Dans une audition parlementaire particulièrement attendue ce mardi 5 novembre 2025, le ministre de l’Économie Roland Lescure s’est retrouvé face à un sénateur déterminé : Fabien Gay, bien décidé à faire entendre ce qu’il considère comme les vérités que le gouvernement refuse de voir. Ce moment de tension politique, devenu viral en quelques heures, illustre à la fois un malaise institutionnel et un débat profond sur la justice sociale, la fiscalité, les priorités budgétaires et le futur industriel de la France.

Dès les premières minutes de son intervention, Fabien Gay met les choses au clair : « Vous avez perdu les élections il y a un an », rappelle-t-il fermement au ministre, dénonçant ce qu’il perçoit comme un décalage entre la légitimité électorale et la continuité de la même ligne politique. Selon lui, aucun pays démocratique ne maintiendrait en place un gouvernement battu qui persiste pourtant à appliquer un programme qui n’a plus l’assentiment des électeurs. Le sénateur n’est pas venu pour faire de la figuration ; il est venu dire ce qui, selon lui, doit être dit.

Il attaque ensuite un point précis : la réduction de l’enveloppe dédiée à la prime de Noël. Alors que cette aide, certes modeste, représente un moment de répit financier et moral pour les personnes les plus précaires, le gouvernement prévoit, selon ses mots, de la diviser par deux. Fabien Gay insiste : « Les bénéficiaires du RSA à 646 euros par mois ont, eux aussi, droit à un petit bonheur en fin d’année. » Il rappelle que même sans enfant à charge, ces personnes peuvent souhaiter offrir un repas de fête ou faire quelques cadeaux à leurs proches. Une privation jugée injuste, presque indécente, lorsqu’elle est comparée à la décision du gouvernement de refuser une taxe de 2 % sur les 1 800 milliardaires proposée par l’économiste Gabriel Zucman, soutenu par plusieurs prix Nobel.

Pour le sénateur, la contradiction est flagrante : économiser 200 millions sur les plus pauvres tout en préservant les ultra-riches, c’est faire un choix politique assumé, mais difficilement défendable moralement. Il interpelle le ministre : « Quel compromis recherchez-vous exactement ? » La question résonne dans la salle.

Il enchaîne ensuite sur un autre dossier explosif : l’avenir d’ArcelorMittal et la décarbonation des hauts-fourneaux. Pour Fabien Gay, l’entreprise ne montre aucune volonté réelle d’avancer. Il rappelle que la décarbonation nécessite la construction urgente d’une ligne à haute tension entre Gravelines et les deux hauts-fourneaux, une infrastructure indispensable qui, selon les salariés rencontrés la veille, n’est même pas engagée. Sans cette modernisation dans les six mois, prévient-il, la décarbonation ne sera jamais prête en 2030, et les hauts-fourneaux risquent de fermer. Pour lui, la question n’est pas idéologique : « Mittal ne décarbonera pas. Nous le savons. Alors, que fait-on ? » Il propose à demi-mot la nationalisation, déjà évoquée par plusieurs groupes politiques.

Face à cette offensive, Roland Lescure prend un ton calme mais ferme. Il commence par rappeler qu’il a, lui, remporté son élection personnelle : « J’ai été réélu trois fois », insiste-t-il, laissant entendre qu’il demeure légitime aux yeux de ses électeurs. Selon lui, ce gouvernement cherche à travailler avec tous ceux qui veulent que la France avance, indépendamment des clivages traditionnels. Il rappelle que plusieurs élus — y compris des communistes, des écologistes et certains socialistes — ont refusé de voter la censure, preuve selon lui qu’un compromis national est bel et bien possible.

Le ministre énumère ensuite les concessions faites récemment : la suspension de la réforme des retraites, qu’il reconnaît n’avoir pas accueillie avec enthousiasme mais qu’il juge nécessaire pour préserver la stabilité politique ; l’introduction d’une surtaxe exceptionnelle de 2 milliards appliquée aux plus grandes fortunes, venant s’ajouter à 4 milliards déjà votés. Pour lui, la justice fiscale est bien au rendez-vous, même si elle ne prend pas la forme souhaitée par la gauche.

Concernant la taxe Zucman, Roland Lescure met en garde : un impôt mondial serait souhaitable, mais un impôt uniquement français pourrait faire fuir l’outil de production. Il insiste sur un point : si les actionnaires familiaux de nombreuses entreprises françaises de taille intermédiaire doivent vendre leurs parts pour payer l’impôt, ils les vendront soit à l’État — ce qui n’est pas la vocation de celui-ci — soit à des investisseurs étrangers. Il refuse donc un dispositif qui, selon lui, menacerait directement la souveraineté économique.

Sur ArcelorMittal, le ministre reconnaît la difficulté mais défend l’entreprise comme un « champion industriel mondial ». Il promet de vérifier personnellement auprès du président de RTE que la fameuse ligne électrique figure bien dans leur plan de développement, tout en soulignant que la France a déjà consenti des investissements massifs — près de 900 millions d’euros — pour accompagner la décarbonation.

Au final, cette audition a mis en lumière un clivage profond, non seulement entre deux hommes politiques, mais aussi entre deux visions de la justice sociale, de la fiscalité et de l’avenir industriel du pays. Entre un discours ancré dans les réalités sociales et un autre fondé sur la prudence économique et la stabilité industrielle, le débat reste ouvert. Une chose est certaine : cet échange animé aura marqué les esprits.