25 ans, 10 000 km et un clic : L’incroyable odyssée de Saroo Brierley pour retrouver sa mère grâce à Google Earth

Un hombre usa Google Earth para encontrar a su madre perdida hace mucho  tiempo

Nous sommes le 12 février 2012, dans une ruelle poussiéreuse d’un village du centre de l’Inde. Un homme de 30 ans, sac sur le dos, avance avec une anxiété palpable. Il observe chaque visage, chaque coin de rue. Il ne parle pas la langue locale, mais son regard est empreint d’une détermination farouche. Il s’arrête devant trois femmes. Son regard croise celui de la femme du milieu, une petite silhouette maigre. Quelque chose se passe. Elle s’avance, lui prend les mains et prononce un seul mot : “Cherou”. Cet homme, c’est Saroo Brierley. Cette femme, c’est Fatima, sa mère. Ils ne se sont pas vus depuis vingt-cinq ans.

L’histoire de Saroo Brierley défie l’imagination. C’est l’histoire d’une tragédie, d’une survie miraculeuse, et d’une quête technologique qui a réuni une famille déchirée par le temps et la distance. C’est l’histoire d’un enfant perdu qui a retrouvé son chemin grâce à la puissance de ses souvenirs et à un outil que nous tenons tous pour acquis : Google Earth.

Pour comprendre ce miracle, il faut remonter un quart de siècle en arrière, en 1986. Le petit Saroo, alors âgé de 5 ans, vit dans une pauvreté extrême à Ganesh Talai, un quartier de la ville de Khandwa. Son père musulman a quitté le foyer, laissant sa mère hindoue, Kamla (qui se convertira plus tard et prendra le nom de Fatima), seule pour élever quatre enfants : Goudou, Kalou, Saroo et sa petite sœur Sekila. La famille vit dans une modeste maison en pierre. La mère porte des pierres sur des chantiers pour quelques roupies, une somme insuffisante pour nourrir tout le monde. Les frères aînés, Goudou et Kalou, aident comme ils le peuvent, mendiant ou balayant les wagons des trains à la recherche de nourriture ou de pièces oubliées.

Parfois, le petit Saroo les accompagne, notamment Goudou, son protecteur. Leur terrain de chasse est la gare de Burhanpur, à environ une heure de train. Saroo a pour consigne stricte de rester sur le quai pendant que son frère “travaille”.

Un soir, la tragédie frappe. Saroo, épuisé, accompagne une nouvelle fois Goudou à Burhanpur. Comme d’habitude, il doit attendre sur le quai. Il s’endort profondément. Lorsqu’il ouvre les yeux, la gare est vide. Silencieuse. Goudou a disparu. Paniqué, Saroo aperçoit un train à l’arrêt. Pensant que son frère est sûrement à bord, en train de balayer les wagons, il monte dedans. L’épuisement le rattrape. Il se rendort.

À son réveil, c’est la terreur. Le train roule à vive allure vers une destination inconnue. Il est seul, enfermé. Il frappe contre les vitres, il crie. Personne ne répond. Le voyage dure une éternité pour un enfant de 5 ans – estimé plus tard entre 12 et 15 heures. La destination finale : Calcutta (Kolkata), à des milliers de kilomètres de son village.

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Calcutta en 1986 est un chaos tentaculaire. La gare de Howrah est un océan d’humanité. Saroo est un grain de sable dans la tempête. Il ne possède rien, ne connaît personne, et surtout, il ne parle pas la langue. Chez lui, il parlait hindi ; ici, tout le monde parle bengali. Pendant des semaines, il survit dans la rue. Il dort sur le sol de la gare, fouille les poubelles, échappe de justesse à des trafiquants d’enfants et à des meutes de chiens. “Chaque jour passé dans cette ville était une question de vie ou de mort,” confiera-t-il plus tard.

Finalement, un jeune homme le remarque et le conduit à un commissariat. Les autorités tentent de l’interroger. D’où vient-il ? Il répond “Guinesley” (sa prononciation enfantine de Ganesh Talai) et “Berérampour” (Burhanpur). Mais ces noms, déformés par sa mémoire de 5 ans, ne mènent nulle part. La ville de “Guinesley” semble ne pas exister. Classé comme “enfant perdu”, il est placé dans un foyer, puis dans un orphelinat géré par l’association LISSA.

En septembre 1987, une nouvelle vie commence. Madame Sou, la directrice de l’orphelinat, lui annonce qu’une famille australienne souhaite l’adopter. Saroo s’envole pour Hobart, en Tasmanie, à 10 000 km de l’Inde. Il est accueilli par Sue et John Brierley. Le choc culturel est immense. Il passe du chaos de Calcutta à la tranquillité d’une banlieue chic, d’une maison en pierre à une grande maison avec moquette, télévision et une chambre remplie de jouets. Ses nouveaux parents accrochent une carte de l’Inde au mur de sa chambre. Un rappel silencieux de ce passé insaisissable.

Saroo grandit, devient un “vrai petit Australien”. Il apprend l’anglais, va à l’école, joue au golf. Mais la faille identitaire demeure.

Vingt ans plus tard, en 2007, Saroo est étudiant à Canberra. Sa vie bascule une seconde fois. Il fréquente un groupe d’étudiants indiens. Pour la première fois, il peut parler de son histoire à des gens qui comprennent le contexte. Ils ne connaissent ni “Guinesley” ni “Berérampour”, mais ils ravivent la flamme de sa quête. C’est à cette époque qu’il découvre un outil qui vient de révolutionner la cartographie : Google Earth.

Commence alors une traque obsessionnelle. Saroo n’a que ses souvenirs visuels et un calcul approximatif. Il se souvient du temps de trajet : environ 12 heures. Un de ses amis indiens contacte son père, ingénieur dans les chemins de fer indiens, qui estime la vitesse moyenne des trains de l’époque à 80 km/h. Le calcul est simple : 12 heures fois 80 km/h donnent une distance d’environ 960 km, qu’il arrondit à 1000 km.

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Sur Google Earth, il trace un cercle de 1000 km de rayon autour de Calcutta. La zone de recherche est gigantesque, couvrant 962 300 km² et 350 millions d’habitants.

Il affine sa méthode. Il parlait hindi, pas bengali, ce qui lui permet d’éliminer l’État de Calcutta (le Bengale occidental). Il se souvient d’un climat sec et chaud, ce qui exclut les États du nord près de l’Himalaya. Il vivait à l’intérieur des terres, pas près de la mer.

Pendant plus de deux ans, chaque soir après son travail, Saroo “vole”. Il suit méticuleusement chaque ligne de chemin de fer partant de Calcutta. Il zoome sur chaque gare, cherchant des détails gravés dans sa mémoire d’enfant : la gare de Burhanpur devait avoir une passerelle et un grand ballon d’eau. Son village, Ganesh Talai, avait un barrage en béton, un pont sur un lac et un tunnel menant à la gare.

Le 31 mars 2011, l’impensable se produit. Alors qu’il explore une ligne bien au-delà de son cercle de recherche initial, dans l’État du Madia Pradesh, il tombe sur une gare. Il zoome. Il y a un réservoir d’eau. Il zoome encore. Il y a une passerelle piétonne. C’est Burhanpur. Il l’a trouvée.

Le cœur battant, il sait que son village n’est pas loin. Il suit la voie ferrée vers le nord. Après 70 km, le paysage change. La terre devient sèche, poussiéreuse. Il voit un pont sur un lac. Il voit le barrage en béton. Il suit le chemin qu’il faisait enfant, passe sous le tunnel. Et là, il tombe sur son quartier. Il reconnaît les ruelles. Il trouve la petite bâtisse avec un toit rectangulaire. C’est sa maison. La ville s’appelle Khandwa.

Il contacte un groupe Facebook local “Khandwa My Hometown” et demande comment s’appelle le quartier en haut à droite. La réponse arrive : “Ganesh Talai”. “Guinesley”. Il avait retrouvé son aiguille dans une botte de foin numérique.

Onze mois plus tard, il est dans cette ruelle, face à sa mère. Les retrouvailles sont bouleversantes. Ils ne parlent pas la même langue ; un traducteur fait le lien. Il retrouve sa sœur Sekila et son frère Kalou, tous deux mariés et parents. Sa mère lui apprend qu’elle n’a jamais cessé de le chercher. Des guides religieux lui avaient tous assuré qu’il était en vie, pointant vers le sud (l’Australie).

Puis vient la question qu’il redoute. Et Goudou ? Pourquoi ne l’a-t-il jamais cherché ce soir-là ? Le visage de sa mère se ferme. “Il est mort”. La tragédie est totale : Goudou est mort la nuit même de la disparition de Saroo, percuté par un train, quelques heures seulement avant que son petit frère ne monte dans cet autre train vers l’inconnu. Ce soir-là, Fatima a perdu deux fils.

L’histoire de Saroo, immortalisée par son autobiographie “Je voulais retrouver ma mère” et le film “Lion”, est un testament à la résilience de l’esprit humain. C’est le récit d’un homme qui, grâce à la technologie moderne et à la force indestructible des souvenirs d’enfance, a réussi à combler un vide de 25 ans. Il est aujourd’hui Saroo Brierley, un homme avec deux mères, deux familles, et une seule identité enfin complète.