Chronologie. Meurtre de Théo Decouchant : du rendez-vous en Haute-Saône aux  aveux de Camille Anguenot, les moments-clés de l'affaire

La capitale belge, avec ses façades historiques et son agitation européenne, cache en son sein des drames d’une obscurité insondable. Ce soir-là, l’émission “Crimes” nous plonge dans les annales judiciaires de Bruxelles, là où la vie ordinaire bascule en un instant dans l’horreur absolue. L’une de ces histoires, la première, est celle de Charlotte. Une jeune fille de 18 ans, un “ouragan” de vie suivi d’un “rayon de soleil”, comme la décrit sa mère. Une jeune fille dont le destin s’est brisé net un soir d’été, finissant son voyage dans une valise, au fond d’un fossé.

Le drame commence par une absence. Un silence. Le dimanche 31 juillet 2011, dans la petite commune de Houdeng-Gœgnies, Maryline se réveille avec un nœud à l’estomac. Sa fille, Charlotte, n’est pas rentrée. À 18 ans, Charlotte est une jeune fille sérieuse, fusionnelle avec sa mère, à qui elle “racontait tout”. Elle ne fume pas, ne boit pas, ne se drogue pas. Elle vient de fêter la fin de son stage. L’inquiétude, d’abord une petite braise, devient rapidement un incendie. “J’ai envoyé un premier message vers 10h”, raconte Maryline. Pas de réponse. “Là, ça me semblait déjà bizarre”.

La veille, Charlotte était de sortie avec sa meilleure amie, Anaïs. Un bal de village, une soirée d’adolescentes. Puis, l’idée de “monter” à Bruxelles. C’est exceptionnel, mais Maryline, confiante, avait donné son accord. La dernière communication aura lieu à 2h30 du matin. Un texto de Charlotte demandant si elle peut dormir chez un ami, “Anthony”. Maryline, qui connaît le nom, accepte. Ce sera le dernier “oui”.

Le lendemain matin, le silence de Charlotte est assourdissant. Maryline, rongée par une intuition maternelle qui ne trompe pas, se rend au commissariat de La Louvière. C’est là que le drame intime rencontre la froideur administrative. “Oui, mais madame, elle va avoir 19 ans… c’est peut-être une fugue”, lui rétorque-t-on. “Elle a peut-être rencontré quelqu’un, elle passe un bon moment”. Maryline a beau hurler que sa fille n’est pas comme ça, que si elle passait un “bon moment”, elle l’aurait prévenue, la machine policière reste au point mort. Pour la mère de famille, c’est le début d’un double combat : contre l’angoisse et contre l’indifférence.

Pendant que la police classe l’affaire, la famille, elle, s’active. Anaïs, l’amie de Charlotte, et Jean-Marc, son beau-père, remontent la piste d’Anthony. Ils le retrouvent. Le jeune homme de 33 ans, que Charlotte connaissait depuis six mois, raconte une histoire plausible : elle est bien venue à sa soirée d’anniversaire, mais il l’a laissée un instant pour saluer des amis. Quand il est revenu, elle n’était plus là. Il pensait qu’elle était repartie avec ses amis du début de soirée. L’alibi est mince, mais il tient. La police le vérifiera plus tard : Anthony est hors de cause. La piste s’effondre. Pour Maryline, le monde s’écroule un peu plus. “Elle dormait plus”, se souvient Anaïs. “À chaque fois qu’on sonnait, elle courait voir si c’était Charlotte.”

L’enquête, ou plutôt l’absence d’enquête, aurait pu durer des jours. Mais 35 heures après la disparition, un coup de théâtre va changer le cours du destin, et sceller l’horreur. À Bruxelles, un avocat, Maître Deb, reçoit l’appel d’un homme en panique. L’homme, Nicolas, 33 ans, est effondré. “Écoutez, voilà, j’ai tué quelqu’un hier et je tiens absolument à me constituer prisonnier”. L’aveu est direct, mais confus. L’homme ne connaît ni le nom, ni le prénom de sa victime. Il ne sait même plus exactement où il s’est débarrassé du corps.

Théo Decouchant : Une sordide affaire

C’est ici que deux mondes, deux enquêtes parallèles, entrent en collision. Pendant que Maryline, désespérée, contacte la fondation Child Focus pour lancer un appel à témoins, la police de Bruxelles recueille la déposition de Nicolas. L’avis de recherche de Child Focus est stoppé net. Les enquêteurs viennent de faire le rapprochement. Une photo de Charlotte est présentée à Nicolas durant son audition. Il la reconnaît “à 90%”.

Le récit de l’assassin est glacial de banalité et d’horreur. Il raconte sa rencontre avec Charlotte, le taxi pris ensemble vers 5h45 du matin, direction son domicile. Il raconte qu’elle avait faim, qu’il est parti lui préparer quelque chose. Il omet un détail capital, que l’enquête téléphonique révélera plus tard. Profitant de son absence, Charlotte, prise d’un mauvais pressentiment, envoie un SMS à une vague connaissance. Un message de panique : “Viens me chercher à Bruxelles, je ne sais pas où je suis, je ne sais pas avec qui je suis et je veux rentrer”. L’appel au secours restera sans réponse.

Nicolas revient. Il “tente une approche”, selon ses termes. Charlotte refuse, panique. L’homme de 110 kilos réagit avec une violence inouïe. Il la maîtrise, une main sur la bouche, l’autre sur le cou. En trente secondes, elle est inconsciente. Il explique alors s’être retrouvé “à califourchon sur sa cage thoracique”. Charlotte ne survivra pas.

Mais la version de Nicolas, déjà terrible, n’est qu’une version minimisée de l’horreur. L’autopsie parlera pour Charlotte. Le médecin légiste ne trouvera pas un, mais plusieurs coups au visage. Il confirmera la mort par asphyxie, mais une asphyxie multiple : obstruction des voies respiratoires, manœuvres de strangulation et compression thoracique. Le scénario qui se dessine est celui d’une tentative de viol, “vigoureusement déignée” par Charlotte, qui a déclenché la fureur meurtrière de son agresseur.

La suite est un acte de barbarie froide. Dans sa déposition, Nicolas avoue des actes qui glacent le sang. Il mord la victime aux lèvres et au sein. Il la déshabille et introduit ses doigts dans ses parties génitales, prétendant, dans une justification grotesque, “vérifier qu’elle était effectivement décédée”.

Puis, la phase de dissimulation. Il prend une grande valise. Il y place le corps frêle de Charlotte, pliant ses jambes pour la faire entrer. Il ajoute 19 kilos de pierres. La valise, pesant près de 80 kilos, est un fardeau macabre. Il appelle un ami pour lui prêter une voiture, dépose la valise le long d’un canal, puis retourne chez lui. Il ouvre son petit centre de paris sportifs et reprend le cours de sa vie.

Qui est cet homme ? Ses amis le décrivent comme “convivial, généreux, un bon vivant”. Un profil lisse, à un détail près, que les enquêteurs exhument rapidement : Nicolas avait déjà fait l’objet de deux plaintes pour violences sur des femmes. Le monstre n’est pas né cette nuit-là ; il était seulement caché.

Camille Anguenot : elle semblait 'tout à fait normale' après avoir tué Théo  Decouchant

La découverte de la valise, abandonnée dans un fossé, met fin à l’espoir. Les policiers sont face à une vision d’horreur. Le corps de Charlotte est “plié en deux”. L’annonce à Maryline est une déflagration. La mère de famille fait une syncope. “Je me suis assis et j’ai plus su parler”, confie son beau-père. “Comme si tout s’écroule en nous.”

Pour Maryline, la douleur est double. Il y a la perte, et il y a la souffrance de sa fille. “Ils m’ont dit qu’elle était morte par asphyxie”, dit-elle, la voix brisée. “Il s’est quand même acharné dessus… et ça me fait mal parce que je me dis, moi qui les ai tant protégés, savoir que pour moi, elle a souffert ces derniers moments. Et ça, ça me fait mal.”

En 2013, le procureur du roi change le chef d’accusation. Nicolas ne sera pas jugé “seulement” pour meurtre, mais pour meurtre et pour viol, les preuves scientifiques contredisant sa version des faits. Il sera jugé en 2014, risquant 35 ans de prison.

Pour la famille, la justice est une étape, pas une fin. Maryline, suivie par un psychologue, doit affronter ses propres fantômes. Elle qui avait déjà perdu son frère, suicidé 22 ans plus tôt, avait vu ses parents “se laisser aller”, se “détruire”. Elle se fait une promesse. “Je me dis, je voudrais jamais que mes enfants ils passent ce que j’ai passé. Donc quelque part, ben je m’interdis de pleurer, je m’interdis… j’essaie d’être toujours normale pour ne pas les faire souffrir.” Un sacrifice maternel, une armure fragile contre le vide infini laissé par le meurtre de son “rayon de soleil”.