Il est 4 heures du matin, ce mercredi 16 décembre 2020, à Cagnac-les-Mines, un petit village paisible du Tarn. Dans la maison encore en chantier de la famille Jubillar, les pleurs d’une fillette de 18 mois déchirent le silence nocturne. Cédric Jubillar, le père, se lève, pensant qu’elle a simplement perdu sa tétine. Mais en entrant dans la chambre, il constate que sa femme, Delphine, n’est pas là. Elle n’est pas dans le salon non plus. L’inquiétude monte. Dehors, les deux chiens de la famille sont dans le jardin, ce qui est inhabituel à cette heure. Cédric appelle, envoie des messages aux amies de Delphine. Personne ne sait où elle est. À 4h30, elle s’est littéralement volatilisée.

Ainsi commence l’affaire Delphine Jubillar, l’un des mystères criminels les plus médiatisés et les plus déroutants de ces dernières années en France. Delphine, 33 ans, infirmière dévouée à la clinique d’Albi, mère aimante de deux jeunes enfants, est devenue “la disparue du Tarn”. Une femme décrite par tous comme douce, gentille, rigolote, une “mère de famille idéale”. Sa disparition soudaine, sans argent ni papiers, vêtue seulement d’une doudoune blanche et son téléphone à la main, a immédiatement paru suspecte.

Dès les premières heures, l’enquête s’oriente vers une mauvaise rencontre. Les gendarmes, arrivés rapidement sur les lieux, déploient d’importants moyens. Un chien de Saint-Hubert suit la trace olfactive de Delphine sur environ 200 mètres, depuis son domicile jusqu’à un panneau stop. Là, la piste s’arrête net, comme si elle était montée dans un véhicule. Mais cette hypothèse peine à convaincre. Nous sommes en plein couvre-feu lié à la pandémie de COVID-19. Le lotissement est dense, les maisons proches. Un enlèvement aurait vraisemblablement fait du bruit, alerté le voisinage. Personne n’a rien vu, rien entendu.

Très vite, comme souvent dans ce genre d’affaires, les regards se tournent vers le dernier à l’avoir vue vivante : son mari, Cédric Jubillar. D’autant que l’ombre d’une autre affaire tragique, celle de Jonathann Daval, plane encore sur l’opinion publique. Le mari éploré qui s’avère être le meurtrier. Cédric Jubillar, avec son allure de “bad boy”, sa consommation de cannabis assumée et sa réputation de marginal, coche malgré lui toutes les cases du “coupable idéal”.

La pression médiatique est immédiate et intense. Cédric, fuyant, parfois hostile, se mure dans le silence, allant jusqu’à construire un mur devant sa maison pour échapper aux caméras. Pour l’opinion publique et les réseaux sociaux, ce comportement est un aveu. Il est jugé et condamné avant même que l’enquête n’ait pu établir les faits. “Je sais que l’immense majorité du village pense que je suis le coupable”, confiera-t-il à un rare journaliste.

Mais qui est vraiment Cédric Jubillar ? Et quelle était la véritable nature de sa relation avec Delphine ? Leur histoire commence comme une romance d’adolescents en 2004. Elle a 17 ans, lycéenne studieuse. Lui en a 18, apprenti peintre. C’est le coup de foudre, le premier grand amour pour tous les deux. Contre l’avis de la famille de Delphine, qui voit d’un mauvais œil ce jeune homme à la réputation sulfureuse, le couple tient bon. Ils se marient en 2013, ont un premier enfant en 2014.

Leur grand projet, c’est la construction de leur propre maison à Cagnac-les-Mines. Un projet que Cédric, artisan plaquiste, tient à réaliser de ses propres mains. C’est sa promesse à sa “princesse”. Mais le rêve se transforme en fardeau. Sept ans plus tard, la maison est toujours un chantier. L’extérieur n’a pas de crépi, l’intérieur n’est pas fini, et un désordre permanent entoure la bâtisse. Ce projet pharaonique, symbole de leur avenir, devient le catalyseur de leurs frustrations.

La pandémie de COVID-19 vient porter le coup de grâce. L’entreprise que Cédric venait de lancer périclite. Les contrats se font rares, l’argent manque. Delphine, elle, est en première ligne face à la crise sanitaire. Infirmière, elle travaille de nuit pour pouvoir s’occuper des enfants le jour. Elle gère tout : la maison, les enfants, les finances. La charge mentale est écrasante. Le couple, usé par les difficultés financières et le chantier interminable, se délite.

Ce que le public ignore au moment de la disparition, c’est que la rupture était consommée. Delphine avait décidé de partir. Quelques semaines avant le drame, la procédure de divorce avait été lancée. Elle avait consulté un avocat et organisait activement sa nouvelle vie. Elle avait prévu de passer les fêtes de Noël en famille, puis de s’installer dans un nouveau logement avec ses enfants, dont elle comptait demander la garde exclusive.

Si l’hypothèse d’une disparition volontaire est balayée d’un revers de la main par les proches de Delphine – “Elle n’aurait jamais abandonné ses enfants” – l’enquête va révéler une facette plus secrète de sa vie. Les gendarmes découvrent que l’infirmière avait noué une relation virtuelle particulièrement intime avec un homme de Montauban. Cet “amant virtuel” devient un suspect potentiel, avant d’être rapidement mis hors de cause : il dispose d’un alibi en béton, ayant passé la nuit du drame avec son épouse.

Mais ce n’est pas tout. Cédric lui-même aurait découvert, après la disparition, des preuves – relevés bancaires, talons de chèque – que Delphine avait réservé des hôtels et des Airbnb, suggérant des rendez-vous secrets. Une “double vie” pour cette femme qui avait peut-être “pris goût à plaire à d’autres hommes” alors que son couple sombrait. L’idée d’un rendez-vous nocturne qui aurait mal tourné émerge. Mais là encore, la piste semble fragile.

Toutes les hypothèses s’effondrant les unes après les autres, l’enquête se recentre inexorablement sur le suspect numéro un : le mari. Et si Cédric avait découvert les infidélités de sa femme ? Contrairement à ce qu’il a pu laisser entendre, il n’acceptait pas la séparation. Des témoins rapportent qu’il espérait encore “recoller les morceaux”. Impulsif, il était aussi connu pour rabaisser Delphine en public, la blessant par ses paroles. La jalousie devient alors un mobile plausible. Une dispute aurait-elle éclaté cette nuit-là ?

Le problème pour les enquêteurs est colossal : l’absence totale de preuves matérielles. La maison est passée au peigne fin. Le Bluestar, ce produit chimique qui révèle les traces de sang même lavées, ne donne rien. Les sonars utilisés pour sonder les murs, les dalles et les vides sanitaires ne révèlent aucune cavité suspecte. Aucune trace de lutte, aucune scène de crime. Les cheveux des enfants sont même analysés pour vérifier s’ils n’ont pas été drogués, sans résultat connu à ce jour. Si crime il y a eu, il a été commis sans laisser la moindre trace.

Un dernier élément vient épaissir le mystère : le téléphone de Delphine. Après s’être éteint la nuit de la disparition, bornant une dernière fois à plus de deux kilomètres du domicile, il se rallume inexplicablement le 10 février 2021, près de deux mois plus tard, et reste actif plusieurs heures. Une manipulation par un tiers ? Un signe de vie ? L’espoir renaît, avant de s’éteindre à nouveau.

Aujourd’hui, l’énigme demeure. La famille de Delphine, déchirée, s’est enfermée dans une “omertà”, un silence absolu, peut-être pour se protéger, ou pour ne pas insulter l’avenir et préserver le lien avec les petits-enfants si Cédric venait à être innocenté. L’attente est insupportable pour ses proches, qui espèrent désormais, au minimum, retrouver un corps pour pouvoir commencer leur deuil.

L’affaire Jubillar est une tragédie sans corps, une enquête sans preuves tangibles, un drame humain où les apparences, les préjugés et les secrets de famille s’entremêlent. Cédric Jubillar est-il un manipulateur diabolique ayant commis le crime parfait ? Ou est-il un homme simple, dépassé par les événements, injustement cloué au pilori par l’opinion publique ? Sans réponse, le mystère de Cagnac-les-Mines continue de hanter la France.