Thierry Ardisson, l’homme en noir, le provocateur des plateaux de télévision, celui qui a tant fasciné, agacé, ébloui ou inspiré, s’est éteint. Mais fidèle à lui-même, il n’a pas quitté la scène sans avoir orchestré, jusqu’au bout, son propre dernier acte.

Dans une interview bouleversante accordée quelques semaines avant sa disparition, Ardisson avait confié avec une lucidité désarmante les détails de ses funérailles, de ses dernières volontés et de sa manière bien à lui d’envisager la mort : avec théâtre, ironie et tendresse.

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Derrière le masque du trublion médiatique, on découvrait un homme plus vulnérable, presque apaisé. Il savait que la fin approchait, et plutôt que de la redouter, il avait choisi de l’embrasser avec style. “J’aimerais que les trois femmes que j’ai épousées soient là, ma famille aussi, mes potes”, avait-il confié, dans une déclaration aussi touchante que sincère.

Il ne laissait rien au hasard : ambiance solennelle mais théâtrale, enfants de chœur, playlist déjà préparée dans sa tête. À l’image de toute sa carrière, sa dernière révérence serait scénarisée, soignée, unique.

La musique, toujours présente dans sa vie, serait aussi au cœur de sa mort. Il voulait que retentissent “Lazarus” de David Bowie, un titre déjà funèbre et chargé de sens, ainsi que “In My Life” des Beatles, dans une version reprise par Sean Connery. Il avait ce mélange rare de gravité et de dérision, cette capacité à affronter la douleur avec humour. “Je ris pour désamorcer l’émotion”, expliquait-il. Une pudeur qui en disait long sur la profondeur de cet homme souvent réduit à son personnage télévisuel.

Ardisson, conscient de son image clivante, ne nourrissait aucune illusion sur la foule qui viendrait lui rendre hommage. “Je ne pense pas qu’on remplira une église”, disait-il sans amertume. “Peut-être une petite chapelle.

J’ai toujours été un mouton noir, donc ça ne m’ennuie pas.” Cette lucidité désabusée n’était pas une posture, mais le fruit d’une vie passée à assumer sa différence. Il savait que la liberté de ton dont il avait fait sa marque l’avait aussi coupé de certaines affections. “On ne peut pas dire ce qu’on pense toute sa vie et espérer être aimé par tout le monde”, disait-il avec philosophie.

Mais plus que ses mots, c’est un documentaire qui racontera le mieux ses derniers instants : un film réalisé par sa compagne, Audrey Crespo-Mara. Un projet auquel il n’a pas directement participé, mais qu’il a vu, ému, peu avant de s’éteindre. “Je ne l’avais jamais vu. Je l’ai découvert il y a dix jours, c’est remarquable”, avait-il déclaré.

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“Elle y a passé plus d’un an. Elle m’a poussé dans mes retranchements.” Un témoignage d’amour mais aussi un miroir tendre et sans concession de l’homme derrière l’icône. TF1, qui diffusera ce documentaire, y a vu une œuvre forte, touchante, à la hauteur de l’homme qui n’a jamais laissé indifférent.

Thierry Ardisson a donc réussi son dernier pari : transformer la fin en œuvre, le départ en message, la mort en spectacle intime. Il ne s’agissait pas de provocation cette fois, mais d’un adieu réfléchi, écrit avec élégance, lucidité et une forme de paix intérieure. Il savait qu’il partait, mais il voulait le faire à sa manière, sans larmes publiques inutiles, sans mise en scène vulgaire, mais avec son style inimitable. Jusqu’au bout, il aura contrôlé sa narration.

Ce qui frappe dans ses dernières confessions, c’est cette volonté farouche de rester maître de sa vie, même dans la mort. Il n’a jamais aimé subir. Il préférait choquer plutôt que se taire, créer plutôt que répéter. Son regard critique sur le monde des médias, ses coups d’éclat, ses silences parfois plus bruyants que ses mots, tout cela a contribué à bâtir la légende Ardisson.

Aujourd’hui, alors que la télévision française perd l’un de ses esprits les plus libres et les plus flamboyants, il nous laisse un héritage immense. Celui d’une parole franche, d’un ton mordant, d’une audace rare. Il nous rappelle que la liberté a un prix, mais qu’elle reste la plus belle des conquêtes. Ardisson a payé ce prix, parfois cher, mais il n’a jamais faibli.

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Il s’est éteint comme il a vécu : en homme libre. Entouré des siens, dans la dignité, avec l’amour de ses proches et le respect d’une femme qui l’a accompagné jusqu’au bout. Son départ, même anticipé, laisse un vide immense. Mais il aurait sans doute aimé qu’on parle de lui ainsi : sans pathos, sans exagération, avec une admiration sincère pour ce qu’il a osé, tenté, incarné.

Sa voix s’est tue, mais son empreinte reste. Une dernière révérence en noir, oui, mais remplie de lumière. Thierry Ardisson, éternel homme en scène, a signé son propre épilogue. Et comme toujours, il l’a fait à sa manière.