La double tragédie de La Compagnie Créole : Après José, la mort glaçante de Guy Bévert à 76 ans laisse un silence assourdissant

La nouvelle est tombée, froide et brutale, contrastant cruellement avec la chaleur et l’insouciance que son œuvre a répandues pendant près d’un demi-siècle. Guy Bévert, batteur, chanteur, et pilier fondateur de La Compagnie Créole, s’est éteint dans la nuit du mercredi 3 au jeudi 4 décembre, à l’âge de 76 ans. L’annonce, faite par le groupe lui-même sur les réseaux sociaux, plonge le monde de la musique et l’ensemble de la francophonie dans une infinie tristesse. Ce deuil est d’autant plus lourd qu’il s’agit de la seconde perte majeure en à peine deux ans pour la troupe iconique des Antilles et de la Guyane. Après la disparition de José Sébéloué en 2023, la Compagnie Créole doit affronter l’impensable : la fin d’une époque, marquée par la perte de deux de ses plus grands architectes de la joie.

Le Crooner Rythmique : L’Héritage d’un Musicien Complet

Né aux Antilles françaises, Guy Bévert était bien plus qu’un simple musicien : il était l’âme rythmique d’un mouvement qui a fait de la musique créole un phénomène planétaire. Sa carrière au sein de la Compagnie Créole, fondée en 1975, a débuté derrière les fûts, où sa dextérité à la batterie posait les bases du rythme entraînant et inoubliable du groupe.

Mais la richesse de Guy Bévert ne se limitait pas à la percussion. Rapidement, sa voix a été sollicitée pour monter sur le devant de la scène, aux côtés de Clémence Bringtown, José Sébéloué, et Julien [Jérôme]. Guy Bévert s’est distingué par sa voix de crooner, puissante et chaleureuse, apportant une profondeur et une texture vocale essentielles aux mélodies festives qui allaient définir le groupe. Il était l’incarnation de la polyvalence, capable de passer de la précision du rythme à l’émotion du chant avec une aisance rare. Il a ainsi contribué à forger l’identité unique de la Compagnie Créole, un mélange de zouk, de biguine, de samba et de chansons populaires françaises, conçu pour être un hymne universel à la fête et au bien-être.

Il est l’un des artisans majeurs des tubes qui ont marqué les années 1980 et au-delà, des titres qui sont aujourd’hui gravés dans la mémoire collective. Qui pourrait oublier l’énergie contagieuse de “C’est bon pour le moral”, l’exubérance du “Bal masqué”, ou l’appel à la légèreté de “Ça fait rire les oiseaux” ? Ces chansons, qui ont cumulé des millions de ventes et ont permis au groupe de conquérir des scènes aux quatre coins du monde — de l’Europe au Canada en passant par l’Australie — portent indéniablement la marque de son talent et de sa joie de vivre communicative.

Un Double Deuil Déchirant à l’Aube des 50 Ans

L’émotion suscitée par le départ de Guy Bévert est décuplée par la récente histoire du groupe. Il y a à peine deux ans, en septembre 2023, La Compagnie Créole subissait déjà un choc terrible avec le décès de José Sébéloué, guitariste, chanteur et autre figure emblématique du groupe, mort à l’âge de 74 ans des suites d’un cancer du poumon.

La perte de José, considéré comme une figure emblématique de la musique guyanaise, avait déjà laissé un vide immense, à la fois artistique et humain. Aujourd’hui, avec la disparition de Guy Bévert, La Compagnie Créole perd non seulement un second membre fondateur, mais surtout une part essentielle de son cœur et de sa voix. C’est une double tragédie qui frappe ce groupe dont la vocation est de chasser la tristesse et de célébrer l’existence.

Comment un groupe dont l’ADN est intrinsèquement lié à la fête et à l’optimisme peut-il surmonter une telle succession de deuils ? La réponse se trouve peut-être dans la force de leur héritage. L’hommage rendu par ses anciens camarades souligne que Guy Bévert avait su s’imposer par sa présence et son talent, un souvenir qui restera une source de réconfort et d’inspiration pour les membres restants.

Ce deuil successif, à l’approche d’un jalon historique, prend une dimension particulière. En effet, La Compagnie Créole se préparait à célébrer le 50e anniversaire de son premier album en 2026. Cet événement, qui devait être une immense fête en l’honneur d’une carrière exceptionnelle, sera désormais teinté d’une mélancolie profonde. La célébration des cinquante ans devra conjuguer le souvenir de la joie passée et la réalité de l’absence, transformant potentiellement ce jubilé en un vibrant et déchirant hommage à ceux qui ne sont plus.

Le Retrait Discret de la Scène en 2021

Contrairement à la nature souvent tapageuse et sous les feux des projecteurs de la vie d’artiste, Guy Bévert avait fait le choix d’une transition en douceur. Il avait en effet quitté la scène et les tournées avec La Compagnie Créole en 2021. Ce retrait, fait dans une relative discrétion, lui avait permis de prendre du recul après des décennies de rythme effréné, de concerts et de voyages incessants. Même si les raisons précises de son départ en 2021 n’ont pas été détaillées, l’usure de la scène et le besoin de se consacrer à d’autres projets personnels sont des facteurs communs aux artistes ayant mené des carrières aussi longues et intenses.

Cependant, même éloigné physiquement des lumières de la scène, son esprit et son héritage musical demeuraient omniprésents. Le fait qu’il ait choisi de se retirer avant son décès donne à son départ final une résonance particulière, comme si le destin lui avait permis de faire ses adieux personnels avant l’ultime séparation. Pour les fans, ce retrait discret d’il y a quelques années devient rétrospectivement son dernier acte public, un signe annonciateur du besoin de repos définitif.

Le Paradoxe de la Joie : Quand les Hymnes de Fête Portent le Poids du Chagrin

L’histoire de Guy Bévert et de La Compagnie Créole est un puissant paradoxe. Pendant des décennies, ils ont été les ambassadeurs d’une musique qui, par essence, célèbre la vie, la danse, le soleil et l’unité. Leurs chansons, de Vive le Douanier Rousseau ! à Bons Baisers de Fort-de-France, sont des injections d’optimisme, des remèdes sonores contre la morosité. Ils ont bâti leur légende sur la promesse d’un bonheur immédiat et contagieux.

Aujourd’hui, l’écoute de ces mêmes hymnes se trouve transformée. Elles résonnent avec un écho doux-amer. L’énergie des tambours de Guy Bévert et la profondeur de sa voix sont désormais inséparables du chagrin de son absence. La fête se mêle au souvenir, et l’allégresse devient un hommage. Ce sont ces millions de disques vendus et ces tournées triomphales qui constituent le testament le plus vibrant de Guy Bévert : une œuvre qui, même face à la mort, refuse de sombrer dans le silence.

La “mort glaçante” de Guy Bévert, comme l’a décrit le titre annonçant la nouvelle, n’est pas tant liée aux circonstances de son décès qu’au contraste saisissant entre la finitude humaine et l’immortalité de la joie qu’il a créée. C’est un rappel brutal que même les porteurs de lumière doivent un jour s’éteindre.

Un Héritage Éternel

Alors que le deuil enveloppe la Compagnie Créole, il est important de se tourner vers l’héritage colossal que Guy Bévert laisse derrière lui. Sa contribution à la musique populaire française et francophone est indélébile. Il a participé à l’exportation d’une culture, celle des Antilles et de la Guyane, riche en couleurs et en rythmes, la rendant accessible et aimée par-delà les frontières.

Aujourd’hui, Clémence Bringtown et Julien, les membres restants de la formation, portent la lourde tâche de perpétuer cette flamme. Le défi est immense : continuer à faire vivre un groupe qui a perdu deux de ses voix et de ses cœurs fondateurs en si peu de temps. Pourtant, l’esprit de La Compagnie Créole est celui de la résilience et de l’espoir. Nul doute que l’œuvre de Guy Bévert, sa voix de crooner et son rythme inimitable, continueront d’animer les bals masqués et de faire rire les oiseaux pour les générations à venir, même s’il a, dans la plus grande des tristesses, tiré sa révérence. C’est la plus belle des façons de célébrer la vie d’un homme qui, toute sa vie, n’a cherché qu’à rendre la nôtre un peu plus joyeuse.