« Je lui en veux » : Les Mots Chocs d’Eddy Mitchell Contre Johnny Hallyday, Sept Ans Après Sa Mort


Le Règlement de Comptes Posthume : Pourquoi Eddy Mitchell « en Veut Toujours » à Johnny Hallyday

 

À 83 ans, Eddy Mitchell est un monument. Il a traversé les décennies, survécu à l’âge d’or du rock français et a vu partir une bonne partie de ses compagnons de route. Mais dans son autobiographie parue en novembre 2024, le chanteur a osé écrire un aveu qui a fait l’effet d’une déflagration, résonnant au-delà des cercles de fans de rock : « Je lui en veux. » L’objet de cette colère tenace n’est autre que son « demi-frère », son ami de plus de 50 ans, Johnny Hallyday.

Sept ans après la disparition du Taulier, la phrase frappe par son ancrage dans le présent. Mitchell n’a pas écrit « Je lui en voulais » ; il utilise le temps actuel, démontrant que la blessure est vive, que le deuil est incomplet, et que la colère, loin de s’être apaisée, est devenue une compagne silencieuse. Mais comment un tel sentiment peut-il perdurer envers un homme avec qui il a partagé une vie entière, des triomphes, et des liens familiaux ? La réponse est au cœur de son témoignage : ce n’est pas le cancer, ni la mort elle-même qu’Eddy ne pardonne pas, mais la manière dont Johnny a choisi d’y parvenir, se consumant sous les yeux impuissants de ceux qui l’aimaient.

Le Cri de Douleur d’un Demi-Frère

 

L’amitié entre Johnny et Eddy remonte aux années 60, à l’époque où le rock’n’roll chamboulait la France. Johnny, avec ses reprises enflammées, et Eddy, leader des Chaussettes Noires, partageaient une passion dévorante pour la musique américaine. Cette camaraderie professionnelle a vite mué en une relation quasi fraternelle. Ils étaient inséparables, partageant les scènes, les nuits blanches, et les excès d’une vie de rockstar.

Leur lien s’est officialisé dans les familles : Eddy est le parrain de Laura Smet (née en 1983), et Johnny est le parrain de Pamela, la petite-fille d’Eddy. Ils n’étaient plus de simples amis, mais une véritable lignée, un clan. Mitchell répétera d’ailleurs des années plus tard qu’ils étaient « très, très, très liés », insistant sur l’intensité de ce lien qui les unissait. Leurs retrouvailles sur scène en 2014 et 2017, avec Jacques Dutron, sous le nom des « Vieilles Canailles », ont symbolisé cette amitié indéfectible, un dernier tour d’honneur où l’on pouvait voir trois vieux copains s’amuser, loin des compétitions d’ego.

La tournée de 2017 fut la dernière. Malgré l’annonce de son cancer du poumon, Johnny refusa d’annuler, vivant pour la scène jusqu’au dernier instant. Eddy et Jacques l’accompagnèrent, conscients de sa fragilité. Quand Johnny s’est éteint en décembre 2017, Eddy Mitchell a perdu plus qu’un ami ; il a perdu une partie de lui-même, un vide que rien n’a pu combler.

L’Ivresse de l’Invulnérabilité : Le Péché Impardonnable

 

Le cœur de la rancœur d’Eddy Mitchell réside dans la notion de l’immortalité que Johnny s’était créée — et qu’il avait fait croire à son entourage. « Je lui en veux de s’être cru invulnérable et de nous l’avoir fait croire, » confie Mitchell. Ce n’est pas la fatalité de la maladie qui est mise en cause, mais la négligence volontaire, l’entêtement à vivre dans l’excès malgré les avertissements.

Johnny Hallyday a mené une vie à un rythme effréné : alcool, drogues, nuits blanches incessantes. Eddy Mitchell ne se présente pas en saint, reconnaissant avoir lui aussi partagé certains de ces excès. Cependant, à un moment, Mitchell a choisi de s’arrêter, d’écouter son corps, de devenir « plus sage » et de privilégier la vie. Johnny, lui, n’a jamais ralenti. Il a persisté dans un mode de vie autodestructeur, consumant sa propre existence.

C’est cette différence de parcours qui alimente la rage d’Eddy. Il est convaincu que Johnny « aurait pu vivre plus longtemps », qu’il aurait pu profiter de ses proches et de ses fans pendant des années encore. Le sentiment qui ronge Mitchell est celui d’une immense gâchis, d’un potentiel de vie gaspillé par une absence totale de limites, un refus d’écouter la raison au nom de ce mythe de l’éternel rocker.

Le Rôle Ingrat du Grand Frère

 

Dans cette relation fraternelle, Eddy Mitchell se voyait comme le « grand frère », le seul à oser réprimander la star. « Quand il prenait des choses dérangeantes, je lui disais de se calmer, » se souvient Mitchell, utilisant un euphémisme pour parler de la consommation de drogues. Il raconte avoir tenté, encore et encore, de le raisonner, de lui dire de boire moins, de se coucher plus tôt. Mais Johnny, selon ses mots, « n’écoutait personne » : « Il faisait ce qu’il voulait quand il le voulait. »

Cette liberté absolue, cette incapacité à se fixer des limites, est dépeinte comme la cause principale de sa perte. Le témoignage d’Eddy révèle une réalité que le public a souvent ignorée : l’impuissance de son entourage. Amis, femmes, enfants — personne n’a pu l’arrêter. Mitchell, comme les autres, a assisté, désarmé, à l’autodestruction de celui qu’il considérait comme son frère, une torture psychologique qui ne s’est pas arrêtée avec le décès. La culpabilité de n’avoir pas pu le sauver, de n’avoir pas été assez insistant ou assez dur, ronge encore le chanteur.

Le Refus du Culte et l’Appel à la Vérité

 

La rancœur d’Eddy Mitchell ne s’arrête pas aux excès passés ; elle se manifeste également dans son refus catégorique de la « mytification » posthume de Johnny. Mitchell n’hésite pas à s’opposer à tout ce qui, selon lui, trahit l’esprit et la personnalité de son ami. Il a publiquement qualifié le concert hommage organisé en 2021 de « morbide » et a exprimé son rejet de certaines expositions montées par Laeticia, les trouvant éloignées de la vérité de Johnny.

Son aversion la plus visible est pour la statue monumentale érigée devant Bercy (Accor Arena). Pour lui, ces hommages clinquants et tape-à-l’œil masquent l’homme qu’il a connu, l’ami, avec ses failles et ses faiblesses. En refusant de se contenter de l’hagiographie, Eddy Mitchell cherche à rendre justice à la complexité de Johnny. Il veut que la vérité, même inconfortable et douloureuse, soit dite pour que les gens comprennent et que les jeunes générations n’idéalisent pas un mode de vie qui a tué leur idole prématurément.

L’Ambivalence d’un Amour Inconditionnel

 

En définitive, le « Je lui en veux » d’Eddy Mitchell est l’expression d’une douleur profonde, d’une amitié brisée par un choix de vie. Il n’y a pas de haine dans ses mots, mais une immense tristesse mêlée à une colère froide, celle qui vient du sentiment d’avoir été abandonné.

« Il représente une partie de la mienne, » conclut Mitchell à propos de Johnny. Cette phrase est la clé. On ne peut pas effacer un demi-siècle de vie partagée. La colère d’Eddy est indissociable de son amour. Il lui en veut parce qu’il l’aimait trop, parce qu’il comptait trop, et que sa disparition a laissé un vide que rien ne pourra jamais combler. C’est le regret d’années qui auraient pu être vécues, de concerts qui n’auront jamais lieu, et de moments de complicité qui resteront à jamais au stade de l’imaginaire.

À 83 ans, Eddy Mitchell choisit la voie de la sincérité absolue. Sa colère est égoïste, il l’admet, mais elle est surtout profondément humaine. Elle est le dernier témoignage d’un ami qui n’a pas pu sauver son frère, et qui portera ce regret, cette colère et cet amour mêlés, jusqu’à son dernier souffle.