David Hallyday : Le traumatisme d’un adieu volé et le combat pour retrouver la mémoire de son père, se confie-t-il…

David Hallyday : son père lui "manque terriblement"

Dans le tumulte assourdissant qui a suivi la disparition de Johnny Hallyday, une voix était restée largement silencieuse. Celle de David Hallyday, le fils aîné, l’artiste pudique, souvent décrit comme discret. Aujourd’hui, ce silence se rompt. Non pas avec la fureur d’une bataille rangée, mais avec le poids d’une douleur contenue, celle d’un fils qui se bat moins pour un héritage matériel que pour une reconnaissance existentielle et la simple dignité d’un adieu.

David Hallyday a choisi de parler. Il le dit lui-même, “trop de mensonges” ont été dits. Des mensonges sur lui, mais surtout, et c’est là que la voix se charge d’une émotion palpable, des mensonges sur l’amour que son père lui portait. L’affaire de l’héritage, qui a fait les choux gras de la presse, est recadrée d’emblée. A-t-il été surpris d’être déshérité ? “Surpris, oui”, concède-t-il. Mais il s’empresse de préciser la nature de sa surprise. “Un héritage, c’est beaucoup de gens parlent d’argent… c’est la preuve qu’on a existé pour un parent. C’est surtout ça.”

Cette quête de légitimité affective est le fil rouge de son témoignage. Il ne demande pas des comptes financiers, mais un “droit moral”. Un droit pour les quatre enfants – lui, Laura, Jade et Joy – de “gérer son image”, d’avoir un “droit de regard”. Et pour lui, plus personnellement, un droit sur ce qui le liait intrinsèquement à son père : la musique. Un écho à cette conversation où Johnny lui-même avait évoqué l’idée qu’il soit responsable de son héritage artistique.

Loin de l’image parfois véhiculée d’une relation distante, David peint le portrait d’un lien père-fils complexe, mais indéfectible. Un lien forgé dans la distance, certes. Sa mère, Sylvie Vartan, l’a emmené aux États-Unis très jeune, pour le “protéger” de “la folie des années 70”. Les retrouvailles avec son père étaient intermittentes mais intenses. “Même si on se voyait pas pendant deux, trois mois… quand on se voyait, c’est comme si on ne s’était jamais quitté.”

Ils parlaient de tout. De musique, bien sûr, ce “lien fort” entre eux, mais aussi de filles, de sport. Était-il un bon père ? La réponse fuse, sans hésitation : “Ah ouais. Ouais, ouais. Un très bon père.” Un père pudique, comme lui. “Quand on dit ‘je t’aime’, c’est qu’il y a vraiment un élan du cœur, quoi, chez nous.” Un “je t’aime” qu’il a pourtant entendu, notamment lors de la dernière hospitalisation de son père, à la clinique Bizet.

Mais ce tableau d’une relation forte se fissure lorsque l’on aborde les derniers temps. Le mariage de son père avec Laeticia a-t-il compliqué les choses ? “Ça dépend à quelle période”, nuance-t-il, avant de cibler un moment précis : l’hospitalisation à Los Angeles, lorsque Johnny était dans un coma artificiel. Ce qui a troublé David, c’est “autant de monde en dehors du cercle familial”. Un sentiment d’intrusion, l’instinct naturel d’un fils qui se dit “mon père m’appartient quand même un petit peu”.

David Hallyday s'exprime pour la première fois depuis la mort de son père -  ladepeche.fr

Cette sensation d’être mis à l’écart n’a fait que s’intensifier lors de la dernière maladie, à Marnes-la-Coquette. L’accès à son père est devenu “de moins en moins simple”. “Il fallait que je m’annonce avant de venir… c’est un truc bizarre, quoi.” Bizarre, et surtout douloureux, quand il savait que “pas mal de gens autour” le voyaient, eux, régulièrement. Il le dit sans détour : il pense qu’il y avait des “consignes”. De qui ? “De Laeticia, ben oui.” Tout au long de l’entretien, il est à noter qu’il ne prononcera jamais son prénom, parlant de “la veuve de son père” ou répondant par l’affirmative quand on le mentionne pour lui.

Puis vient le récit du point de non-retour. Le jour qui précède la mort de Johnny. David est à Marnes-la-Coquette. Il est là, mais il ne verra pas son père. “J’ai passé la journée à attendre de pouvoir rentrer dans son bureau où il était hospitalisé. Et je n’ai pas pu le faire.” Le staff médical invoque la fatigue de son père. Une justification qu’il ne croit pas. “Je pense qu’ils avaient des consignes, oui.” Il n’a pas vu Laeticia de la journée.

Incapable de lui dire adieu, il fait le seul geste qui lui reste. Il écrit une lettre. “Je lui ai laissé une lettre à la personne de service qui était là, et je lui dis ‘s’il vous plaît, remettez-lui cette lettre’.” Il est parti sur cette demande. Le lendemain, quand il est revenu, quand il a enfin pu passer du temps “seul avec lui”, il était trop tard. “Je lui ai demandé : ‘vous avez pu lui remettre la lettre ?’ Il m’a dit : ‘non, désolé, j’ai pas pu lui remettre ni la lui lire’.”

La voix de David se brise presque. “Ça m’a marqué à vie. Et je pense que c’est le seul truc de toute ma vie qui va me… j’arriverai pas à guérir. Il y a beaucoup de choses que je vais arriver à passer, à dépasser, mais ça…” Le mot est lâché : “J’ai pas pu lui dire au revoir. C’est la réalité.”

La suite est une succession de moments froids, presque cliniques, qui contrastent avec la chaleur des souvenirs évoqués. C’est le médecin qui l’appelle, trois heures après son départ, pour lui annoncer la nouvelle. C’est lui qui doit appeler Nathalie Baye, pour qu’elle prévienne sa sœur, Laura. C’est lui qui découvre que les obsèques sont “déjà tout organisé”, sans qu’on lui demande son avis. On lui propose de “descendre” les Champs-Élysées derrière le corbillard avec Laeticia et ses filles. Il refuse. “L’hommage national, c’est pour mon père. C’est pas un défilé.”

Ce qui le blesse par-dessus tout, ce n’est pas la bataille juridique, mais la réécriture de l’histoire. “Depuis sept mois, huit mois, j’entends tout et n’importe quoi. Des scénarios différents, on parle à ma place, on parle à sa place, on invente des trucs.” Le pire, pour lui, c’est l’image que cela renvoie de son père. “J’ai l’impression qu’on a sali son image en disant que c’est un homme qui détestait la moitié de ses enfants. Je veux dire, c’est une blague ! Mon père, c’était quelqu’un d’aimant, qui avait quatre enfants, qui adorait ces quatre enfants.”

Face à cette douleur, face à ce deuil impossible, il lui restait la musique. L’écriture de son album n’était pas un choix, c’était une “nécessité”. Un exutoire pour celui qui a “beaucoup de mal à parler”. Cet album, c’est sa bulle, son refuge contre le bruit et la fureur. Y a-t-il des choses de cette fameuse lettre non lue dans ses chansons ? “Ça, je vous dirai pas”, sourit-il tristement. Mais il concède qu’il y a un peu de cette lettre, et peut-être aussi “la lettre que moi, je lui avais écrit”.

Il insiste : il n’y a “pas de vengeance” dans sa musique. “C’est juste de l’amour.” Un amour qu’il clame comme un bouclier. “L’amour est indestructible. Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse… ça changera en rien ce qui s’est passé.”

Et quand on lui demande ce qui lui manque le plus aujourd’hui de son père, la réponse surprend par sa simplicité et sa tendresse, loin du mythe et des paillettes. Ce ne sont pas les concerts au Parc des Princes, ni les tournées triomphales. Ce qui lui manque, c’est “regarder des films d’horreur avec lui jusqu’à 5h du matin.” Un instant de complicité pure, un moment où ils étaient juste un père et un fils, “pénards”.

Le témoignage de David Hallyday est celui d’un homme qui a perdu son père deux fois. Une fois par la maladie, et une seconde fois par l’interdiction d’un dernier geste, d’un dernier mot. En parlant aujourd’hui, il ne cherche pas seulement à rétablir sa vérité ; il tente de guérir une blessure à vif et de reprendre possession d’une mémoire qu’on a tenté, selon lui, de lui confisquer.