Biyouna, de son vrai nom Baya Bouzar, est partie silencieusement dans la nuit du 25 novembre 2023, laissant derrière elle un héritage artistique et humain d’une rare intensité. Âgée de 73 ans, elle s’est éteinte dans une chambre d’hôpital à Alger, loin des feux des projecteurs qu’elle avait pourtant tant illuminés. Sa disparition marque la fin d’une époque, celle d’une femme qui, depuis les années 1970, a incarné la liberté, la rébellion et la passion dans une Algérie encore tiraillée entre tradition et modernité. Biyouna n’a jamais été une artiste ordinaire. Elle a porté son art comme un étendard de subversion, brisant les codes et défiant les attentes avec une audace qui forçait à la fois l’admiration et la controverse.

Dès ses débuts, Biyouna s’est imposée dans des espaces que beaucoup considéraient comme interdits aux femmes. Dans une Algérie fraîchement libérée de la colonisation, elle choisissait de se produire dans des cabarets et des salles où la liberté d’expression corporelle et verbale était souvent réprimée. Ce choix audacieux lui valut des critiques virulentes de la part des conservateurs, mais elle resta inflexible, fidèle à sa voix et à ses convictions. Elle portait un message clair : la femme peut être à la fois forte, libre et subversive, sans avoir à s’excuser de son existence. Cette force de caractère devint sa signature, et chaque apparition publique ou rôle choisi résonnait comme un acte de courage et de défi.

La maison abandonnée de Biyouna, là où elle est morte, et sa valeur nette -  YouTube

Le tournant décisif de sa carrière survint en 1973 avec son rôle dans La Grande Maison, qui la propulsa sur le devant de la scène et fit d’elle une figure incontournable de la culture populaire algérienne. Mais ce n’était que le début. Sa carrière s’étendit à la télévision, au cinéma et à la chanson, explorant des territoires que d’autres artistes auraient craint d’aborder. Son rôle dans Délice Paloma en 2007, où elle incarnait une proxénète charismatique, suscita un choc et une polémique. Les spectateurs, tant en Algérie qu’en France, furent déchirés entre fascination et jugement. Elle incarnait ce que beaucoup n’osaient voir : une Algérie moderne, complexe, vivante, mais profondément déchirée par ses contradictions internes.

Malgré sa gloire et sa reconnaissance, la fin de la vie de Biyouna fut marquée par un retrait volontaire. Elle s’éloigna des projecteurs, choisissant la discrétion et la solitude, même face à la maladie. En 2018, elle fut brièvement hospitalisée, mais aucune information ne fuit. Ce n’est qu’en 2022 que son combat contre un cancer du poumon devint public, un secret jalousement gardé par l’artiste elle-même. Jusqu’au bout, elle voulut préserver sa dignité et son image de femme forte, refusant toute médiatisation excessive ou hommage ostentatoire. “Je veux disparaître proprement”, répétait-elle souvent, montrant qu’elle contrôlait sa vie et sa mort avec la même intensité que son art.

L’année 2023 fut encore le théâtre de son esprit libre. Une proposition de rôle dans une série Netflix sur les figures féminines du Maghreb échoua en raison de divergences sur la représentation des femmes musulmanes. Biyouna refusa de jouer une victime ; elle voulait incarner une femme libre, fidèle à ses convictions. Ce fut, en quelque sorte, son dernier acte d’insoumission, fidèle à la trajectoire qui avait jalonné toute sa vie : briser les chaînes, provoquer, résister et inspirer.

Les derniers jours de sa vie se déroulèrent à l’hôpital de Benny Missous, où elle fut admise en soins intensifs. Le 25 novembre 2023, à 5h43 du matin, son dernier souffle se fit entendre dans le silence de sa chambre, sans présence familiale, presque anonyme. Seul le bourdonnement du moniteur cardiaque et son interruption soudaine témoigna de son départ. Ce silence contrastait avec l’existence flamboyante qu’elle avait menée. Sur sa table de nuit, une enveloppe retrouvée portait ces mots : “Ceux qui rient ne sont pas toujours heureux.” Une phrase simple mais lourde de sens, qui résume la complexité de sa vie : derrière les rires et la scène, Biyouna portait des solitudes profondes, mais aussi une résilience et une force intérieure extraordinaires.

La grande actrice algérienne Biyouna, récemment vue dans Le flic de  Belleville, est décédée à l'âge de 73 ans | Télé 7 Jours

Après sa mort, les hommages se succédèrent, mais non par obligation protocolaire. Omar Sy, Leïla Bekhti, Ramzy et de nombreux autres artistes rendirent hommage à cette comédienne algérienne qui avait marqué plusieurs générations. Les réseaux sociaux s’emparèrent de sa mémoire : TikTok, Instagram et YouTube virent fleurir des vidéos reprenant ses chansons, ses répliques, et ses mimiques devenues cultes. Biyouna n’avait pas seulement diverti : elle avait dérangé, éveillé, provoqué une réflexion, et sa disparition laissa un vide immense, mais aussi un héritage durable.

Son impact n’était ni matériel ni superficiel. Il résidait dans sa capacité à provoquer, à questionner les normes et à défier une société encore trop souvent conservatrice. Chaque rôle, chaque chanson, chaque intervention publique fut une manière de redéfinir ce que signifie être libre, femme et artiste. Son départ pose une question poignante : que devient une artiste dont la voix dérange même ceux qui l’admirent ? Une étoile s’éteint, mais son silence, son courage et son audace résonneront plus fort que jamais.

Biyouna, l’inclassable, l’inimitable, restera à jamais une légende vivante dans la mémoire collective. Une artiste qui n’a jamais cédé à la facilité, qui a vécu selon ses règles, et qui a laissé derrière elle une trace indélébile de liberté, de passion et de vérité. Dans chaque jeune artiste qui reprend ses gestes, dans chaque spectateur touché par sa force, Biyouna continue de vivre, éternelle et lumineuse.