À Douchy, où Alain Delon s'est éteint, on pleure un voisin "pas comme les  autres" - La DH/Les Sports+

Alain Delon. Il suffit de prononcer ce nom pour que défilent des images mythiques : le regard bleu acier, la beauté insolente, le charisme animal. De “Plein Soleil” au “Guépard”, du “Samouraï” à “La Piscine”, il a été l’icône absolue du cinéma français, un géant qui a fasciné des générations entières. Sa présence magnétique, son jeu subtil et sa capacité à incarner des personnages à la fois lumineux et tourmentés ont fait de lui une légende. Mais comme souvent avec les mythes, la réalité qui se cachait derrière la façade était bien plus complexe, plus sombre, plus humaine.

Décédé le 18 août 2024 à l’âge de 88 ans, Alain Delon a laissé derrière lui une œuvre immense et un vide palpable. Pourtant, sa fin de vie, et même désormais sa mort, sont loin de l’image lisse et glorieuse que l’on pourrait attendre. Elles racontent une autre histoire, celle d’un homme profondément seul, enfermé dans ses contradictions, et au cœur de conflits familiaux qui ont déchiré les dernières années de son existence.

Aujourd’hui, alors que l’émotion de sa disparition commence à peine à retomber, une nouvelle tempête se lève. Elle ne concerne pas son héritage cinématographique, mais son héritage le plus intime, le plus sacré : sa dernière demeure. La tombe d’Alain Delon, située dans son domaine adoré de Douchy, est en danger.

Pour comprendre ce drame post-mortem, il faut revenir sur les dernières années de l’acteur. Loin des projecteurs, le “Guépard” vivait reclus dans son immense propriété de 120 hectares dans le Loiret, un sanctuaire acquis dans les années 1970. Après son AVC en 2019, son isolement s’est accentué. C’est dans ce contexte de vulnérabilité qu’une guerre sourde a éclaté, exposant au grand jour les fractures de la famille Delon.

Au cœur de la tempête : Hiromi Rollin. Cette femme, tantôt présentée comme sa dame de compagnie, tantôt comme sa compagne, a pris une place centrale dans la vie de l’acteur. Une place jugée trop centrale, trop influente, par les trois enfants de la star : Anthony, Anouchka et Alain-Fabien. Ces derniers l’ont accusée d’exercer une “influence néfaste”, de profiter de la faiblesse de leur père, de le couper du monde et, surtout, d’eux. Les plaintes et les accusations ont volé, dépeignant une fin de vie crépusculaire, où l’icône se retrouvait prisonnière de sa propre solitude, au centre d’enjeux financiers et affectifs troubles.

Cette période a été marquée par la souffrance, non seulement physique pour Delon, mais aussi émotionnelle pour une famille incapable de se réunir autour du patriarche affaibli. L’homme qui avait fasciné le monde se retrouvait seul, loin du faste, loin de ceux qu’il aimait, ou de ceux qui tentaient de l’aimer.

C’est sans doute pour cette raison que ses obsèques ont surpris. Fidèle à son image récente d’homme désabusé par le show-business, Alain Delon avait tout prévu. Pas d’hommage national grandiose, pas de foule d’admirateurs place de la Madeleine. Il a exigé l’intimité la plus stricte. Le 24 août 2024, il a été inhumé dans sa propriété de Douchy, dans cette chapelle qu’il avait fait construire, près de ses chiens qu’il aimait tant.

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Pour l’occasion, ses trois enfants, si souvent divisés, ont fait front commun pour respecter cette ultime volonté. Quelques proches, dont Vincent Lindon et Paul Belmondo, étaient présents pour un dernier adieu dans le recueillement le plus total. Un enterrement à l’image de sa fin de vie : solitaire, digne, et farouchement indépendant. Delon voulait reposer sur ses terres, dans ce domaine qui était son refuge, son royaume, et peut-être sa prison.

Mais voilà que ce sanctuaire, ce lieu de repos éternel, est aujourd’hui menacé. Le problème est aussi brutal que trivial : l’argent. Le domaine de Douchy, avec ses 120 hectares, est un gouffre financier. L’entretien d’une telle propriété coûte une fortune, une charge que les héritiers pourraient avoir du mal à assumer.

Anthony, Anouchka et Alain-Fabien se retrouvent face à un choix cornélien, un dilemme qui touche à la fois au portefeuille et au sacré. Que faire ? Conserver ce domaine coûteux par respect pour la mémoire et les volontés de leur père ? Ou s’en séparer pour alléger un fardeau financier qui pourrait s’avérer insupportable ?

La vente de Douchy, qui semble être une option de plus en plus probable, poserait un problème insoluble et profondément douloureux : que faire de la tombe ? Si le domaine est vendu, la sépulture d’Alain Delon se retrouverait en terrain privé, appartenant à un nouvel acquéreur. La perspective de devoir déplacer les restes de leur père dans un cimetière “classique” est un crève-cœur. Ce serait trahir sa volonté la plus explicite, celle de reposer chez lui, sur cette terre qu’il avait choisie.

C’est l’ultime paradoxe d’Alain Delon. Lui qui a tout contrôlé, son image, sa carrière, sa fin, se retrouve, après sa mort, au centre d’une problématique qu’il n’avait peut-être pas anticipée dans toute sa complexité.

Plusieurs solutions juridiques sont envisageables, mais toutes sont complexes. Les héritiers pourraient tenter de négocier avec un futur acheteur un “droit de passage inaliénable” pour permettre à la famille de continuer à accéder à la tombe. Une autre option serait de morceler le domaine, de ne vendre qu’une partie des 120 hectares tout en conservant la parcelle où se trouve la chapelle. Mais ces arrangements sont difficiles à mettre en place, coûteux, et pourraient altérer à jamais le caractère du lieu que Delon aimait tant.