“Vous êtes déconnectée du sujet” : Face à Sandrine Rousseau, le cri d’alarme du monde agricole révèle l’hypocrisie française sur les pesticides et les importations

Sandrine Rousseau : plainte contre son inscription sur les listes  électorales à Paris en 2022

Le débat public français est souvent un champ de bataille où s’affrontent des visions du monde irréconciliables. Mais lorsqu’il s’agit de l’agriculture, l’affrontement prend une dimension dramatique, touchant à la survie économique des uns et à la santé publique des autres. Récemment, l’autorisation renouvelée de certains insecticides, notamment la dérogation concernant le Movento et la question plus large de l’acétamipride, a mis le feu aux poudres, cristallisant une fracture béante entre le terrain et les sphères politiques parisiennes. Au cœur de cette tempête, l’agriculteur céréalier Bruno Cardau et la députée de Paris Sandrine Rousseau incarnent l’opposition radicale de deux France qui ne se comprennent plus.

Le récit commence dans l’urgence des Hauts-de-France, où Bruno Cardau, agriculteur, se trouve confronté à un scénario cauchemardesque : la résurgence du virus de la jaunisse qui dévaste ses champs de betterave sucrière. Avec une franchise teintée de désespoir, il décrit la progression de la maladie : des pucerons virulifères qui transmettent la jaunisse, transformant une seule betterave malade en une contamination exponentielle. “Je le scénario cauchemar de 2020 où j’ai perdu 45 % de ma production est en train de se reproduire,” alerte-t-il.

Pour M. Cardau, le recours aux insecticides comme le Movento ou l’acétamipride n’est pas un choix idéologique, mais une nécessité vitale. C’est le seul rempart, aussi imparfait soit-il, contre la ruine. Il rappelle un point fondamental souvent oublié dans les débats de salons : “la rentabilité n’est pas un gros mot. La rentabilité est importante pour aller vers les fameuses transitions”. En d’autres termes, on ne peut pas demander aux agriculteurs d’opérer une transition écologique coûteuse, comme le Plan National de Recherche et d’Innovation (PNRI), si on les condamne d’abord à la faillite.

Le PNRI, ce programme lancé en 2020 pour trouver des alternatives durables aux insecticides neurotoxiques, dispose d’un budget de 20 millions d’euros sur cinq ans. Si l’intention est louable, les faits sont têtus. En 2023, les premiers résultats ont été jugés “peu concluants par certains agriculteurs”, notamment en raison de leur inefficacité notoire contre le virulent virus de la jaunisse. L’alternative n’est pas prête. Le terrain est donc laissé à la maladie et à l’urgence économique.

L’urgence de M. Cardau n’est malheureusement pas un cas isolé, elle est symptomatique d’un secteur en crise profonde. Les chiffres du ministère de l’Agriculture et de l’INSEE dressent un tableau sombre et accablant : en 2023, seul 50 % des agriculteurs français parviennent à tirer un revenu suffisant pour vivre uniquement de leur activité. Pour les filières critiques comme l’élevage bovin, ce taux chute à 38 %. La moyenne nationale du revenu disponible pour un non-salarié agricole n’était que de 20 800 € en 2022, un chiffre qui masque de terrifiantes disparités. Le quart des moins rentables gagne moins de 8 000 € par an, tandis que près de 20 % déclarent vivre sous le seuil de pauvreté.

Cette précarité est le fruit d’un rapport de force déséquilibré. Une partie significative de la valeur ajoutée agricole est captée en amont par les fournisseurs d’intrants (les “Monsanto, Bayer, et cetera”) qui vendent leurs produits très chers, et en aval par la grande distribution. L’agriculteur se retrouve pris en étau, pressé de toutes parts. La rentabilité n’est donc pas un luxe, mais une condition d’existence, sans laquelle “c’est pas que de l’accompagnement qu’il va falloir, c’est bien plus que ça, c’est-à-dire de la cohérence”.

C’est dans ce contexte de survie que la voix de Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris, résonne de manière particulièrement abrasive. Fort de son doctorat en sciences économiques spécialisé dans l’économie du développement durable, Mme Rousseau est une figure centrale du combat politique contre l’agriculture “productiviste.” Elle est connue pour ses positions tranchées, appelant à “déconstruire la virilité” ou proposant de supprimer le chauffage dans les stades.

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Mais pour les gens du terrain, cette posture est souvent perçue comme celle d’une élue “déconnectée du sujet”. Son statut de députée parisienne la rend, aux yeux de ses opposants, étrangère à la réalité des labours. Elle s’appuie sur la mobilisation citoyenne, citant les 1,5 million de Français qui ont signé une pétition contre ces produits, pour affirmer la volonté populaire d’un virage écologique. Elle rappelle avec force l’impératif de santé publique, citant l’exemple tragique du chlordécone aux Antilles, où le taux de cancer de la prostate est le plus élevé au monde. “La question c’est qu’est-ce qui compte en fait ?” demande-t-elle, opposant l’urgence sanitaire à la simple rentabilité.

Cependant, c’est sur le terrain réglementaire et économique que le débat bascule dans l’hypocrisie nationale. L’agriculteur Cardau insiste sur le rôle de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qu’il érige en guide fiable. L’EFSA, rappelle-t-il, a donné son feu vert pour l’acétamipride jusqu’en 2033, estimant qu’il présente un risque plus faible pour les pollinisateurs que d’autres néonicotinoïdes. La France, en sur-transposant ou en interdisant unilatéralement, se retrouve avec ses propres filières en péril.

Mais la véritable faille du système est ailleurs, dans l’assiette. Sandrine Rousseau elle-même est obligée de concéder qu’une interdiction pure et simple entraînerait l’importation. Et c’est là que le combat de l’agriculteur devient national : “on va quand même importer la céprise”. La France, championne de l’interdiction de pesticides sur son sol, importe massivement. En 2023, le pays a importé pour 68,2 milliards d’euros de produits agricoles et agroalimentaires, et son déficit commercial agricole a atteint 3,4 milliards d’euros.

Le scandale est là : nous interdisons à nos propres agriculteurs d’utiliser un produit (comme l’acétamipride, dont les ventes ont d’ailleurs augmenté de 18 % en 2023 par nécessité alternative), mais nous importons des fruits, légumes et céréales des pays voisins (Espagne, Allemagne, Pays-Bas) qui, eux, n’appliquent pas les mêmes contraintes et utilisent parfois des substances bien plus problématiques.

C’est le nœud de l’argument de M. Cardau : “on a un vrai combat commun là-dessus [sur les importations]. Allons-y ensemble et n’allons pas sur des trucs qui pour moi sont importants”. L’enjeu n’est pas de sauver les pesticides, mais de sauver la souveraineté alimentaire française et de mettre fin à la “concurrence déloyale”. L’interdiction totale des pesticides, sans une stratégie d’importation cohérente, conduirait à une catastrophe. Selon l’INRAE et une étude du ministère de l’Agriculture, une suppression totale des pesticides en France entraînerait une perte de rendement de 30 à 50 % en moyenne, pouvant atteindre 70 % pour la pomme, la betterave et la vigne. Ce serait l’arrêt de mort de filières entières, une désindustrialisation agricole, et une dépendance accrue aux importations.

La solution prônée par l’écologie politique, les fameuses « clauses miroirs » ou « mesures miroirs », qui interdiraient l’importation de produits ne respectant pas nos normes, est louée par Rousseau. Cependant, l’agriculteur, échaudé, demande : “Comment on fait pour interdire toute cette merde ?”. La députée reconnaît que le combat pour ces clauses est un combat de fond, lié aux règlements de l’OMC et à la négociation de la PAC. Elle souligne d’ailleurs le paradoxe syndical, reprochant à la FNSEA d’avoir soutenu “tous les traités de libre-échange” qui ont mené à cette situation de concurrence déloyale.

La conclusion de ce débat passionné est une invitation. Malgré les désaccords fondamentaux, l’agriculteur Bruno Cardau lance un appel désarmant à son opposante politique : “Venez sur ma ferme je on va il y en a plein de trucs à mettre au point là parce que vous êtes vous êtes déconnecté du sujet”. Sandrine Rousseau répond positivement, un instant de possible convergence dans une mer de divisions.

Cette joute verbale n’est pas un simple échange médiatique. Elle est le reflet d’une France qui doit choisir entre deux impératifs vitaux : la protection de l’environnement et de la santé publique, et la protection de son modèle agricole, de ses emplois et de sa souveraineté alimentaire. Tant que les décisions d’interdiction sur le sol national ne seront pas accompagnées de mesures de protection radicale aux frontières (les clauses miroirs), l’agriculteur français restera le dindon de la farce, sacrifié sur l’autel d’une écologie déconnectée, forcé de regarder sa production mourir pendant que nos supermarchés regorgent de produits importés, souvent cultivés avec les substances que nous avons bannies. Le prix à payer est la survie même de ceux qui nous nourrissent. L’urgence est moins dans l’interdiction que dans la cohérence.