Il y a des dates qui restent gravées dans la mémoire collective, des cicatrices qui ne se ferment jamais tout à fait. Le 14 janvier 1986 en fait partie. Ce jour-là, le monde de la musique francophone perdait l’une de ses voix les plus pures, les plus révoltées : Daniel Balavoine. Un accident d’hélicoptère au Mali, en marge du Paris-Dakar, fauchait tragiquement le chanteur de “L’Aziza” à seulement 33 ans. La France était sous le choc. L’artiste laissait derrière lui une œuvre fulgurante, des millions de fans en deuil, et une famille brisée. Sa compagne, Corine, portait alors leur fille, Joana, tandis que leur fils, Jérémie, n’avait qu’un an et demi.

Plus de 38 ans ont passé. Une éternité. Les enfants ont grandi, loin des projecteurs que leur père aimait tant défier. Que sont-ils devenus ? Comment se construire dans l’ombre d’un tel géant, d’un mythe figé dans sa jeunesse éternelle ? Jérémie et Joana Balavoine, aujourd’hui adultes, répondent à cette question, non pas par des déclarations fracassantes, mais par la force tranquille de leurs choix de vie. Chacun à sa manière, ils perpétuent un héritage, non pas en copiant le père, mais en protégeant l’intégrité de son œuvre et en trouvant leur propre chemin artistique.

Jérémie Balavoine a récemment célébré ses 40 ans, ce lundi 15 juillet 2024. Un âge symbolique, dépassant celui de son père au moment de sa disparition. S’il a bien suivi les traces paternelles en embrassant une carrière dans la musique, il l’a fait avec une philosophie radicalement différente. Là où Daniel Balavoine utilisait les médias comme une arène pour porter ses combats, Jérémie a choisi la discrétion, presque le secret. Compositeur et auteur, il œuvre dans l’ombre, loin du fracas médiatique.

Ce choix n’est pas anodin. Il est le fruit d’une conviction profonde, d’une volonté de fer pour protéger la mémoire d’un père qu’il a à peine connu, mais dont il défend l’esprit avec une loyauté farouche. Le public l’a découvert en 2013, lorsque Jérémie a fait usage de son droit moral pour poser un véto retentissant sur la sortie d’un coffret hommage à Daniel Balavoine.

Dans une rare prise de parole, il avait alors expliqué son geste, dénonçant des “activités mercantiles dénuées de toute sincérité et d’ambition artistique”. Ces mots, pesés et tranchants, en disaient long sur sa vision. Pour Jérémie, l’héritage Balavoine n’est pas un produit à vendre, ni une marque à exploiter. C’est un feu sacré, une exigence artistique et une intégrité morale. En refusant que le nom de son père soit mêlé à ce qu’il percevait comme une récupération commerciale, il se posait en gardien du temple. Un gardien silencieux, mais inflexible.

Cette discrétion, il la cultive au quotidien. S’il partage parfois quelques bribes de son univers sur son compte Instagram, c’est toujours avec une pudeur qui contraste avec l’époque actuelle, obsédée par l’exposition de soi. Il trace sa route, dans la musique, mais selon ses propres termes, sans jamais utiliser son nom comme un passe-droit.

Le parcours de sa sœur, Joana, est tout aussi fascinant, mais empreint d’une nuance différente. Née quelques mois après le drame, elle est l’enfant de l’après. Elle n’a aucun souvenir direct de ce père dont tout le monde lui parlait, de cet artiste dont les chansons passaient en boucle. Son père, elle a dû l’apprendre, le découvrir à travers les récits de ses proches, les interviews, et surtout, ses œuvres. Une relation construite sur une absence, sur un mythe.

On pourrait croire la voie toute tracée. “Fille de” rime souvent avec “musique”. Pourtant, Joana a d’abord tout fait pour éviter cette fatalité. Dans un documentaire qui lui était consacré, “Je me présente, je m’appelle Daniel”, elle confiait avec une honnêteté désarmante : “J’ai tout tenté pour ne pas faire de la musique”. Cette phrase résume le dilemme. Comment exister par soi-même quand on porte un tel nom ? Comment savoir si la passion est vôtre, ou si elle est un simple écho, une attente des autres ?

Elle avouait alors sa crainte du jugement : “Je sais qu’il y aura toujours des gens qui me jugeront”. La peur d’être comparée, d’être jaugée à l’aune d’un génie indépassable. Mais, comme elle le dit si bien, elle a “grandi dans la marmite”. La musique était partout. Inévitable.

Après une période de rejet, Joana a fini par accepter cette part d’elle-même, cette passion qui coulait dans ses veines. Elle a cessé de lutter contre son héritage pour le transformer en force. En 2015, elle a franchi le pas de la création publique en formant le groupe Gentle Republic avec Alexandre Mazargil. Ensemble, ils ont sorti un EP, affirmant une identité musicale propre, un son qui n’appartient qu’à eux.

En montant sur scène, Joana n’a pas seulement embrassé sa passion ; elle a trouvé sa propre façon d’honorer son père. Non pas en l’imitant, mais en vivant, elle aussi, pour et par la musique. Elle a pris le risque de l’exposition, affrontant les jugements qu’elle redoutait, pour tracer son propre sillon artistique.

Daniel Balavoine : Ses deux enfants Joana et Jérémie, qui ont grandi sans  lui, sont devenus des artistes underground... et l'un d'eux sort une oeuvre  surprenante ! : Le diaporama - Purepeople

Ainsi, 38 ans après, l’héritage de Daniel Balavoine est plus vivant que jamais. Il ne réside pas seulement dans ses disques de platine ou dans la nostalgie des fans. Il vit à travers ses enfants. Jérémie, le protecteur de l’âme artistique, qui veille à ce que l’œuvre reste pure de tout compromis. Et Joana, l’artiste qui a dû apprivoiser l’ombre pour trouver sa propre lumière.

Ils sont les deux facettes d’une même pièce, les gardiens d’une mémoire qu’ils honorent par leur intégrité. Leur discrétion respective, leur refus de jouer le jeu médiatique des “enfants de”, témoigne d’un profond respect pour l’homme, au-delà de l’artiste. Ils ont compris que le plus bel hommage n’était pas de vivre de Balavoine, mais de vivre comme Balavoine l’aurait peut-être voulu : avec sincérité, passion et une exigence morale sans faille.

Loin du tumulte et des hommages mercantiles, Jérémie et Joana font vivre l’esprit de leur père. L’un en protégeant le silence, l’autre en créant sa propre musique. Ils sont la preuve que l’on peut grandir dans l’ombre d’un chêne sans être écrasé, mais en puisant dans ses racines la force de devenir soi-même. Le “chanteur” n’est plus, mais son esprit artistique, lui, se perpétue, avec sensibilité et vision, à travers ceux qui sont sa plus belle œuvre.