Biyouna, l’Indomptable : Le “One-Woman Show” de la Liberté qui a Enflammé Paris et nos Cœurs

C’est une tornade, un phénomène, une force de la nature qui ne s’excuse jamais d’exister. Biyouna, l’icône absolue de la culture algérienne et trait d’union flamboyant avec la France, a posé ses valises – et son franc-parler légendaire – sur la scène du Théâtre Marigny. Plus qu’un simple spectacle, c’est une véritable thérapie de groupe, une célébration de la vie et, surtout, un hymne vibrant à la liberté qu’elle a défendue bec et ongles toute sa vie.

Algérie – Biyouna : « Il y a des biyounettes partout, maintenant ! »

Cette entrée en matière, faussement anodine, résume tout le personnage : une proximité désarmante, une chaleur humaine immédiate (“ma chérie, voilà, tout est magique chez vous”) et cette capacité unique à transformer une scène de théâtre parisienne en un salon algérois intime. Biyouna ne joue pas pour un public, elle reçoit des invités. Elle nous accueille dans son univers où la magie n’est pas un artifice, mais une façon de voir la vie, malgré les épreuves.

Une résilience forgée dans le feu de la “Décennie Noire”

Mais derrière le rire tonitruant et les blagues sur le thé, se cache une blessure, une profondeur que Biyouna ne cherche pas à dissimuler. L’artiste revient avec une émotion palpable sur les années sombres de l’Algérie, cette terrible “décennie noire” qui a tenté de bâillonner la culture et la joie.

“C’est difficile d’être une femme humoriste, irrévérencieuse en Algérie”, confie-t-elle, le regard soudain plus grave. Elle évoque ce temps où le rire était un acte de résistance, où être une femme libre était un danger mortel. “Avant, c’était très difficile… je l’ai mis en veilleuse, en catimini.” Ces mots résonnent terriblement. Ils racontent la survie, l’art de se faire petite pour ne pas être brisée, tout en gardant la flamme allumée à l’intérieur.

Pourtant, Biyouna n’a jamais plié. Elle a peut-être baissé le volume, mais elle n’a jamais coupé le son. “C’est ma fierté, ma gueule”, lance-t-elle avec cette gouaille qui nous fait tant l’aimer. Sa liberté n’est pas négociable. “J’ai toujours cherché ma liberté et ma liberté, je la garderai toujours jusqu’à ma mort.” C’est là le cœur battant de son spectacle : le triomphe de la vie sur l’obscurantisme. Biyouna est la preuve vivante qu’on peut tout prendre à un artiste, sauf son âme.

La philosophie maternelle : “Je les emmerde !”

D’où lui vient cette force titanesque ? D’une lignée de femmes indomptables, à commencer par sa mère, figure tutélaire omniprésente dans son récit. Biyouna cite, avec un plaisir non dissimulé, le mantra maternel qui lui sert de boussole face aux critiques et aux ennemis : “Il y a ma mère qui disait toujours une chose : je les emmerde à pied, à cheval et en voiture !”

La salle exulte. Cette phrase, c’est du Biyouna pur jus : vulgaire juste ce qu’il faut, imagée, drôle et terriblement libératrice. C’est un cri de guerre contre les “qu’en-dira-t-on”, contre les intégristes, contre les moralisateurs de tous bords. Biyouna ne se contente pas d’ignorer ses détracteurs, elle les “emmerde” avec panache, utilisant tous les moyens de transport disponibles pour bien faire passer le message ! C’est cette authenticité brute qui la rend si précieuse. Elle ne s’excuse pas d’être qui elle est : une femme bruyante, vivante, qui prend de la place et qui aime ça.

Si Biyouna était Présidente…

L'adieu à Biyouna : un hommage à l'icône de la Liberté et de l'audace  algérienne​ - Le Matin d'Algérie

Le spectacle n’est pas qu’une introspection, c’est aussi une vision du monde. “J’étais présidente, oui, oui, messieurs dames !”, s’amuse-t-elle. Et pourquoi pas ? Son programme est vaste et hilarant : “C’est beaucoup d’humour mais il y a aussi des sujets très sérieux : politique, économique, transatlantique, Pacifique, titanesque, toute option !”

Derrière l’absurdité de l’énumération (“titanesque, toute option”), il y a la revendication d’une parole citoyenne. Biyouna s’empare des mots des “grands” pour les tordre et se les approprier. Elle nous rappelle que l’humour est l’arme politique la plus redoutable. Elle aborde les contradictions de la société algérienne, les relations complexes avec la France, et les absurdités du quotidien avec une lucidité tranchante. Sous le masque du clown, la reine Biyouna observe le monde et nous livre ses vérités, parfois crues, toujours justes.

Le talon d’Achille : Salvatore Adamo

Mais que serait une grande diva sans son petit cœur d’artichaut ? Le moment le plus tendre et le plus drôle de l’interview reste sans doute sa confession sur son idole absolue : Salvatore Adamo. La guerrière de Belcourt redevient une adolescente rougissante à la simple évocation du chanteur italo-belge.

“Vous êtes folle d’Adamo, vous pouvez nous le dire ?”, lui demande-t-on. La réponse est sans appel : “Moi, ce que j’ai peur, c’est de le trouver un jour dans la salle ou bien dans les coulisses… Alors là, je vais m’évanouir !” On l’imagine, elle, la force de la nature, tomber dans les pommes face à l’interprète de “Tombe la neige”. Elle entonne même, avec des étoiles dans les yeux, “Laisse tes mains sur tes hanches…”, transformant le studio en karaoké improvisé.

Ce contraste entre la femme forte qui “emmerde” le monde et la fan sentimentale qui rêve de s’évanouir dans les bras de son idole rend Biyouna infiniment humaine. Elle est nous tous : forte et fragile, rebelle et romantique.

L'actrice et chanteuse Biyouna, vue dans La Source des femmes et Le Grand  bazar, s'est éteinte à 73 ans - Actus Ciné - AlloCiné

Un rendez-vous avec l’Histoire

Ce spectacle au Théâtre Marigny, qui s’est joué “jusqu’à mars, après on ne sait pas, inchallah”, restera gravé comme un moment de grâce. Biyouna n’a pas seulement fait son “one-woman show”, elle a offert une leçon de survie et d’amour.

En ces temps souvent troubles, la voix de Biyouna est un remède nécessaire. Elle nous apprend que la liberté se conquiert chaque jour, que le rire est le meilleur bouclier, et qu’il ne faut jamais, jamais cesser de rêver – que ce soit de démocratie ou de Salvatore Adamo. Merci, Madame Biyouna, pour ce thé à la menthe servi avec tant d’amour et de courage. On en reprendra volontiers une tasse.