« On l’appelait “l’homme béni de Dieu”, mais sa richesse venait tout droit du cimetière.

Yaou Blad, viens plus près, baisse la voix. Ce que je vais te raconter, c’est pas une histoire pour dormir, c’est une histoire pour ne plus jamais dormir tranquille. On était tous là à Constantine dans le vieux quartier de Belwisdad, là où les maisons se tiennent les unes aux autres comme des vielles qui ont peur de tomber.

 Les ruelles sentaient toujours le jasmin et le pain chaud. Les enfants jouaient jusqu’à minuit l’été. Les femmes criaient d’une fenêtre à l’autre Fatia, descends le café. Et au milieu tout ça, il y avait Amar. Amar Benaya, 34 ans, toujours rasé de près, toujours une chemise blanche impeccable, même quand il faisait 45°gr.

Il avait cette petite épicerie au coin de la rue des orfèvres, tu sais, là où la porte verte et tout écaillée. Au début, c’était rien. Trois étagères, un frigo qui faisait du bruit et des dettes jusqu’au coup. Mais en 2019, 2020, 2021, wallahà, en 3 ans à peine, Amar est devenu quelqu’un d’autre. trois immeubles neufs, une Mercedes noire AMG qui brillait plus que le soleil, un téléphone pliable que même les fils de ministres n’avaient pas encore.

 Et pourtant, pourtant il restait le même Amar. Quand la petite de Silarby a eu besoin d’une greffe de rein, c’est Amar qui a payé les 800000 dinars cash sans même demander qu’on le rembourse. Quand la vieille Z n’avait plus rien à manger, il lui remplissait le placard et lui glissait 20000 dinars pour le gaz. Quand une mariée n’avait pas de dotte, c’était encore Amar qui arrivait avec une manette pleine d’or.

Les femmes disent entre elles, “Celui-là, c’est un wali. Allah l’a choisi.” Les hommes disaient “C’est la baraka, c’est tout.” Et moi, moi je disais la même chose parce que j’étais son ami. On buvait le tien ensemble tous les vendredis après la prière. Mais il y avait un truc qui nous grattait un peu.

 Tu vois, tous les jeudis soirs à 18h37 précise, je te jure, j’ai chronométré, Amar baissait le rideau de fer. Il sortait avec sa vieille sacoche en cuir noir, celle que son père lui avait laissé avant de mourir. Il mettait son chapelet en bois d’olivier dans la poche gauche et il disparaissait. On leur voyait que le vendredi après Jumo quand on lui demandait “Où tu vas comme ça tous les jeudis Silarby ?” Il souriait toujours le même sourire timide et il répondait toujours la même phrase.

“Je vais voir ma mère à Hein Smara. Elle est très malade. Elle a besoin de moi.” On rchait la tête. On n’a jamais vu cette mère. Et personne personne n’osait insister [Musique] parce que poser trop de questions dans notre quartier, ça porte malheur. Mais cette sacoche noire, elle ne rentrait jamais vide. La première nuit où Amar a entendait parler des eax.

3 ans avant toute cette richesse, Amar était au fond du trou. L’épicerie ne vendait plus rien. Les grossistes ne livraient plus à crédit. Sa femme Samia, une beauté douce avec des yeux verts, pleuraient tous les soirs dans la cuisine et leur fille Lina, ma petite Lina, 5 ans à peine, elle toussait jour et nuit.

 Une tous sèche qui te brise le cœur. Les médecins disaient il faut des antibiotiques forts, des siro importés. Mais Amar n’avait même pas de quoi payer le pain. Un soir de Ramadan 2019, Amar est sorti fumer une cigarette sur les marches du grand cimetière Sidimsid. Tu connais l’endroit ? celui qui est tout en haut, là où les cypress sont noires comme l’encre et où le vent fait un bruit de pleur.

 Il était assis, la tête entre les mains, les larmes coulent toutes seullees. Un vieux s’est approché, un vrai marabou avec une gabas pleine de poussière, les yeux complètement blancs. Il s’est assis à côté de lui sans rien dire. Puis il a parlé tout bas. Tu veux que ta fille arrête de tousser ? Tu veux que l’argent vienne te chercher toi-même ? Amar Harit un rire amer et toi tu vas me sortir une lampe comme Aladin ? Le vieux n’a même pas souri.

 Il a juste dit les morts n’ont plus besoin de leurs eaux. Mais certains eaux gardent encore la barca. Les eaux des caïdes, des seins, des enfants morts jeunes. Si tu sais les prendre proprement, si tu les nettoies avec de l’eau de Zamzam, du sel gris et sep feuilles de haîné. Si tu les fais sécher à la pleine lune et si tu les brûles avec l’encent que je vais te donner, l’argent viendra frapper à ta porte. Amar l’a traité de fou.

 Le vieux a sorti une petite pochette en cuir. Dedans, une poudre blanche qui brillait presque dans le noir. Une seule fois. Essaie une seule fois. Si ça ne marche pas, tu me craches à la figure devant tout le quartier. Trois nuits plus tard, Amar est revenu au cimetière. Il avait emprunté la pioche du voisin. Il a attendu 3h du matin.

 Il a choisi la tombe de Siusin, un ancien caï mort en 1956, enterré avec ses bijoux et son turban brodé d’or. Il a creusé, ses mains tremblaient. Il a ouvert le cercueil pourri, l’odeurà l’odeur. Il a pris le fémur gauche, un seul os. Il l’a enveloppé dans un tissu blanc. Il a tout remis en place. Il a récité la fatig fois. Il a pleuré comme un enfant.

Il est rentré chez lui à l’aube. Le lendemain matin à 9h12 précise, son téléphone a sonné. Un numéro canadien, son cousin qu’il n’avait pas vu depuis 20 ans. Amar, j’ai réveille-toi cette nuit. J’ai senti que tu avais besoin. Je t’ai viré 80000 dollars. Prends soin de ta fille. Amar est tombé à genou dans l’épicerie. Il a embrassé le sol.

 Il a couru acheter tous les médicaments pour Lina. Et le jeudi suivant, il est retourné au cimetière. Et le jeudi d’après. Et le jeudi d’après encore. La machine à richesse et les premières tombes vides. En un an, Amar est devenu millionnaire. En 2 ans, multimillionnaire. Il achetait des immeubles entiers cash.

 Il payait les mariages, les funerailles, les hôpitaux. Il donnait des enveloppes aux imams, aux associations, aux orphelins. Tout le monde l’appelait Siamar Elkarim. Les enfants l’embrassaient dans la rue, les vieilles priaient pour lui. Mais dans le cimetière, c’était l’enfer. Tous les vendredis matin, les gardiens trouvaient des tombes ouvertes, des trous béants, des cercueils éventrés.

 Toujours les eaux longs qui manquaient. Fémur, tibia, humérus, parfois la colonne entière. Les familles hurlaient. On a renforcé les grilles, on a mis des caméras, on a engagé des chiens. Mais rien n’arrêtait le voleur parce que le voleur connaissait chaque recoin du cimetière. Il connaissait chaque passage secret. Il connaissait chaque tombe riche.

 Et personne, personne ne faisait le lien entre les tombes profanées et l’homme le plus généreux du quartier. Lina avait maintenant 7 ans. Une petite beauté avec les yeux de sa mère et le sourire de son père. Mais elle ne jouait plus avec les autres enfants. Elle passait des heures assises dans le jardin à parler toute seule.

Un jour, Samia la surprise. Avec qui tu parles, ma puce ? Lina, très calme, avec tonton Abdel Kader, il n’a plus de jambes. Il dit que papa les a prises. Abdel Kader, c’était un ancien combattant enterré en 1968. Amar avait pris ses deux tibias 6 mois plus tôt. La nuit, Lina se réveilla en hurlant. Papa a pris leurs ils marchent sans eau maintenant. Ils sont tout mou.

 Ils ont froid. Amar la secouait. Tais-toi, ce sont des cauchemars. Il lui achetait des poupées, des tablettes, des robe de princesse, mais les voix continuaient. Un soir, la vieille Temma, celle qui lit les coquillages, est venue frapper à la porte. Elle a refusé l’argent qu’A voulait lui donner.

 Elle a juste dit les larmes aux yeux : “Rends les os, Amar, rends-les avant qu’il prennent ta fille. Les morts ne prêtent jamais gratuitement. Ils finissent toujours par reprendre avec les intérêts. Amar l’a mise d’or. Il lui a crié vieille folle, va lire tes cailloux ailleurs. En 2023, Amar a trouvé la tombe parfaite.

 Un petit garçon mort en 1964 à l’âge de 7 ans, fils unique d’un grand baie. Enterrir avec un petit corant en or et une bague en émeraude. Les eau d’enfants, disait-on, c’est la baraca absolue. Un acheteur de Dubaï lui avait promis 1 million d’euros cachon. Ce jeudi-là, Amar a creusé plus profond que jamais. Il a sorti le petit squelette.

 Les eau étaient blancs, presque transparents. Il les a tout pris, tous. Il les a enveloppé dans un tissu en soie rouge. Il est rentré chez lui en s’y flottant. Mais quand il a poussé la porte, Samia était par terre en larme les cheveux décovés. Lina Lina a disparu. On a cherché partout dans le jardin, dans les ruelles, chez les voisins, chez les cousins. Rien.

À 2h17 du matin, le téléphone d’Aar a sonné. Numéro masqué. Une voix d’homme très vieille, très calme. Tu as pris les os de mon fils il y a 60 ans. Ce soir, je prends ta fille. Tu as jusqu’à l’aube pour rendre ce que tu as volé. Clic ! Amar est devenu fou. Il a couru au cimetière. Il a tout sorti de la sacoche.

 Il a remis les petits eau dans le cercueil. Il a pleuré. Il a supplié. Il a embrassé la terre. Il a récité toutes les sourates qu’il connaissait. Mais l’aube est arrivée et Lina n’est pas revenue. Le prix que personne n’avait prévu. 3 jours plus tard, le gardien du cimetière a appelé Amar en hurlant. On a retrouvé la petite posée délicatement sur la tente du garçon du B.

 Elle respirait encore, mais son corps, il n’y avait plus un seul os, rien que la peau, les muscles, les organes comme une poupée de chiffon vivante. Ses petits yeux verts regardaient son père. Elle a murmuré très faiblement. Papa, j’ai froid, je n’ai plus d’os. Elle est morte 6 heures plus tard dans les bras de Samia.

Amar n’a plus jamais parlé normalement. Il a tout vendu. Les immeubles, la Mercedes, les bijoux. Il est retourné vivre dans la petite épicerie du début et tous les jeudis soirs, il va au cimetière mais il ne prend plus rien. Il s’assoit sur la tombe de sa fille et il pleure jusqu’au matin.

 Aujourd’hui, si tu passes devant l’épicerie, le rideau est baissé. Mais Amar est là, assis sur une chaise en plastique, les yeux dans le vide. Son corps s’affesse un peu plus chaque année. On dit qu’il perd un os à chaque anniversaire de la mort de Lina. D’abord un doigt ou une côte ou une vertèbre. Ils font lentement comme une bougie. Et la leçon que les vieux répètent encore le soir quand les enfants demandent pourquoi on ne devient pas riche trop vite ? Écoute bien Yaouidi.

La richesse qui vient sans travail, elle sent toujours la terre humide. L’argent qui tombe du ciel, il a toujours un goût de larme. Et derrière chaque fortune inexplicable, il y a toujours une tombe ouverte. Et derrière chaque tombe ouverte, il y a toujours un enfant qui attend son du et parfois très tard la nuit, quand le vent vient du cimetière si dimciide, on entend une petite voix sans corps qui marche dans les ruelles.