Sheila : “Aucune gloire ne vaut ça” — La chanteuse brise enfin le silence sur quarante ans de rumeurs

On dit souvent que la célébrité a un prix. Mais pour Sheila, ce prix a longtemps ressemblé à une condamnation. Pendant plus de quarante ans, la chanteuse emblématique des années 60 et 70 a porté sur ses épaules le poids d’une rumeur aussi absurde que destructrice : celle affirmant qu’elle serait née homme. Une légende urbaine qui a traversé les décennies, s’insinuant dans les conversations, les plateaux télé et les colonnes de presse, jusqu’à devenir une ombre constante derrière son sourire public.

Ce dimanche 19 octobre, sur le plateau de 20h30 le dimanche de Laurent Delahousse, Sheila — 80 ans, lumineuse, droite et fragile à la fois — a décidé de tout dire. D’en finir, une fois pour toutes, avec ce mensonge qui lui a volé une partie de sa jeunesse. Devant les caméras, elle a laissé tomber les masques. Pas la star, pas l’icône pop, mais la femme. Celle qui a souffert en silence pendant des décennies.

« On vous dira que c’est la rançon de la gloire », a-t-elle lancé, la voix tremblante mais ferme.
« C’est faux. Aucune gloire ne vaut ça. Aucune gloire ne mérite qu’on détruise une femme, une mère, une jeune fille. »

Ces mots ont résonné comme un coup de tonnerre dans le studio. Une colère froide, mêlée à une profonde dignité. Car derrière le strass et les paillettes, Sheila a toujours été bien plus qu’une chanteuse à succès : elle est une survivante.

Tout commence dans les années 60. À cette époque, Sheila — de son vrai nom Annie Chancel — est au sommet de sa popularité. Ses chansons comme L’École est finie ou Bang Bang font danser la France entière. Elle est partout : à la radio, à la télévision, sur scène. Une idole, une image parfaite de jeunesse et d’insouciance. Jusqu’au jour où un simple incident médical va tout bouleverser.

Après un malaise sur scène, la chanteuse est hospitalisée. Elle confie à une journaliste qu’elle suit un traitement hormonal pour soigner une anémie sévère. Un détail anodin, purement médical. Mais quelques jours plus tard, la une de France Dimanche choque la France : « Sheila est un homme ».

Un titre brutal, racoleur, sans fondement. Une abomination, dira-t-elle plus tard, montée en épingle par un mélange de sensationnalisme et de trahison. Car à l’époque, selon Sheila, son propre manager, Claude Carrère, aurait laissé faire — voire encouragé — cette rumeur, persuadé qu’un tel scandale entretiendrait le mystère autour d’elle. Une logique cynique, impitoyable.

La chanteuse, alors au début de sa vingtaine, se retrouve face à un raz-de-marée. Les moqueries, les sous-entendus, les blagues de mauvais goût envahissent les plateaux télé et les dîners mondains. Certains médias, sans vérifier, reprennent les “informations”. D’autres insinuent qu’elle aurait “trop de carrure” pour être une femme. Une violence insidieuse, répétée, qui finira par s’incruster dans la mémoire collective.

« Ça a duré des années, des années… Ah mais des années ! », a-t-elle insisté face à Delahousse, les larmes aux yeux.

Pendant longtemps, Sheila a choisi le silence. Elle a continué de chanter, d’enregistrer, de monter sur scène. Elle s’est mariée, a eu un fils, Ludovic Chancel, qu’elle aimait profondément. Mais la rumeur, tenace, n’a jamais disparu. Pire encore, elle a resurgi régulièrement, au gré des époques et des réseaux.

Cette persistance, Sheila la vit comme une blessure qui ne cicatrise pas. Non pas parce qu’elle doute de sa force, mais parce qu’elle mesure l’injustice d’un monde où une femme peut être déshumanisée au nom du divertissement.
« Ce qui me révolte, c’est qu’on m’a volé ma vérité. On m’a inventé une histoire que je n’ai jamais vécue », confie-t-elle.

Aujourd’hui encore, à 80 ans, Sheila refuse de se laisser définir par ce passé. Elle enchaîne les projets, les concerts, les tournées. Deux en parallèle cette année, preuve d’une vitalité rare. Sa voix, toujours reconnaissable entre mille, transporte les foules. Mais sur le plateau de France 2, ce soir-là, c’est une autre mélodie qu’elle a offerte : celle de la vérité retrouvée.

« Je leur en veux encore, parce que cette rumeur, elle ne s’effacera jamais », a-t-elle reconnu.

Ce cri du cœur n’est pas une revanche. C’est un acte de paix avec elle-même. Sheila sait que certains continueront à douter, à plaisanter. Mais elle n’a plus peur. Elle n’a plus rien à prouver. Ce qu’elle voulait, c’est reprendre possession de sa propre histoire.

Et c’est sans doute là que réside la vraie grandeur de Sheila : dans sa résilience. Dans cette capacité à rester debout après tout, à transformer la douleur en force, l’humiliation en dignité. Car si la gloire est éphémère, le courage, lui, ne meurt jamais.

Ce soir-là, sur le plateau, une page s’est tournée. Et dans le silence ému du public, on a compris que la “reine des sixties” n’était pas seulement une icône : elle était devenue un symbole de vérité et de résistance.