On a dû briser le cercueil de Mâ Kondo…

On a dû briser le cercueil de Ma Condo, les histoires de Flud. Moi Maondo, fille de Capenou, je parle. Que la terre m’entende. Tant que je vivrai, plus aucun de mes deux fils, ni alou ni faustin, ne quittera ce village. Qu’ils essaient, qu’ils fassent des projets. Et vous, esprit, fermez-leur les routes. Ils sont nés ici, ils mourront ici.

Qu’il en soit ainsi aussi pour mes petits enfants. C’était la 4e nuit consécutive que le pasteur Cédric se réveillait en sursau. Cette nuit-là, c’était différent. Il avait vu une femme. Elle marchait seule dans un champ sec. Une mchette émoussée à la main, taillant les hautes herbes d’un sentier invisible.

 Dans chacun de ces gestes, une force étrange vibrait comme si elle repoussait quelque chose que personne d’autre ne pouvait voir. À mesure qu’elle avançait, le sol s’assombrissait, mais elle ne reculait pas. Elle continuait de débroussailler les bras en sang, murmurant : “Je ne gagnerai peut-être pas, mais je trace chemin pour eux, pour mes enfants, pour qu’il n’ait pas à marcher dans les ténèbres comme moi.

” Le pasteur avait voulu lui parler, mais sa gorge était restée scellée. Il n’était qu’un témoin. Et juste avant que tout ne disparaisse, la femme s’était tournée vers lui. Ses yeux brillaient d’un éclat surnaturel. Et c’est en ce moment que Cédric se réveilla. Au matin, il envoya un message vocal à l’un de ses fidèles, Mandy.

 Il priait avec lui depuis un mois. Il n’avait jamais vu la femme du rêve dans la vie réelle, mais l’esprit lui avait soufflé que c’était sa mère. Elle était morte des années plus tôt, sans reconnaissance ni paix. Mandy rappela le pasteur. Elle m’a dit que son combat n’était pas pour elle, mais pour vous, ses enfants, dit le pasteur.

 À l’autre bout des sanglotes étouffés, Mandy reprit. Elle disait ça souvent, même avant de mourir. Ce fut le début du soulèvement des souvenirs, le commencement de la vérité. Celle qui leur avait donné la vie avait dû affronter une lignée où la malédiction se transmettait par héritage. C’est l’histoire de Nombé.

 Lorsqu’elle descendit du camion bâché qu’il avait laissé au bord de la piste rouge, son mari à ses côtés, les regards s’étaient tournés sans sourire, sans accueil. Nombé avançait, son sac à la main, les yeux fixés sur l’horizon du village Koyasi qui allait devenir le sien. Il y a quelques jours, son mari accompagné par ses oncles était passé payer sa dotte.

 Elle était jeune, encore pleine d’espoir. Son mari, Faustin lui avait parlé du village comme d’un coin paisible où les ancêtres veillaient, où la terre nourrissait, où les anciens bénissaient les mariages. Mais dès qu’elle franchit la barrière qui marquait l’entrée de la concession familiale, elle comprit que ce qu’on lui avait vendu n’était pas toute la vérité.

Une vieille femme se tenait debout, droite malgré l’âge, les bras croisés sur la poitrine. Ma condo, la mer de Faustin. Un regard noir comme la nuit et aussi tranchant. Pas un mot, juste cette façon de la dévisager comme si elle fairait quelque chose de menaçant. C’est elle ? Avait-elle seulement dit.

 Faustin mal à l’aise hocha la tête. Oui maman, ma femme. Maondo tourna les talons. Celle-là, on verra bien. Nombé entra dans la chambre qu’on lui avait assigné. Faustin lui caressa la main, lui glissa quelques mots doux puis repartit chercher de l’eau. C’est à la tombée de la nuit que tout commença. Nombé venait de s’asseoir sur le lit lorsqu’une voix l’appela doucement depuis l’obscurité.

Ma belle fille, viens elle ouvrit la porte. Maondo se tenait là seule comme sortie des ténèbres. Elle lui fit signe d’entrer dans sa chambre. Tu peux t’asseoir”, dit Macondo. Nombé, obéit, tendu. Maondo la fixa longuement puis parla d’une voix calme. Ici, dans cette lignée, les femmes ne survivent pas en étant faible.

 Il faut savoir, offrir quelque chose, partager ce qui te sera demandé, accepter le pacte. Nombé ne comprenait pas. Elle frança les sourcils. Quel pacte ? La vieille sourit, le vrai mariage. Celui qui ne se fait pas devant les hommes, mais devant ceux qui vivent dans la poussière. Elle tendit une petite fiole d’argile noircie.

 Bois et je te montrerai comment survivre ici. Nombé resta la gorge sèche. Non, je je suis venue pour aimer, pas pour. Alors, tu mourras, murmura Maondo. Ce soir-là, Nombé refusa. Elle quitta la pièce en tremblant. Maondo a rendu la vie dure à Nombé pour l’avoir défié et refusé le pacte. Durant 5 années, Elna ne serait-ce qu’une fois senti la vie grandir en elle.

 À partir de là, les femmes du village commencèrent à chuchoter. Elle vient d’ailleurs, disait l’une. Peut-être qu’elle a laissé quelque chose non réglé chez elle, ajoutait une autre. Ou peut-être que c’est la vieille qui bloque tout osa une plus jeune. Mais Maondo n’avait pas besoin de parler pour faire terre les rumeurs.

 Un simple regard suffisait. Dans tout le village, son nom portait un poids qu’on ne prononçait jamais à la légère. Personne n’osait la contrarier. Personne n’osait refuser une de ses demandes. La 6e année, alors que plus personne n’y croyait, Nombé sentit la vie reprendre dans son ventre. Elle n’en parla à personne, pas même à Faustin.

 Elle attendit que les semaines passent, que les douleurs habituelles ne reviennent pas, que les rêves étranges cessent. Un dimanche après-midi, dans une assemblée spirituelle tenue en dehors du village, une communauté de prière Nombé se tenait à côté, les bras croisé sur sa poitrine. Le pasteur s’approcha d’elle.

 Par cet enfant, la chaîne se rompera. Par elle, ce qui était interdit sera possible et celle que l’on appelle stérile enfantera le renversement. Nombé tremblait, des larmes coulaient sans bruit sur ses joues. Ton combat ne sera pas dans le ventre, il sera dans l’esprit. Ils essaieront de t’atteindre là où l’enfant ne pourra pas encore se défendre.

 Mais souviens-toi, tu n’as pas été choisi pour enfanter un bébé. Tu as été choisi pour enfanter une brèche. Ce fut au 4e mois que Makondo la regarda longuement dans la cour pendant que Nombé puisait de l’eau. Puis elle dit simplement : “Celui-là, il va naître.” Nombé ne répondit pas, mais une peur froide remonta dans sa gorge, car ce n’était pas une bénédiction, c’était une sentence.

 Le ventre grandit, les regards changèrent à nouveau, mais Nombé restait méfiante. Elle ne dormait pas souvent, car dans ses rêves, elle voyait le même enfant, mais dans des décors différents, parfois dans des chaînes, parfois dans une lumière aveuglante, parfois dans les bras de Maondo. La nuit qui précéda l’accouchement, Nombé fit un rêve qui la fit hurler dans son sommeil.

 Elle vit une route goudronnée, traversant des terres qu’elle ne connaissait pas. Et un homme marchait seul, une valise à la main, mais derrière lui, des silhouettes floues noires le suivaient à distance. Et à mesure qu’il avançait, une voix répétait : “Ce n’est pas le sien, il ne t’appartient pas.

” Elle se réveilla en sueur et sa poche des eaux se rompit. L’accouchement fut long, douleur sur douleur. Les vieilles femmes du village s’agitaient autour d’elle, marmonant des prières. Mais ce n’était pas elle qu’elle en voulait, c’était Faustin. Il était resté dehors. Maondo avait dit qu’il ne devait pas entrer. Et quand enfin l’enfant glissa de son ventre, criant comme pour défier la mort, un silence tomba dans la pièce.

 Faustin entra, il tomba à genoux. Il pleura. Il le nomma Mandy. Mais Maondo, elle refusa de répéter ce nom. Elle murmura entre ses dents assez bas pour que seul Nombé entende : “Celui-là n’était pas pour toi.” Et dans la nuit suivante, quand tout le monde dormait, Nombé trouva une poudre noire déposée en cercle autour du berceau et un filet rouge comme du sang coulant sur la pierre près de la porte.

Elle comprit ce que cela voulait dire. Cet enfant, elle allait devoir le protéger. Quelques temps après, Faustin trouva un emploi en tant qu’enseignant dans le village voisin, là où Nombé avait reçu la révélation sur son enfant. Ils s’y rendirent ensemble dans ce village, ils partirent à l’église un jour.

 Ils voulaient consacrer l’enfant, remercier. Le pasteur, en voyant l’enfant, ne dit rien d’abord. Il le prit dans ses bras, le regarda longtemps. Puis après une prière silencieuse, il reposa l’enfant dans les bras de sa mère et dit : “Cet enfant est une brèche dans les chaînes de sang, mais la chaîne n’est pas rompue, elle est tendue.

 Si vous retournez là où elle a été forgée, elle se refermera, Nombé compris immédiatement. Il parlait du village de Maando, mais Faustin lui serra les points. On ne va quand même pas renier nos racines pour les dire d’un pasteur. Ce n’est pas un rêve, répliqua le pasteur. C’est une instruction. N’y retournez pas. 4 ans plus tard, Faustin reçut une visite inattendue.

 Un homme venu recommander une opportunité. Le directeur de l’école communautaire de Koyasi m’a dit qu’il cherche un jeune homme instruit pour le poste d’enseignant et il sait que tu es du coin. Faustin hésita. Pourquoi moi ? Il ne me connaît même pas. Il a été informé par une connaissance, une vieille du village. Faustin ne fit pas le lien avec sa mère.

 Il se dit que c’était Dieu, que c’était la bénédiction du garçon. Il accepta l’offre sans consulter nombé. Quand il lui annonça, elle blémit : “Koyasi, mais tu te rappelles ce que le pasteur a dit ? L’enfant ne doit pas.” Et donc, on va refuser un travail qui est bien payé parce qu’un pasteur a eu une intuition, s’énerva-t-il.

 Tu veux qu’on meure de faim dans une maison étrangère ? Nombé ne répondit pas et dans la nuit, elle rêva d’un serpent qui faisait le tour de la case encore et encore sans jamais mordre. Ils revinrent donc au village. 4 ans après l’avoir fui, Nombé franchit à nouveau la cour de Koyasi, tenant la main de son fils.

 Maondo les attendait déjà, assise sur son tabouret, elle posa simplement les yeux sur l’enfant et pendant une seconde à peine, il sembla que ses lèvres bougeaient sans bruit. Nombé sentit la poigne invisible revenir et le combat recommença. Le petit Mandi grandissait bien, il dormait paisiblement. Faustin lui, semblait s’épanouir.

 Le père comblé, l’homme enfin respecté. Il commença le travail dans une école du village. Il se leva tôt, revint tard, parlait d’avenir, de construire une maison en dur. Nombé voulait y croire, mais elle savait que quelque chose veillait. Et puis elle tomba de nouveau enceinte. Faustin en l’apprenant se contenta d’un Dieu fera ce qu’il veut.

 Malgré la fatigue, les fièvres, les crampes fulgurantes, l’enfant resta. Pendant 8 mois, elle teint bon. Le 9e mois, le travail commença douloureux. Mais au petit matin, un cri perça l’air chaud. Une belle petite fille nommée Asseya. Un semblant de paix régigna pendant quelques temps. Puis la maladie commença.

 Faustin rentra un soir avec un vertige. La semaine suivante, il ne pouvait plus marcher. Son dos se couvrait de plaques noires. Sa peau se fendait, laissant apparaître une chair à vif et bientôt une odeur, celle de la décomposition. Les anciens vins, parlèrent bas, murmurèrent des mots interdits. Nombé, refusaient de croire ce qu’ils insinuaient.

 Mais un soir, alors qu’elle changeait les draps imbibés de sueur et de pu, elle vit une chose qu’elle ne expliquer. Un morceau de peau de son mari était resté accroché au tissu. Elle resta là, les mains tremblantes. Faustin appelait sa mère dans son sommeil. Une nuit, il se redressa soudain, les yeux révulsés et hurla. Elle me mange de l’intérieur.

 Et dans la pièce voisine, Makondo, chantait doucement. Un chant qui glaçait les eaux. Faustin s’affaiblit rapidement. Son corps n’était plus qu’une plaie. On le tournait sur un lit couvert de feuilles de bananiers pour éviter que les verrs ne gagnent le sol. Mais rien n’y faisait. Il se désagrégeait vivant. Et pourtant, Maondo ne versait pas une larme.

 Elle le veillait en silence, les mains jointes. Et elle dit calmement : “C’est le sang de l’homme qui protège la lignée. Il a choisi de te protéger, toi.” Il savait ce qu’il faisait. Le lendemain, Faustin rendit son dernier souffle. Il n’avait presque plus de visage, juste une chair noircie, craquelée. Son corps fut enveloppé dans un pagne rouge, posé sur une natte et enterré rapidement.

 Au moment de l’enterrement, Maondo s’avança devant l’assemblée et parla. “Vous pensez que j’ai tué mon fils ?” demanda-t-elle sans détour. “Vous pensez que j’ai nourri ma propre chair pour mieux l’avaler plus tard ?” Personne ne répondit. “Mais qui d’autre l’a porté 9 mois dans son ventre ? Qui l’a nourri ? Lavé, aimé ? Qui d’entre vous l’a sauvé de la fièvre quand il avait 2 ans ? Elle marqua une pause. Son regard balaya la foule.

Est-ce que la poule qui couvre ses œufs les bois quand elle a soif ? Si c’est ce que vous croyez, alors je suis cette poule. Que celui qui me juge vienne casser mes os maintenant. Elle jeta un regard bref à nombé puis se détourna. Un murmure courut dans l’assemblée. Les plus âgés baissèrent les yeux mais personne n’avait osé la contredire.

 Une semaine après l’enterrement, Maondo se leva et dit : “La voix sèche, mon fils est mort. Il est rentré dans la terre. Il a payé pour une faute qui n’était pas la sienne. Que la terre le juge.” Elle se retourna vers Nombé et dit d’un ton froid : “Il t’a laissé un héritier, mais sais-tu seulement pour qui cet enfant a été mis au monde ?” Et elle s’éloigna.

Nombé resta là. Elle comprenait enfin. La maladie de Faustin n’était pas un châtiment, c’était un échange. Et elle savait désormais que son combat ne faisait que commencer. La mort de Faustin laissa un vide, mais pas de silence. Le village brissait, les langues s’agitaient. Certains disaient que c’était la sorcellerie, d’autres que c’était le prix à payer pour avoir épousé une étrangère qui refusait les coutumes.

 Après la mort de Faustin, la maison devint un lieu de silence et d’éco. Les années passèrent, les enfants grandirent. Nombé s’occupait d’eux avec une tendresse résignée. Le garçon, lui, n’était plus tout à fait le même. À 17 ans, il avait le regard d’un vieillard qui avait tout vu. La nuit, il dormait peu. Quand il dormait, il transpirait.

Il chuchotait parfois. Et un nom revenait, toujours. Ma Condo. Il y avait quelque chose qu’il voulait dire depuis longtemps. Ce fut un soir alors que sa mère était assise dans la cour qu’il se planta devant elle. Maman,” dit-il, je ne veux pas mourir ici.” Nombé le regarda longtemps. Elle posa une seule question.

 “Tu veux partir ?” Ilcha la tête et s’assit à ses côtés. “Je ne dors plus. Papa me parle et parfois, je vois grand-mère assise au pied de mon lit.” Un frisson traversa Nombé. “Tu sais que tu es encore jeune. Le monde là-bas, ce n’est pas facile. Ce qui est ici n’est plus vivable. Je sais que tu me caches des choses, que tu pries dans le noir.

Je sens des choses que je ne comprends pas. Je dois partir maman. Elle voulut l’arrêter, dire qu’il exagérait, qu’il avait peur, que ce n’était qu’un rêve, mais elle se tue car elle savait qu’il avait raison. Le lendemain, Mandy parla à un homme, un blanc, un vieil acheteur d’or qu’on appelait Milo.

 Il vivait entre deux frontières. On disait qu’il avait des contacts partout, des routes secrètes, des solutions. Mandy n’avait échangé avec lui que quelques mots au marché, mais l’homme avait perçu quelque chose. “Je ne peux rien te promettre”, dit Milo, “ma on verra.” Un jour, le vieil homme le fit appeler et la fuite commença.

 Mandy disparut une nuit, nombé dessus avant même d’ouvrir la chambre. Elle sentit l’absence comme on sent le vent avant la pluie. Pendant des mois, aucune nouvelle. Puis un matin de janvier, un ancien instituteur vint à la maison. Il tendit une lettre. On m’a dit que c’était pour vous. Ça vient d’un centre communautaire de la ville. Je crois que c’est ton fils. Elle l’ouvrit.

Je suis vivant, mais je sens encore le souffle de grand-mère sur ma nuque. Je prie, je tiens, mais ne lui dis pas que je suis vivant. Ne parle jamais de moi à ma condo. À chaque lettre, c’était la même peur, le même silence. Nombé ne répondait pas. Elle priait. Elle enfouissait chaque message dans une boîte rouillée cachée sous les tuiles de la cuisine, loin des regards, loin des oreilles, car elle savait, on pouvait fuir un village, mais pas l’appel du sang.

 Le temps passa et Nombé tomba malade. Les derniers mois de Nombé furent lents. Son corps devenait plus fragile. Asseya, sa fille de 15 ans, veillait sur elle. L’enfant avait grandi vite. Elle avait appris à se taire, à observer. Elle savait que sa mère souffrait, mais elle ne posait pas de question. Elle se contentait d’être là, de préparer l’eau chaude, d’écraser les plantes et un soirber la plat.

 Ahya ! Oui maman ! Écoute bien, je n’ai pas beaucoup de temps, il faut que tu saches.” Elle toussa. Un filet de sang vint teinter le coin de ses lèvres. Quand la vieille mourra, la vraie, pas moi, l’autre. Alors votre délivrance commencera. Asseya cligna des yeux. “Tu parles de grand-mère ?” Nombé répondit. Elle a tout gardé, même ce qui ne lui appartenait pas.

 Puis elle posa une main sur le bras de sa fille. Ne pleure pas quand je partirai. Garde les yeux ouverts, car ce que j’ai vécu ne doit pas te poursuivre. Cette nuit-là, Asseya ne dormit pas et une semaine plus tard, Nombé rendit son dernier souffle. Elle fut enterrée à l’aube, là où Faustin avait été mise en terre, mais les mots qu’elle avait laissé restaient gravé dans l’âme de sa fille.

 Trois mois passèrent. Puis un soir dans la cour de la concession, la lampe accrochée à l’entrée de la chambre de Maondo, celle qui s’allumait chaque soir sans exception, resta éteinte. Au matin, on trouva Maond allongé sur son lit, parfaitement droite, comme une statue funéraire. Mais ce ne fut pas sa mort qui choqua le village.

 Ce fut ce qui suivit. Le cercueil avait été placé dans sa chambre sans difficulté la veille, selon leur tradition. Mais le lendemain, quand on voulut transporter son corps vers l’extérieur dans la cour, le cercueil refusa de passer la porte. Il était devenu trop large. Il bloquait net dans l’ouverture comme si la porte s’était rétrécie ou pire, comme si le bois lui-même avait enflé dans la nuit.

Plusieurs hommes s’imirent. Ils poussèrent, tournèrent, levinent. Rien n’y fit. L’un d’eux murmura : “Ce n’est pas normal.” Un autre plus hard dit à voix basse : “Elle ne veut pas partir.” Alors, il durent briser le cercueil en plusieurs morceaux, à coup de machette, de pieds, de marteau. Le bois éclata sous les cou, éparpillant des éclats sur le sol. Son corps était intact.

 On le plaça directement sur un vieux tapis et ainsi fut portée vers la tombe. Le soir tomba rapidement. Dans la cour, l’ambiance était silencieuse. Un bœuf a été tué pour la cérémonie. Les femmes refusaient de pleurer à voix haute. Les enfants étaient tenus à l’écart. Seuls les anciens récitaient à voix basse. Puis la nuit se fendit.

 Le village entendit les cris dans la cour. Ce n’étaient pas des animaux qui criaient. Ce n’étaient pas des vivants non plus. Dans l’ombre, des formes minuscules passaient furtivement agitées. Certains crurent d’abord à des enfants perdus. Mais ce n’étaient pas des enfants. Leur visages étaient ceux de vieillard ridés et dentés. Les femmes s’enfuirent.

 Les créatures couraient, grognant, ricanant, bondissant sur les restes de nourriture que l’on avait laissé dans les calbasses de la veillée. Ces créatures ne mangeaient pas. Elles flient, léchaient et reniflaient les eaux avec avidité. L’un des anciens voulut les chasser avec son bâton.

 Son bras resta en plein air, paralysé. Les autres n’osèrent plus bouger. Les créatures hurlèrent tous en même temps comme un seul souffle. Leurs silhouettes disparurent, se repliant dans les hautes herbes comme aspiré dans l’obscurité. Le lendemain, personne n’osa parler de ce qu’il s’était passé cette nuit-là. Une semaine s’était écoulée depuis que la terre avait refermé son étreinte sur Maondo.

 C’est ce lundi-là que l’oncle Tonton Alou, deuxè fils de Maondo, reçut un appel. Cela faisait plus de 10 ans qu’il n’avait plus travaillé. Ancien instituteur formé à la capitale, il était revenu au village avec son diplôme en main et l’espoir au ventre. Mais l’espoir s’était fané. À chaque poste demandé, à chaque dossier envoyé, toujours la même réponse.

 Poste déjà pourvu ou pire, votre dossier est introuvable. Il avait fini par abandonner, par apprendre à tailler le bois. Mais ce matin-là, son téléphone avait sonné. Une voix avait demandé “Monsieur Halou est-il toujours vivant ?” Il répondit confus et la voix avait continué. “Nous avons retrouvé un dossier oublié.

 Il avait glissé derrière un meuble dans le bureau des archives. C’est une candidate à la retraite qui est tombée dessus en rangeant ses affaires. Votre profil nous intéresse toujours. Un poste est vacant. Êtes-vous disponible pour passer un entretien le jeudi ? Il n’avait pas su quoi répondre. Il avait simplement murmuré : oui. La nouvelle se répandit rapidement mais Alou n’était pas le seul.

 Le lendemain au marché, une femme stérile depuis toujours sentit soudain des douleurs étranges au bas ventre. Tro semaines plus tard, elle confirma l’impensable. Elle attendait un enfant. Assey elle, observait tout cela avec calme. Elle voyait les changements. Mais certains soirs, elle ouvrait la boîte de fer où sa mère cachait les lettres de Mandy, son frère.

 Elle les relisait et une phrase de nombé lui revenait sans cesse. Quand la vieille mourra, votre délivrance commencera. Elle comprenait maintenant. Ce n’était pas une simple malédiction qu’elles avaient traversé. C’était une emprise et cette emprise venait d’être brisée. 5 ans avaient passé depuis les cris du cercueil, depuis que le nom de Makondo avait cessé d’être prononcé à voix haute.

 Le village de Koyasi avait changé. Mandy revint un jour de saison sèche. Personne ne le reconnut tout de suite. Il marchait comme un homme qui revient de loin. Il alla s’asseoir sur la tombe de Nombé. Il resta là longtemps. Puis il se leva, marcha jusqu’à la concession avoisinante. Là, il trouva Asa dans la maison de son mari.

 Elle aussi avait grandi. Elle n’eut pas besoin de l’appeler. Elle ouvrit les bras. Il s’y réfugia comme un enfant. Les jumeaux d’Asseya jouaient à côté. Le sentier était libre. Il avait été débroussaillé, tracé à coup de sacrifice, de douleur, de refus. Nombé avait eu raison. Elle n’avait pas gagné la guerre mais elle avait ouvert la voie.

 Et maintenant, ces enfants, ses petits-enfants, les enfants de ses enfants avançaient s’en chaîne. Les chaînes les plus lourdes ne sont pas celles qu’on voit, mais celles que l’on hérite. Briser un cycle de malédiction exige parfois de désobéir, de souffrir et de résister là où d’autres ont cédé. Merci d’avoir suivi cette histoire.

N’oublie pas de laisser un j’aime et de t’abonner. À la prochaine pour une nouvelle histoire.