Ce triple meurtre cachait bien plus qu’un drame familial, l’énigme Philippens

Liège, Belgique – Ce fut une nuit d’avril 2014, une nuit où l’ordinaire bascula dans l’horreur la plus absolue, marquant à jamais la petite ville de Visé, au nord-est de la Belgique. Carole Ed et Benoît Philippin, un couple uni et souriant, rentrent d’un dîner convivial entre amis. Avec eux, un petit garçon de 9 ans, Estéban, le filleul de Carole, qui s’apprêtait à vivre une nuit spéciale chez sa marraine. Une innocence brisée en un instant, alors qu’un mystérieux tireur les attendait, tapi dans l’ombre de leur allée, transformant une paisible fin de soirée en une scène de carnage digne des pires thrillers.

Trois corps gisant, du sang partout, des douilles éparpillées : c’est le spectacle apocalyptique que découvrent les premiers policiers, en état de choc. L’inspecteur Viola, appelé sur les lieux, ne l’oubliera jamais. Au milieu de ce chaos, la petite silhouette d’Estéban, touché à la tête. Les secours s’activent, luttent contre l’inéluctable. En vain. Le petit garçon décède sous leurs yeux impuissants.

Pour Carole et Benoît, la vie s’accroche encore, fragile. Carole, blessée au dos, mais consciente, puise dans ses dernières forces pour murmurer une phrase capitale à l’oreille des policiers : le tireur a dit à Benoît, juste avant d’ouvrir le feu, “Tu me reconnais ?”. Benoît, lui, est déjà inconscient, proche de la mort cérébrale. Il décède dans l’ambulance. Carole, transportée à l’hôpital, succombe à ses blessures sur la table d’opération, au cours de la nuit. Le couple, qui rêvait de fonder sa propre famille, est anéanti. Estéban, l’enfant qu’elle chérissait tant, est parti avec eux.

Une Exécution Froide et Préméditée

Dès les premières heures, l’enquête s’oriente vers une exécution. Trois balles pour Benoît, trois pour Carole, une balle dans la tête pour Estéban. L’intention de tuer ne fait aucun doute. Mais qui ? Et pourquoi ? La question du “Tu me reconnais ?” lancée par le tueur à Benoît Philippin est la clé de l’énigme. Seul Benoît connaissait l’identité de son assassin. Mais il est mort avant de pouvoir parler. Carole, elle, a affirmé ne pas l’avoir reconnu.

Pour Christian, le père de Carole, et Sonia, sa sœur aînée, c’est un cauchemar éveillé. La famille est brisée, incrédules face à une telle violence. Comment un couple sans histoires, à l’image si parfaite, a-t-il pu connaître une fin aussi tragique ?

Les premières pistes sont maigres. Des témoins décrivent une silhouette sombre de petite taille fuyant la scène, et une berline sombre démarrant tous feux éteints. Grâce aux caméras de surveillance du quartier résidentiel, une BMW Série 5 est identifiée comme la voiture suspecte. Elle est arrivée 30 minutes avant le drame, s’est postée en face de la maison, attendant patiemment le retour du couple. Moins de deux minutes après l’arrivée des Philippins, elle repartira, tous feux éteints. Le triple meurtre s’est déroulé hors du champ des caméras, mais la préméditation est évidente.

L’Autre Visage de Benoît Philippin

L’image du couple uni et épanoui, brossée par les proches, commence à se fissurer. Carole et Benoît se sont rencontrés en 2009, travaillant dans la même banque. Carole, fraîchement divorcée, avait trouvé en Benoît, son patron, le grand amour. Mais en fouillant dans la vie du directeur de banque de 36 ans, les enquêteurs découvrent une facette insoupçonnée de sa personnalité. Loin d’être le mari parfait, Benoît Philippin était un séducteur invétéré, multipliant les liaisons extraconjugales, notamment avec ses collègues de travail. Sandra Chandel, une cliente venue régler la succession de son compagnon, témoigne du malaise ressenti face au regard insistant de Benoît, qui la “mangeait des pieds à la tête”.

La découverte de ces multiples aventures est un nouveau coup de massue pour les familles des victimes. L’hypothèse d’un mari jaloux se dessine. Des dizaines de suspects défilent : anciennes maîtresses, leurs conjoints… Mais tous ont des alibis solides. L’enquête se tourne alors vers l’environnement professionnel de Benoît. Connu pour sa rigueur et son intransigeance, il s’était fait de nombreux ennemis au sein de son agence bancaire. Mais là encore, aucune piste concrète.

Le Rêve Brisé des Troyano

C’est en fouillant les dossiers de la banque que les enquêteurs mettent la main sur une affaire qui pourrait être la clé de l’énigme. Anna Maria et Amédeo Troyano, un couple sicilien, rêvaient d’ouvrir un deuxième salon de coiffure, un espace de bien-être ambitieux. Ils sollicitent un prêt de 175 000 euros auprès de la BNP de Visé, où travaillent Benoît et Carole. Un accord de principe verbal est donné par Carole, encourageant les Troyano à commencer les travaux et les investissements. Mais la banque fait marche arrière, jugeant le couple trop fragile financièrement.

Pour les Troyano, c’est le début de la descente aux enfers. Ayant déjà investi près de 50 000 euros, ils se retrouvent ruinés, contraints de vendre leur maison et de s’installer chez les parents d’Amédeo. Ils assignent la banque en justice, mais sont déboutés, l’accord verbal n’ayant aucune valeur. La vengeance devient un mobile puissant.

Amédeo Troyano, déjà connu des services de police pour des faits de violence, de banditisme et de cardiaking dans sa jeunesse, devient le suspect numéro un. Il conduit une BMW Série 5 sombre, correspondant aux descriptions. Un SMS menaçant, envoyé par Amédeo à Carole, est retrouvé dans le téléphone de la banquière : “Madame Ed, juste une simple question, pourquoi je suis dans cette situation ? Dites-le-moi car il y va de la santé de tout le monde je pense que vous avez très bien compris.” Une menace à peine voilée, selon les enquêteurs.

Mais le coup de grâce vient d’une recherche sur l’ordinateur d’Amédeo : un mois avant les faits, il a cherché sur Google Maps le domicile de Benoît Philippin. La préméditation semble prouvée. Le 13 mai 2011, Amédeo Troyano est interpellé.

Des Alibis qui S’effondrent et une Preuve Accablante

Au commissariat de Visé, Amédeo Troyano clame son innocence. Il explique son passé de délinquant, mais assure avoir changé. Quant à son alibi, il affirme être parti en Allemagne suite à une dispute avec son épouse le soir du drame, arrivant à Stuttgart vers 22h, à l’heure même du triple meurtre. De plus, son avocat souligne que le tueur est décrit comme un “petit bonhomme” par la voisine, alors qu’Amédeo mesure 1,92 mètre pour 130 kg. Et Carole Ed a déclaré ne pas connaître le tireur, or elle connaissait Amédeo de par leur relation professionnelle. Ces éléments sèment le doute. Amédeo est remis en liberté.

Mais les policiers ne lâchent rien. Ils se rendent à Stuttgart pour vérifier son alibi. Le cousin d’Amédeo, Mario, restaurateur, se souvient avec précision de l’arrivée de son cousin : le samedi vers 11h30 ou midi, et non le vendredi soir. L’alibi d’Amédeo s’effondre. Confronté à cette réalité, il change de version. Il aurait tenté de se suicider en absorbant des médicaments, avant de décider de rejoindre l’Allemagne. Un nouvel alibi qui laisse les policiers perplexes.

L’ordinateur d’Amédeo Troyano, saisi lors de la perquisition, révèle une dernière trahison. Il est géolocalisé devant le domicile des Philippins quelques jours avant le drame, utilisant le wifi du hall Omnisport en face de la maison pour repérer le meilleur itinéraire de fuite vers l’autoroute allemande. La préméditation et la préparation sont désormais incontestables. Une reconstitution avec son véhicule personnel confirme une ressemblance saisissante avec la BMW vue sur les caméras.

Mais la preuve ultime, celle qui scelle son sort, se trouve sur les vêtements qu’il a remis à la police. Des résidus de poudre sont découverts sur sa veste et son béret, prouvant qu’il a utilisé une arme à feu. Le 10 septembre 2014, Amédeo Troyano est mis en examen pour triple homicide avec préméditation.

Le Procès et la Vérité Révélée

Le 6 février 2017, le procès d’Amédeo Troyano s’ouvre devant les assises de Liège. La famille des victimes, unie dans la douleur, est là pour obtenir justice. Amédeo, silencieux et impassible, nie les faits, suscitant l’indignation des proches. Mais la défense parvient à instiller le doute, rappelant le physique de l’accusé qui ne correspond pas au témoignage et le fait que Carole Ed ne l’a pas reconnu.

Puis, au sixième jour du procès, une vidéo explosive est projetée. Découverte par hasard dans le portable d’Amédeo, elle le montre, un an avant le drame, glissant une arme sous son oreiller. Un pistolet automatique de 9 mm, la même marque et le même modèle que celle utilisée pour le triple meurtre. Le mensonge est dévoilé.

Au huitième jour, Amédeo Troyano brise enfin le silence, mais sans aveu, répétant son innocence. Ses mots, “J’ai trois enfants, jamais de la vie je ne ferai du mal à un enfant”, résonnent amèrement face aux parents d’Estéban, qui lui rétorquent : “Vos enfants sont encore en vie.”

Après 14 jours de procès, les jurés sont convaincus. Amédeo Troyano est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat de Benoît et les meurtres de Carole et Estéban, la préméditation n’ayant pas été retenue pour ces deux dernières victimes. Un soulagement teinté d’une douleur éternelle pour les familles. En Belgique, l’appel n’est pas possible. Les recours d’Amédeo ont été rejetés.

L’énigme Philippins, ce drame familial qui cachait une vengeance froide et calculée, a mis en lumière la fragilité des destins et la capacité de l’être humain à basculer dans l’horreur. Visé et toute la Belgique n’oublieront jamais cette nuit où l’innocence d’un enfant fut sacrifiée sur l’autel d’une vengeance impitoyable.