Hervé Vilard, un père manqué au cœur blessé

Il aurait pu être père. Il l’a désiré, il l’a espéré, mais le destin en a décidé autrement. Derrière la voix emblématique de Capri, c’est fini, se cache un homme marqué par les blessures de l’enfance, les amours tragiques et une solitude choisie, presque imposée par la vie. Hervé Vilard, aujourd’hui figure incontournable de la chanson française, a vécu une existence où la lumière de la célébrité a souvent côtoyé les ombres du chagrin.

Dans les années 1970, alors qu’il connaît un immense succès en Amérique latine, le chanteur rencontre Consuela, une jeune Mexicaine issue d’une famille d’enseignants du Chiapas. Leur histoire est belle, sincère, passionnée. Ensemble, ils imaginent un avenir commun, une famille, un enfant métis qu’Hervé rêvait déjà « le plus beau, le plus fort ». Dans un Mexique où il était adulé, bien plus qu’en France à cette époque, il s’était convaincu qu’il pouvait, enfin, se construire une vie stable, affective, enracinée.

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Mais le destin est cruel. Consuela, enceinte de lui, meurt brutalement dans un accident de voiture. Ce drame bouleverse tout. C’est une déflagration intime, silencieuse, définitive. Hervé Vilard, déjà profondément meurtri par son passé, voit là son dernier espoir de fonder une famille s’éteindre. « Je voulais tellement cet enfant », confiera-t-il plus tard, avec pudeur mais sans masquer sa douleur. Ce deuil silencieux d’une vie rêvée s’ajoute à tant d’autres blessures.

Car avant de devenir l’artiste que la France a aimé, Hervé Vilard a vécu mille enfances. Arraché à sa mère à l’âge de six ans, il grandit balloté de foyers en familles d’accueil. Il connaîtra jusqu’à sept placements différents. À l’orphelinat Saint-Vincent-de-Paul à Paris, il subit des abus. Sans repères familiaux, sans père – qu’il n’a jamais connu – ni mère véritablement présente, il développe très tôt une carapace, une solitude profonde, parfois douloureuse, qu’il apprend à apprivoiser avec le temps.

Son homosexualité, assumée publiquement dès la fin des années 1960, ajoute une autre dimension à son parcours. À une époque où la société n’était pas encore prête à accueillir toutes les formes d’amour avec bienveillance, Hervé Vilard a dû apprendre à vivre avec le regard des autres. Et pourtant, ce n’est pas le regard du monde qui l’a blessé le plus, mais la perte intime de ce qu’il aurait pu être : un père, un mari, un homme apaisé.

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Il n’a jamais voulu adopter. Même Daniel Cordier, célèbre résistant et secrétaire de Jean Moulin, qu’il considérait comme un père de cœur, n’a pu le convaincre d’officialiser un lien filial. Le chanteur avait ses raisons : « J’ai toujours ma solitude », confiait-il. Une solitude héritée de l’enfance, de ces années à chercher sa place, à survivre affectivement. « J’ai tout fait pour qu’on ne me connaisse pas », disait-il encore. Mais aujourd’hui, par ses livres – une autobiographie en trois tomes –, il offre une part de lui-même, un éclat de vérité sur l’homme derrière l’artiste.

Hervé Vilard n’a pas eu d’enfant. Mais il a touché des millions de cœurs par ses chansons, ses mots, ses confidences. Il a transformé sa douleur en art, son isolement en force, sa vie en témoignage. Si la paternité lui a échappé, l’amour du public, lui, ne l’a jamais quitté. Et c’est peut-être là, dans cette voix qui continue d’émouvoir, que réside le plus bel héritage d’Hervé Vilard.