Ce dimanche 12 octobre, sur le plateau de Vivement Dimanche, le silence s’est fait plus dense que d’ordinaire. Michel Drucker, fidèle à son ton bienveillant et à son regard d’ami attentif, recevait Hugues Aufray pour un entretien d’une rare sincérité. L’artiste, aujourd’hui âgé de 95 ans, est venu parler de musique, de souvenirs, mais aussi d’une blessure intime qu’il porte depuis plus de soixante ans : la disparition tragique de son frère aîné, Francesco.

Dès les premières minutes, le public a compris que ce moment allait dépasser la simple conversation télévisée. La voix d’Hugues Aufray, d’ordinaire pleine d’énergie, s’est faite plus lente, plus fragile. On y percevait une émotion profonde, celle d’un homme qui, malgré la célébrité, reste avant tout un frère endeuillé. « Mon frère Francesco avait un an de plus que moi », a-t-il confié, le regard plongé dans un lointain passé. « Nous étions très proches, presque inséparables. Il était ma moitié, mon double, mon meilleur ami. »

Les deux frères avaient grandi dans un foyer aimant, entourés d’art et de musique. Très jeunes, ils partageaient la même passion pour la guitare, les chansons, les longues conversations sur la vie. Francesco, l’aîné, avait une personnalité ardente, passionnée, entière. Hugues, lui, se souvenait d’un garçon « capable de tout donner pour un idéal, pour un amour, pour un rêve ». Leur complicité semblait indestructible. Jusqu’au jour où le destin a décidé de les séparer.

Hugues Aufray : à 96 ans il fond en larmes face à MichelDrucker - YouTube

Francesco, tombé éperdument amoureux d’une jeune femme, rêvait de l’épouser. Mais la famille de celle-ci s’y opposa farouchement. Ce refus, brutal et injuste, fut pour lui un déchirement insupportable. Refusant de renoncer à cet amour, il décida de partir pour le Canada, espérant y recommencer une vie, loin des conventions et des jugements. Hugues se souvient : « Je me rappelle l’avoir accompagné à la gare. Il était triste, mais déterminé. Il m’a serré dans ses bras et m’a dit : “Ne t’inquiète pas, petit frère, tout ira bien.” » Ce furent les derniers mots qu’il entendit de lui.

Quelques mois plus tard, la terrible nouvelle arriva. Francesco s’était donné la mort. Il n’avait pas supporté la distance, la solitude, ni la douleur d’avoir perdu celle qu’il aimait. Pour Hugues Aufray, ce fut un choc immense, un abîme de tristesse. « Quand j’ai appris sa mort, tout s’est arrêté autour de moi, raconte-t-il d’une voix tremblante. J’avais l’impression qu’on m’avait arraché une partie de moi-même. »

L’artiste ne s’en est jamais totalement remis. Pendant des années, il a gardé ce drame pour lui, incapable d’en parler. Ce n’est qu’au fil du temps, à travers ses chansons, qu’il a commencé à transformer cette souffrance en lumière. Dans chaque mélodie, chaque mot, résonne quelque chose de Francesco : sa fougue, sa tendresse, sa fragilité. « Je crois qu’il vit encore à travers ma musique, dit Aufray. Quand je chante, j’ai souvent l’impression qu’il est là, tout près. »

Sur le plateau de Vivement Dimanche, Michel Drucker, visiblement ému, n’a pas cherché à rompre ce silence chargé d’émotion. Il sait, mieux que quiconque, la valeur d’un tel témoignage. Hugues Aufray poursuit, plus doucement : « Vous savez, Michel, je me suis longtemps senti coupable. Je me suis dit : “Si j’étais parti avec lui, il ne se serait peut-être pas tué.” C’est un poids que je porte depuis toujours. » Ces mots, simples mais bouleversants, ont touché le public en plein cœur.

Ce drame a façonné l’homme autant que l’artiste. Derrière le chanteur populaire, connu pour ses airs joyeux comme Santiano ou Céline, se cache un être empreint d’une mélancolie discrète. Ses chansons, souvent pleines d’espoir et de fraternité, sont aussi des prières silencieuses adressées à son frère disparu. « J’ai compris très tôt que la vie pouvait basculer en une seconde, confie-t-il. Alors j’ai décidé de la chanter, pour lui, pour moi, pour tous ceux qui souffrent en silence. »

À travers ce récit, Hugues Aufray nous rappelle que la gloire et la reconnaissance ne guérissent pas les blessures du cœur. Derrière chaque artiste se cache une histoire, parfois tragique, souvent profondément humaine. Ce moment de télévision, rare et sincère, a mis à nu un homme qui, malgré les années, n’a jamais cessé d’aimer, de se souvenir, et de chanter pour survivre.

Michel Drucker, touché par cette confession, conclut l’entretien avec douceur : « Vous savez, Hugues, ce que vous venez de dire est sans doute l’une des choses les plus belles que j’aie entendues sur ce plateau. Vous nous rappelez que derrière chaque chanson, il y a une âme. »

Photo : Exclusif - Hugues Aufray et Michel Drucker - Enregistrement de  l'émission "Vivement dimanche" au studio Gabriel à Paris le 15 décembre  2023, présentée par M.Drucker, et diffusée le 4 février

L’émotion était palpable. Le public, silencieux, semblait partager la peine du chanteur. Car dans les mots d’Hugues Aufray, chacun pouvait retrouver un fragment de sa propre histoire : un être aimé perdu trop tôt, un regret, une absence qui ne s’efface pas. Et pourtant, au-delà de la douleur, transparaissait aussi une immense tendresse, un pardon, une forme de paix.

À 95 ans, Hugues Aufray demeure un témoin précieux d’une époque révolue et d’une humanité toujours vibrante. Son témoignage dans Vivement Dimanche restera sans doute comme l’un de ces moments rares où la télévision cesse d’être un spectacle pour devenir une confidence. En quelques minutes, il a rappelé que la musique n’est pas seulement un art : c’est un refuge, une mémoire vivante, une manière de continuer à aimer au-delà de la mort.

Et lorsque Michel Drucker, les yeux brillants, lui a demandé ce qu’il dirait à son frère s’il était encore là, Hugues Aufray a souri tristement : « Je lui dirais simplement : tu me manques. »