Le journaliste dénonce un recul de la jurisprudence politique qui était pourtant simple à concilier avec la présomption d’innocence.

Dans ce panorama, la Cour de Justice de la République (CJR) est pointée du doigt. Qualifiée de « furoncle démocratique » et de « tribunal d’exception », elle est le lieu où le monde politique juge le monde politique. Arfi souligne que la relaxe d’un ancien Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, sur les faits de prise illégale d’intérêt, a soulevé des doutes majeurs au sein de la communauté des juristes. Ce tribunal spécial raconte, selon lui, quelque chose de fondamental sur la difficulté d’accepter une justice pleinement indépendante lorsqu’elle concerne le sommet de l’État.


Le Renversement des Rôles : Quand les Puissants Jugent la Justice

 

La délinquance financière est, par définition, la rencontre du pouvoir et de l’argent. Elle ne concerne que les puissants, qui disposent de réseaux médiatiques, financiers et politiques capables d’imposer leur propre « narratif » dans l’espace public.

C’est là que réside, pour Fabrice Arfi, le scandale le plus important : le renversement de perspective. Les mises en cause, souvent les mêmes qui réclament une « tolérance zéro » pour la délinquance de droit commun, utilisent les plateaux de télévision pour faire le procès de la justice.

Les exemples sont choquants. Un ancien président de la République a pu bénéficier de 27 minutes au journal de 20h pour se défendre, sans que le fond du dossier ne soit expliqué avec la même diligence. Plus grave encore, ce même ancien président a comparé l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) à la Stasi est-allemande, dans une tribune publique. Cette rhétorique, dénoncée comme du populisme anti-judiciaire (comparable à celle de Trump, Bolsonaro ou Netanyahou), vise à instiller l’idée d’un complot contre l’ordre établi. La question a même été posée publiquement : « Faut-il supprimer le Parquet National Financier ? » après certaines condamnations.

Ce complotisme donne aux citoyens le sentiment très dangereux que la loi n’est pas la même pour tous.


Un Coût Démocratique et Financier Massif

 

L’intervention du journaliste rappelle que ce type de délinquance n’est pas un simple « fait divers » concernant des élites. C’est l’un des cancers susceptibles de dévorer la démocratie et qui affecte concrètement la vie de tous.

D’abord, le coût financier est considérable. La fraude fiscale et la corruption représentent une richesse qui échappe à la nation et aux services publics. Fabrice Arfi déplore d’ailleurs le manque criant d’études précises sur le coût réel de la corruption en France.

Ensuite, le coût démocratique est peut-être le plus lourd. Le sentiment d’une « justice à deux vitesses », où certains vont en prison pour de la délinquance de rue et d’autres échappent à la rigueur de la loi pour la délinquance financière, alimente le sentiment d’inégalité. Ce déséquilibre n’est pas étranger aux mouvements désordonnés qui expriment un profond désir de justice sociale, et à la fatigue démocratique perceptible dans les urnes.


L’Explosion des Chiffres et la Fable de la Grenouille

L’analyse d’Arfi repose sur des données objectives alarmantes, mais passées sous silence. Le service statistique du Ministère de l’Intérieur a révélé une explosion de 28 % des atteintes à la probité entre 2016 et 2021. Ce chiffre, qui devrait provoquer un plan national, n’a suscité aucun débat politique majeur. Fabrice Arfi invite à l’analogie : si les accidents de la route ou les cambriolages avaient augmenté de 28 %, les autorités locales déploieraient un plan d’urgence. Le silence autour de l’atteinte à la probité est assourdissant.

Ce constat est renforcé par le classement de l’ONG Transparency International, qui place la France à la 25e position de son indice de perception de la corruption, signalant un risque objectif de perte de contrôle.

Pour conclure sur cette apathie collective, Fabrice Arfi utilise la célèbre fable de la grenouille. Si l’on place une grenouille dans de l’eau bouillante, elle s’échappe. Si on la place dans de l’eau tiède que l’on réchauffe petit à petit, elle s’habitue au risque de sa propre mort. L’enjeu est de ne pas être ces grenouilles face à une délinquance financière qui s’installe insidieusement.


Un Écosystème Criminel Adaptable et Sous-Doté

 

Si des évolutions législatives notables ont vu le jour ces dernières années (création du PNF, de l’OCLCIFF, de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique), elles ont toujours été le fruit de la secousse d’un scandale (affaire Cahuzac, Fillon, etc.), jamais le fruit d’une volonté politique proactive. Pour le journaliste, on est passé de l’âge de pierre au Moyen-Âge, mais ce n’est toujours pas suffisant.

Le crime financier, considéré comme un délit et non un crime, s’adapte très vite. C’est un écosystème global qui lie la faiblesse politique, la force des lobbies, la mobilité des paradis fiscaux (comme Dubaï, désormais « trou noir » de la coopération judiciaire) et le manque d’appétence médiatique (due à la concentration des médias entre les mains de capitaines d’industrie aux propres démêlés judiciaires).

Enfin, l’enquêteur de Mediapart pointe l’urgence du manque de moyens. L’OCLCIFF, l’Office central de lutte contre la corruption, est dramatiquement sous-staffé. Il manque des dizaines d’enquêteurs. Arfi insiste : mettre des moyens n’est pas un coût, mais un investissement extrêmement rentable pour la nation, rapportant un « pognon de dingue » en saisies et en amendes (comme le prouvent les Conventions Judiciaires d’Intérêt Public, permettant de récupérer des milliards, à l’image des 3 milliards de l’affaire Airbus). La lutte contre la corruption est donc l’une des batailles les plus cruciales pour restaurer la confiance et garantir que la loi, dans sa flamme judiciaire, s’approche enfin de tous les milieux.