"Vous viendrez ici me dire je me suis trompé !" : échange tendu entre Pascal  Praud et un chroniqueur - YouTube

L’onde de choc est partie d’une simple déclaration, mais elle a rapidement mis en lumière un fossé béant et de plus en plus toxique au sein de la société française. La prise de position d’Alain Souchon, évoquant son exil en Suisse si le Rassemblement National (RN) venait à diriger le pays, tout en jugeant que les Français ne sont « pas assez cons » pour élire un tel parti, a servi de catalyseur à une réflexion beaucoup plus profonde. Le débat, mené notamment par Pascal Praud et ses invités, a rapidement dévié de la simple critique politique pour s’attaquer à ce que beaucoup appellent désormais l’hégémonie culturelle et le mépris décomplexé d’une certaine élite envers les citoyens qui n’entrent pas dans ses schémas de pensée.

Ce qui frappe d’abord, c’est le sentiment de supériorité intellectuelle et morale que dégage ce type de déclaration. Comme le souligne l’écrivain Richard Millet, ce camp, souvent estampillé “progressiste”, se donne un brevet de bonne conscience en s’attaquant à une cible facile et consensuelle. Critiquer le RN, en particulier dans les milieux culturels et médiatiques, ne représente « aucun risque », mais au contraire, apporte l’approbation du cercle social, un confort moral où l’on se dit : « Vous êtes du bon côté ».

Cette posture, si elle était isolée, pourrait être considérée comme un simple droit à l’opinion. Mais elle est systémique. Elle résonne avec une forme de mépris de classe similaire à celui évoqué par Laurence Bloch, ancienne directrice de France Inter, qui pointait du doigt les CSP moins (Catégories Socioprofessionnelles défavorisées) comme étant ceux qui n’auraient pas « les outils intellectuels » pour vivre sereinement. L’équation est simple et brutale : si vous votez RN, vous êtes, pour reprendre le terme cinglant, un « con ». En choisissant la Suisse comme destination d’exil, un pays connu pour sa stabilité financière et qui n’est pas membre de l’Union Européenne – le parangon même du luxe et de l’entre-soi –, Souchon illustre parfaitement le décalage, voire l’indécence, d’une caste qui semble vivre dans une bulle dorée.

L’Hégémonie Culturelle, l’Argent, et l’Hypocrisie : Le Legs de Gramsci

L’analyse ne peut ignorer le facteur financier, un élément central dans la perpétuation de cette idéologie dominante. Pascal Praud, citant le philosophe italien Antonio Gramsci et sa théorie de l’hégémonie culturelle, met le doigt sur un enjeu de pouvoir que cette élite refuse catégoriquement de lâcher. Le moyen de maintenir cette suprématie ? L’argent.

Ce milieu, souvent très critique du capitalisme et des inégalités, bénéficie en réalité de privilèges exorbitants. La contradiction devient flagrante lorsque l’on examine le statut des intermittents du spectacle, un régime chômage « incroyablement favorable » dont bénéficie une grande partie de la profession. On dénonce la précarité tout en s’assurant un filet de sécurité bien plus confortable que celui de l’ouvrier ou du plombier, renforçant l’idée d’une caste ultra-privilégiée qui défend ses acquis sous couvert de progressisme.

L’hypocrisie atteint son apogée en confrontant le discours pro-européen et anti-nationaliste de Souchon à sa réalité professionnelle. En 1986, l’artiste voyait la France comme un « truc démodé » et l’Europe comme l’avenir incontournable. Pourtant, la même élite culturelle est la première à réclamer et à bénéficier de subventions françaises et de quotas de chansons françaises (la fameuse « préférence nationale » culturelle). Ironiquement, cette préférence nationale est exactement le socle idéologique que le RN place au cœur de son programme. La défense de la culture nationale, tant qu’elle rapporte des avantages financiers et un statut social, est donc acceptée, mais la défense des frontières nationales ou des emplois nationaux est assimilée à de « l’extrême droite ».

De Staline à l’Archipel du Goulag : Une Constante Historique

Le regard critique sur l’élite culturelle n’est pas nouveau. Richard Millet et Samuel Fitoussi rappellent que ce comportement s’inscrit dans une longue tradition d’aveuglement politique au sein de l’intelligentsia française. L’histoire est riche d’exemples où des artistes et intellectuels, loin de rechercher la vérité, ont préféré l’erreur socialement valorisante.

Des figures emblématiques comme Paul Éluard (auteur d’Ode à Staline), Louis Aragon (qui voyait en Staline « l’image même de la pensée »), Jean-Paul Sartre, ou Pablo Picasso (qui voyait en Staline un « géant moral ») ont, en leur temps, glorifié les régimes totalitaires les plus sanglants, comme l’Union Soviétique et la Chine maoïste. Ces voyages de « bonne œuvre » où l’on visitait des hauts fourneaux au lieu des tombes de Confucius – pour reprendre l’image ironique – étaient avant tout des pèlerinages idéologiques visant à se forger une bonne conscience et à s’assurer une place à la bonne table des « dîners en ville ».

Le seul à avoir fait son mea culpa publiquement, comme le rappelle le débat, fut André Gide après son voyage en URSS, prouvant que la lucidité est l’exception, et l’entêtement idéologique, la règle. Cette mémoire historique est cruciale : elle montre que l’élite culturelle a, de manière constante depuis des décennies, été profondément dans l’erreur sur les grands sujets de société, préférant le rôle de victime émissaire (hier la bourgeoisie, aujourd’hui le RN) à la vérité.

La Leçon de Modestie pour les Politiques et l’Argumentaire Creux

L’arrogance n’est pas l’apanage des artistes. Elle s’étend aux politiques. La séquence d’Amélie de Montchalin, fustigeant le RN et La France Insoumise (LFI) comme « dangereux » et proposant de la « bêtise », a provoqué une vive réaction de l’équipe de Pascal Praud.

Le pays cumule 3 000 milliards de dettes et connaît une crise politique et sociale sans précédent. Devant un tel « bilan catastrophique », l’appel à la modestie de la part de l’ancienne ministre et de ses amis semble non seulement justifié, mais impératif. La seule réponse qu’ils devraient apporter, selon Pascal Praud, serait le silence et la honte, tant la « nullité » de la gestion passée est criante. Le fait qu’ils continuent à donner des leçons de morale et d’économie, tout en ayant mené le pays dans une situation désastreuse, est perçu comme une ultime insulte à l’intelligence des Français.

Dans le même registre de l’autosatisfaction, le cas de Samuel Étienne est symptomatique du service public. Le journaliste, en pleine explication de texte pour expliquer à de jeunes gens pourquoi le RN est un parti d’« extrême droite », a recours à un argumentaire jugé « glou boulga » et sans le début d’un argumentaire par le panel.

L’argument principal repose sur l’histoire (fondation par des néonazis) et la préférence nationale comme cœur du programme. Or, le débat souligne que la préférence nationale n’est pas intrinsèquement d’extrême droite : un passeport confère des droits particuliers, et des partis de gauche, notamment au Danemark, adoptent aujourd’hui des politiques migratoires fermes que le RN préconise. L’argumentaire ne vise pas la vérité, mais à permettre à Samuel Étienne de « vivre dans ce monde » et d’être, lui aussi, du bon côté socialement. C’est l’illustration d’un dialogue impossible où toute discussion sereine sur l’immigration ou le pouvoir d’achat est immédiatement caricaturée et étiquetée d’« extrême droite » : « on est chez les fous », conclut le débat.

La Tragédie de l’Humour sans Talent : De Brassens à Barré

Ne me poussez pas au crime ! » Pascal Praud hallucine face à un chroniqueur  sur CNews | Toutelatele

Le dernier symptôme de ce malaise culturel réside dans l’humour. La polémique autour de l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré, qui a comparé la police et la gendarmerie à « Daesh avec la sécurité de l’emploi » sur Radio Nova, a mis en lumière un autre problème.

Si la liberté d’expression est défendue, la question du talent est posée avec acuité. L’humour, même le plus noir, peut tout se permettre s’il est drôle. Cependant, le problème de ces nouveaux humoristes dits « militants » est qu’ils s’attaquent toujours aux mêmes cibles (la police, l’armée, les juges), et jamais à celles qui sont socialement « intouchables » au sein de leur propre milieu, comme les « néoféministes » ou l’idéologie dominante.

Comme le rappelle Richard Millet, Brassens se moquait des institutions puissantes. Mais chez des figures comme Barré ou Meurice, l’absence de talent véritable – « c’est ça le problème fondamental » – transforme leur intervention en un simple meeting militant applaudi par une seule faction idéologique. Le manque de finesse est tel que la provocation devient un simple cri de ralliement, une tactique de publicité facile.

En fin de compte, que ce soit par l’exil moqueur d’un artiste, les leçons de morale d’une femme politique aux résultats désastreux, les démonstrations idéologiques d’un journaliste de service public, ou l’humour insultant d’un militant, la France assiste à un divorce de plus en plus violent entre ceux qui pensent détenir la vérité et ceux qui, par leur vote, expriment une profonde lassitude. L’élitisme, le mépris, l’hypocrisie et le manque de talent sont devenus les piliers d’une hégémonie culturelle chancelante, dont la seule défense semble être d’insulter la « bêtise » populaire pour mieux camoufler la sienne. Et c’est cette déconnexion du réel qui rend tout dialogue impossible aujourd’hui en France, précipitant le pays vers un choc politique et social d’une violence inédite.