“De rockstar à tueur”, le cas Cantat : Lio réagit

Près de vingt ans après le féminicide de Marie Trintignant, la parole de Lio, artiste et témoin engagée, résonne aujourd’hui avec une force et une clarté que peu osaient entendre à l’époque. Dans une émission poignante diffusée à l’occasion de la sortie du documentaire Netflix sur l’affaire Bertrand Cantat, Lio revient sur les faits, les silences, les stratégies d’évitement, et sur la violence systémique qu’elle dénonce depuis deux décennies.

Un meurtre masqué par le mythe du « crime passionnel »

En août 2003, Marie Trintignant, actrice reconnue, meurt sous les coups de Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir Désir. Dès les premiers jours, l’affaire est qualifiée de « crime passionnel ». Un mot aujourd’hui révoltant, qui à l’époque permet d’adoucir la réalité brutale : une femme est morte, battue à mains nues.

Sur un plateau de télévision, Lio, alors chanteuse et figure féminine forte, ose dire ce que beaucoup refusent d’entendre : “L’amour n’apporte pas la mort. Marie est morte avec un visage détruit, comme après un accident à 120 km/h. Ce sont les mots des médecins.”

L’artiste dénonce la complaisance de la presse et de certains milieux artistiques. Elle rappelle que Marie Trintignant n’est pas morte d’une dispute amoureuse, mais d’une agression mortelle. Le mot « féminicide » n’existait pas encore dans le langage médiatique. Aujourd’hui, il est reconnu et utilisé pour qualifier ce meurtre.

Le silence complice de l’industrie musicale

Lio ne s’arrête pas là. Elle accuse aussi l’industrie musicale d’avoir protégé Bertrand Cantat pour des raisons financières. Noir Désir était alors un groupe majeur, générant des revenus considérables.

“Il ne s’agit pas de protéger un artiste, mais un rapporteur d’argent”, affirme-t-elle. Elle évoque les stratégies mises en place pour contenir les conséquences médiatiques, notamment vis-à-vis de Krisztina Rady, compagne de Cantat après Marie, et mère de ses enfants.

Krisztina Rady, manipulée, isolée, a fini par se suicider. Pour Lio, ce drame est aussi le fruit d’une violence insidieuse. “Il y a eu une prise en main de Krisztina par le groupe et Universal. Elle a été enfermée dans un rôle de protection de l’image et de la carrière de Cantat.”

Une parole longtemps marginalisée

En 2003, alors que le pays pleure Marie Trintignant mais peine à nommer la réalité du féminicide, Lio devient l’une des rares voix à accuser clairement Cantat. Cette prise de position lui coûte cher : carrière freinée, contrats annulés, boycott implicite.

“J’avais produit moi-même ma tournée. Mon niveau de public était bon. Mais tout s’est arrêté. Plus de dates, plus de contrats. Mon tourneur a refusé de me remettre les papiers nécessaires pour poursuivre.”

Elle parle d’un système étouffant, dirigé par des personnalités influentes du milieu musical, qui l’ont perçue comme « folle, hystérique », et qui ont fait d’elle une paria pour avoir dit la vérité trop tôt.

Krisztina Rady, un autre drame

Le documentaire Netflix rappelle que la souffrance ne s’est pas arrêtée avec la mort de Marie. Des années plus tard, Krisztina Rady, qui avait initialement défendu Cantat au tribunal, met fin à ses jours. Lio livre un témoignage bouleversant sur leur rencontre.

“Elle m’a attendue dans un restaurant. Longtemps. J’étais gênée, je n’ai pas su quoi faire. Je me suis mal comportée. Je ne l’ai pas écoutée. Elle voulait me parler. Me dire qu’elle regrettait. Qu’elle n’était pas heureuse.”

Krisztina avait refait sa vie, rencontré un nouvel amour. Mais Cantat ne le supportait pas. Il revient s’installer chez elle, les violences reprennent. On parle de coups, de décollement du cuir chevelu. Une lente descente vers le silence et la mort.

L’omerta et la mémoire falsifiée

Ce que Lio dénonce aussi, c’est la réécriture de l’histoire. Comment Marie Trintignant a été dépeinte comme instable, excessive, violente elle-même.

Des proches de Cantat, dont son propre frère, participent à ce qu’on appelle aujourd’hui le “victim blaming” : blâmer la victime pour atténuer la responsabilité de l’agresseur. “Elle avait quatre enfants de quatre pères différents…”. Ces phrases, énoncées en public, sont le reflet d’un mépris encore profond.

“Pas besoin de savoir que cela s’appelle du victim blaming pour comprendre que chaque phrase est ignoble. Marie était petite, frêle. Bertrand Cantat mesure 1,90 m, portait des bagues à chaque doigt. Il l’a défigurée.”

Une libération de la parole

Aujourd’hui, Lio ne se sent plus seule. Le discours a changé. Les mots existent. La société commence à ouvrir les yeux.

“Les femmes prennent confiance. J’ai reçu des centaines de témoignages. Certaines me disaient : ‘Je suis dans cette situation. Je ne sais pas comment faire.’ D’autres m’ont dit que mon témoignage les avait poussées à partir. Dix ans après, elles l’ont fait.”

Pour Lio, l’affaire Cantat n’est pas unique. “Il n’y a pas une affaire Cantat, il y en a plusieurs. Et il faut les regarder en face.”

Le rôle des médias et des avocats

Elle critique aussi la façon dont certains avocats défendent encore aujourd’hui les agresseurs sexuels. Elle cite le cas de l’avocat de Gérard Depardieu et déplore l’absence de déontologie : “Si un voleur tue une victime chez vous, personne ne remet en cause la victime. Mais pour les femmes, on le fait sans scrupule.”

Une artiste debout, une femme debout

Malgré les blessures, les silences et les pertes, Lio reste debout. Le 15 mars dernier, elle était sur scène pour la tournée Les Années 80, ovationnée par un public ému. Elle continue de recevoir des lettres, des messages de femmes qui lui disent merci. Parce qu’elle a osé. Parce qu’elle a dit ce que tant voulaient faire taire.

Et parce qu’aujourd’hui, sa parole ne résonne plus seule. Elle est devenue un écho collectif. Un combat partagé.