Cagnac-les-Mines. Un nom qui résonnait autrefois du labeur de son passé minier, aujourd’hui synonyme d’un des plus grands mystères judiciaires français. C’est ici, dans ce petit village du Tarn, que la vie de Delphine Jubillar, une infirmière de 33 ans et mère de deux jeunes enfants, s’est arrêtée net. Dans la nuit glaciale du 15 au 16 décembre 2020, elle s’est volatilisée. Évaporée. Sans laisser la moindre trace, si ce n’est un silence assourdissant et un mari au comportement de plus en plus suspect.

L’alerte est donnée au petit matin, vers 4 heures, par son époux, Cédric Jubillar. D’un ton que les gendarmes décriront comme étonnamment “neutre”, il déclare que Delphine est partie promener les chiens et n’est pas rentrée. Une version qui, d’emblée, sème le doute. Promener des chiens en pleine nuit, par un froid glacial, alors que son sac à main reste dans la maison et son téléphone s’éteint brutalement ? L’incohérence est palpable.

Pour les proches de Delphine, la thèse de la fugue volontaire est une insulte. Jamais, affirment-ils en chœur, cette mère aimante n’aurait abandonné ses enfants de 6 et 2 ans. Ce détail, loin d’être anodin, fait basculer l’enquête de “disparition inquiétante” à la chronique d’un drame conjugal annoncé.

Car la façade de la famille ordinaire s’est rapidement lézardée. L’enquête révèle un couple en pleine décomposition. Les disputes, souvent violentes verbalement, rythmaient le quotidien, au point que les voisins témoigneront avoir entendu des cris et des échanges houleux à toute heure. Une procédure de séparation était en cours. Plus décisif encore : Delphine avait retrouvé l’amour. Elle avait une nouvelle relation, un homme rencontré en ligne avec qui elle préparait un nouveau départ, loin du climat “oppressant” qu’elle disait subir à la maison.

Ce contexte devient la toile de fond sur laquelle se dessine le profil troublant de Cédric Jubillar. Peintre plaquiste, l’homme intrigue. Décrit comme “instable”, “colérique” et “provocateur”, son attitude détonne. Dès les premiers interrogatoires, il se montre arrogant, ironique, parfois indifférent. Pas un instant il ne semble accablé par l’inquiétude. Il ne participe que très peu aux recherches et se permet même des commentaires glaçants, comme lorsqu’il lance que sa femme est “sûrement partie avec son mec à la mer”. Une froideur qui choque jusqu’à ses propres amis.

Pendant des mois, les recherches s’enlisent. Des battues citoyennes rassemblant des centaines de bénévoles, des drones, des sondages de rivières, des explorations de puits… Rien. Le néant. Delphine reste introuvable. C’est dans ce climat pesant qu’en juin 2021, la justice frappe un grand coup. Cédric Jubillar est mis en examen pour homicide volontaire sur conjoint et placé en détention provisoire. La décision n’est pas basée sur une preuve irréfutable, mais sur un “faisceau d’indices graves et concordants”. Et au cœur de ce faisceau, il y a les mots. Des paroles terrifiantes prononcées par le mari lui-même.

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C’est là que l’affaire bascule dans l’effroi psychologique. Loin d’un aveu formel, Cédric Jubillar va livrer aux enquêteurs, et plus tard à des codétenus, des fragments de vérité présumée, des déclarations ambiguës qui, mises bout à bout, dessinent le scénario de l’irréparable.

Lors de ses auditions, sa désinvolture agace. Il tente de manipuler les gendarmes, leur propose des scénarios absurdes. Mais la colère finit par percer. Dans un procès-verbal, une phrase est consignée. Prononcée sur un ton “dur, presque haineux”, elle expose la rancœur d’un homme qui se sent bafoué : “Elle me prenait pour un con. Elle voulait me quitter. Elle voulait tout me prendre.” C’est l’expression brute d’un mobile : l’humiliation et la peur de tout perdre.

Une autre fois, il lâche, sibyllin : “De toute façon, elle est partie, elle ne reviendra pas.” Une simple observation ? Pour les enquêteurs, c’est un lapsus, l’aveu à peine masqué d’une finalité dont il serait l’auteur.

Mais les déclarations les plus choquantes émergent de l’univers carcéral. Cédric Jubillar, en détention, se vante, parle trop. Un premier codétenu, jugé crédible, rapporte aux enquêteurs une confession détaillée. Cédric lui aurait avoué avoir tué Delphine lors d’une dispute qui aurait dégénéré après la découverte d’un message de son amant. Il l’aurait étranglée dans la chambre, avant de dissimuler le corps dans un endroit qu’il connaissait bien, un lieu où, selon lui, “personne ne penserait à fouiller”.

Face à ces éléments, les enquêteurs tendent un piège. Un autre codétenu est équipé d’un micro. Durant la conversation enregistrée, Cédric Jubillar ne passe pas aux aveux directs, mais ses propos sont lourds de sous-entendus. Il jubile presque. Il affirme que les enquêteurs “ne retrouveront jamais rien”, que “tout a été bien fait”, qu’il “n’est pas débile” et qu’il “a pensé à tout”. Puis, dans un éclat de rire glacial qui restera comme le symbole de son arrogance, il lance ce défi à la justice : “Si je l’avais tué, vous croyez que vous l’auriez retrouvé ?”

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Ces paroles ne sont pas isolées. Elles viennent s’ajouter à d’autres indices accablants. Il y a d’abord la peur de Delphine. Quelques semaines avant sa disparition, elle confie à une amie cette phrase prémonitoire : “S’il apprend pour lui, je suis morte.” Il y a aussi le témoignage du fils aîné du couple. Entendu dans un cadre protégé, l’enfant, alors âgé de 6 ans, aurait évoqué une dispute très violente cette nuit-là. Il aurait entendu “Maman crier”, puis “plus rien”. Il y a enfin les recherches internet suspectes de Cédric, portant sur la dissimulation de corps et des produits de nettoyage.

Pourtant, malgré l’accumulation, un élément manque. Une pièce maîtresse. Le corps de Delphine.

Cette absence est le cœur de l’affaire et le principal axe de défense de Cédric Jubillar. Sans corps, il n’y a pas de scène de crime, pas de preuve scientifique, pas de cause de décès certaine. La justice peut-elle condamner un homme sur la base de son comportement, de témoignages rapportés et de phrases ambiguës, aussi accablantes soient-elles ? C’est tout l’enjeu du procès à venir.

Aujourd’hui, Cédric Jubillar attend dans sa cellule, niant toujours les faits, jouant sur l’absence de preuves. Dehors, la famille de Delphine attend le retour de son corps, condition indispensable pour commencer un deuil impossible. Ses enfants grandissent avec ce vide, ce silence pesant qui plane sur la maison de Cagnac-les-Mines, désormais vide, volets clos.

L’affaire Jubillar est devenue bien plus qu’un fait divers. Elle est le symbole de ces violences conjugales invisibles, de cette emprise psychologique qui ne laisse pas de traces, sauf lorsqu’il est trop tard. Elle est le révélateur d’un drame où la culpabilité semble évidente pour beaucoup, mais reste juridiquement fragile. Et dans ce vide, les paroles de Cédric Jubillar résonnent encore, comme un défi lancé à la vérité : “Vous croyez que vous l’auriez retrouvé ?”