Jordan Bardella: "la réponse à tous les blocages, c'est le référendum" -  YouTube

Dans une France au climat politique incandescent, suspendue à des élections législatives anticipées qui redessinent son paysage, chaque parole pèse. Mais lorsque ces paroles proviennent de deux des figures les plus emblématiques de la jeunesse française, le débat quitte l’arène politique pour devenir un véritable phénomène de société. D’un côté, Kylian Mbappé, icône mondiale du football, idole des cités et fierté nationale. De l’autre, Jordan Bardella, jeune président triomphant du Rassemblement National, visage d’un parti aux portes du pouvoir. Le choc était inévitable ; il est désormais public.

Tout a commencé par une prise de position forte, celle de Kylian Mbappé. En pleine conférence de presse de l’équipe de France, il appelle solennellement “les jeunes à aller voter”, les mettant en garde contre “les extrêmes qui sont aux portes du pouvoir”. Dans son sillage, son coéquipier Marcus Thuram est encore plus direct, ciblant nommément le Rassemblement National. L’onde de choc est immédiate. Rarement un sportif de ce calibre n’était sorti de sa réserve avec autant de force sur un sujet aussi clivant.

La réponse n’a pas tardé. Interrogé sur Europe 1, Jordan Bardella a livré une réplique ciselée, véritable cas d’école de communication politique. Sa stratégie ? Un mélange de respect apparent et une attaque populiste dévastatrice.

“Moi, j’ai beaucoup de respect pour nos footballeurs”, commence-t-il, mentionnant Mbappé et Thuram comme des “icônes du football” et “des icônes pour la jeunesse”. Un préambule nécessaire pour ne pas s’aliéner d’emblée les millions de fans. C’est la caresse avant le coup. Car la phrase suivante opère un pivot à 180 degrés : “Mais il faut respecter les Français, il faut respecter le vote de chacun.”

Par cette simple phrase, Bardella insinue que la prise de parole de Mbappé est, en soi, un manque de respect envers le processus démocratique et les électeurs, dont une partie significative se tourne vers son parti. Le décor est planté. Mais c’est la suite qui fait basculer l’échange dans une autre dimension : celle de la lutte des classes.

“Quand on a la chance d’avoir un très, très gros salaire, qu’on est multimillionnaire, qu’on a la chance de pouvoir se balader en jet privé, alors je suis un peu gêné”, lâche Jordan Bardella. Le mot est lâché : “gêné”. Il ne se dit pas “scandalisé” ou “en colère”, mais “gêné”. Une posture rhétorique habile qui le place en observateur presque peiné d’un tel décalage, d’une telle déconnexion.

Il poursuit, dessinant un portrait au vitriol de l’élite déconnectée : “Je suis un peu gêné de voir ces sportifs qui gagnent beaucoup d’argent donner des leçons à des gens qui gagnent 1400, 1500 €, qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois, qui ne se sentent plus en sécurité.”

Kylian Mbappé réagit après la défaite contre l'Espagne #euro2024 #france # mbappé #kylianmbappé - YouTube

L’attaque est brillante. En quelques secondes, Bardella a transformé un débat sur les valeurs républicaines en un référendum sur la légitimité de la parole publique. Selon lui, Mbappé, de par son statut social, serait disqualifié pour parler au nom du “peuple”. Il oppose méthodiquement deux France : celle du “jet privé” et celle des “fins de mois difficiles”. Celle des “quartiers surprotégés par des agents de sécurité” et celle de l’insécurité quotidienne.

Cette rhétorique est le cœur de la stratégie du Rassemblement National : se présenter comme le seul défenseur des “petits”, des “oubliés”, contre des “élites” mondialisées, qu’elles soient politiques, médiatiques ou, désormais, sportives. En ciblant Mbappé, Bardella ne s’attaque pas seulement à un citoyen, il frappe un symbole. Il tente de briser l’image du jeune homme de Bondy devenu roi, pour n’en garder que celle du “multimillionnaire”. Il lui renvoie son propre succès à la figure comme la preuve de sa trahison de classe.

La polémique ne s’arrête pas là. Bardella s’empare ensuite de la déclaration de Mbappé, qui avait exprimé son espoir de pouvoir “porter un maillot français avec fierté après le 7 juillet”. La réponse du leader du RN est sarcastique, mais redoutablement efficace pour sa base : “Je ne savais pas que le maillot de l’équipe de France était le maillot du gouvernement.”

Ici encore, la manœuvre est habile. Il accuse Mbappé de politiser un symbole national qui, par définition, devrait transcender les clivages. Ce faisant, Bardella se positionne, lui, en défenseur de l’unité nationale, retournant l’accusation d’extrémisme contre celui qui la formule. Il s’approprie le drapeau et le maillot, les revendiquant comme appartenant à tous, y compris à ses électeurs.

Cet échange soulève une question fondamentale qui divise profondément la société française : un sportif a-t-il un rôle à jouer dans le débat public ? Pour les uns, la réponse est un “oui” retentissant. Mbappé, en tant que citoyen et modèle pour des millions de jeunes issus de la diversité, aurait même un “devoir” d’alerte. Sa voix, plus puissante que celle de n’importe quel politique, serait essentielle pour mobiliser une jeunesse souvent abstentionniste.

Pour les autres, la réponse de Jordan Bardella fait écho. Ils y voient l’arrogance d’une caste de privilégiés, déconnectés des réalités que vivent les Français. “Qu’il joue au foot et qu’il se taise”, peut-on lire en substance sur les réseaux sociaux. C’est l’éternel débat français sur la place de l’argent et la légitimité de la parole.

El líder de la extrema derecha de Francia arremetió contra Mbappé por sus  comentarios sobre las elecciones - Doble Amarilla

Au-delà de la joute verbale, c’est bien le symptôme d’une France fracturée qui se révèle. Fractures sociales, fractures culturelles, fractures identitaires. L’interview de Jordan Bardella se conclut d’ailleurs sur cette note, lorsqu’il affirme ne pas être “certain que, dans la période très difficile que traverse le pays, […] ces leçons de morale soient très appréciées par les Français.”

Le mot est lâché une seconde fois : “leçons de morale”. C’est ainsi que la prise de parole de Mbappé est désormais qualifiée, et probablement ainsi qu’elle restera dans l’esprit des partisans du RN. Bardella a réussi à cadrer le débat non pas sur le fond (le danger de “l’extrême droite”), mais sur la forme (l’arrogance de “l’extrême richesse”).

Cette polémique est loin d’être anecdotique. Elle illustre le choc entre deux jeunesses françaises. Celle, diverse et ouverte sur le monde, que représente Kylian Mbappé. Et celle, plus identitaire et inquiète du déclassement, qui se reconnaît dans le discours de Jordan Bardella. À quelques jours d’un scrutin historique, ce n’est plus seulement une élection qui se joue, c’est une bataille culturelle pour le cœur du pays. Et dans cette bataille, les stades de foot et les plateaux de radio sont devenus, le temps d’un été, les nouveaux champs de bataille.