Dans l’arène médiatique moderne, où la polémique est souvent la monnaie la plus forte, rares sont les confrontations qui révèlent avec autant de brutalité les fractures les plus profondes de la société française. L’interview récente du rappeur Nick Conrad par l’éditorialiste Charlotte, disponible sur la chaîne L’IDR, n’est pas un simple échange télévisuel ; c’est un séisme sociétal, une heure de vérité crue où la liberté artistique s’est heurtée de plein fouet aux limites de l’incitation à la haine raciale. Le titre même de la séquence – « CHARLOTTE pulvérise un RAPPEUR sur ses PROPOS anti-FRANCE » – ne ment pas : la violence du verbe, ici, n’est pas seulement dans les paroles controversées, elle est aussi dans la riposte, cinglante et implacable.

Le cœur de cette affaire remonte à 2018, avec la diffusion du clip « Pendez-les ! » (ou une œuvre similaire, aux paroles non moins choquantes), qui propulsa Nick Conrad de l’anonymat à l’infamie nationale. Les paroles, répétées lors de l’interview, sont d’une abomination difficilement soutenable : « Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs, attrapez-les vites et pendez leurs parents. » Ces mots, prononcés avec une assurance déconcertante par leur auteur, ne sont pas de la fiction de série B, mais un appel explicite et public à la violence raciale, mis en scène dans un clip où un homme blanc est mis à mort et une femme blanche étranglée.

L’Impuissance de la Loi Face à la Haine Déclarée

Charlotte, spécialiste des affaires courantes, a immédiatement et méthodiquement attaqué le rappeur sur le terrain légal et moral. Elle a rappelé le jugement de mars 2019, confirmé en appel en septembre 2020, où Nick Conrad a été condamné pour « provocation publique à la commission d’un crime ou d’un délit » et « injure publique en raison de l’origine ». La sentence : 5 000 € d’amende.

C’est ici que la déconnexion entre la gravité des propos et la légèreté de la peine saute aux yeux. L’éditorialiste a dressé un inventaire glaçant du droit français. L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit que l’incitation à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur origine ou leur « race » est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Nick Conrad n’a écopé que d’une fraction de l’amende maximale, sans aucune peine de prison, même avec sursis. La conclusion de Charlotte est amère et sans appel : « Énorme application de la loi quand il ne s’agit pas d’Éric Zemmour qui, je le rappelle, n’a jamais souhaité la mort de personne ». Cette comparaison vise à pointer du doigt un potentiel « deux poids, deux mesures » dans l’application de la justice face à la haine raciale, selon qu’elle vise un groupe majoritaire ou minoritaire.

Au-delà de l’appel au meurtre de civils, l’article a mis en lumière un autre aspect terrifiant du clip : l’apologie du terrorisme. Nick Conrad y évoque un « djihad de triste mémoire » et cite le nom de Khaled Kelkal, terroriste franco-algérien impliqué dans la vague d’attentats de l’été 1995 à Paris, notamment celui du RER B à Saint-Michel qui a fait 8 morts et plus de 100 blessés. Pour Charlotte, une telle référence est « une insulte pour les victimes de terrorisme ». Le rappeur a tenté de s’en défendre en évoquant un professeur qui l’aurait comparé à Kelkal, mais le raccourci est jugé fallacieux.

Le Piège de la Posture Victimaire

Accrochage entre Charlotte d'Ornellas de "Valeurs Actuelles" et le rappeur  Nick Conrad: "Vous êtes sérieux ? Vous vous rendez compte de ce que vous  chantez ?" - VIDEO | Jean-Marc Morandini

Face à l’offensive, Nick Conrad s’est retranché derrière l’argumentaire classique du trauma et de l’expérience vécue. Il a insisté sur le fait que ses paroles sont le reflet d’une souffrance, d’un « vécu qui est le [sien] » dans un pays où l’on n’est « pas forcément toujours accepté, toujours reconnu ». Il prétend que l’intention derrière son œuvre est d’engager une « conversation de l’histoire commune que nous partageons » et d’amener à une prise de conscience de « l’histoire de l’autre ». Selon lui, ses mots expriment une « tension qui est française ».

Le point culminant de cette défense est arrivé à la fin de l’interview, où Conrad a révélé l’origine de l’idée de « tuer des bébés blancs » : il l’aurait écrite pour son meilleur ami, enfant métis que son beau-père blanc aurait tenté d’étouffer en raison de ses origines. L’acte serait alors un « effet miroir », une tentative de faire ressentir l’empathie à travers l’horreur.

Cette justification, bien que visant à humaniser l’auteur, a été balayée par Charlotte, qui y a vu une « posture victimaire qui est insupportable ». Elle a dénoncé une « dialectique convenue de toutes les minorités qui se disent naturellement agressées, discriminées par la société française » et qui s’en servent pour « se faire du fric avec ça ».

L’éditorialiste a pris le temps de déconstruire l’argumentaire historique du rappeur, notamment sa comparaison implicite avec les États-Unis. Contrairement à l’Amérique, qui a institutionnalisé la ségrégation raciale par les lois Jim Crow pendant près d’un siècle, la France n’a jamais, par ses lois sur le territoire métropolitain, institué un système juridique de ségrégation. La Constitution garantit l’égalité de tous devant la loi sans distinction d’origine, de « race » ou de religion depuis 1789, la seule exception notable étant le Code de l’indigénat appliqué dans les colonies, mais jamais en métropole. L’histoire de la France, bien qu’imparfaite, est fondamentalement différente de celle des États-Unis, et le rappeur, selon l’interviewer, « invoque l’histoire de ce pays sans la connaître ».

La Grand-Mère de l’Hexagone

L’échange a atteint un paroxysme d’émotion lorsque Charlotte est passée de l’argument légal à l’attaque personnelle, transformant le débat politique en une affaire de cœur et d’identité. Reprenant une autre phrase de Conrad : « J’ai baisé la France jusqu’à l’agonie, cette Hexagone, j’encule sa grand-mère », elle a opposé son propre vécu : « Moi aussi je suis française, je suis née dans ce pays voyez-vous et quand j’entends ça… en fait la grand-mère de cette Hexagone c’est la mienne voyez-vous ».

Cette réplique, simple mais puissante, a réintroduit l’élément humain dans un débat intellectualisé sur la sociologie et l’histoire, obligeant le rappeur à faire face à la réalité de ses propos : en insultant la France, il insulte l’identité et les aïeux de millions de citoyens, y compris son interlocutrice. La conclusion est tranchante : « Si ce pays est insupportable et que vous avez envie d’enculer sa grand-mère comme vous dites, mais la porte est ouverte en fait ». C’est une invitation à la dénaturalisation, même si Charlotte a dû reconnaître que les procédures de retrait de nationalité sont très strictement encadrées en droit français et ne concernent que des cas précis (terrorisme, etc.) et des individus possédant une double nationalité, pour éviter l’apatridie.

Le refus du rappeur d’assumer pleinement ses mots est également souligné, l’intervieweuse rappelant ses propos tenus à la sortie du tribunal : « Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit, je ne le regrette pas, je le pense vraiment ». Cette dénégation de tout repentir a servi de socle à la violence de Charlotte, qui a martelé que le rappeur alimente la victimisation au lieu de la combattre. Même si l’ascenseur social est en panne en France, surtout pour les jeunes de banlieue, les paroles du rappeur restent « parfaitement inadmissible » et tombent « sous le coup de la loi ».

Quand le Rap Vient Heurter la Paix Civile

Charlotte d'Ornellas : «Il y a une surreprésentation des étrangers dans la  délinquance par rapport à leur pourcentage dans la population» - Vidéo  Dailymotion

La déflagration provoquée par le clip de Nick Conrad, et par cette interview, est révélatrice d’un problème plus vaste : l’absence de régulation et de responsabilité dans l’ère de la diffusion numérique. L’article de Charlotte a évoqué l’absence d’un organisme unique et obligatoire chargé de vérifier systématiquement les clips musicaux en France avant leur diffusion. Si les chaînes de télévision sont soumises à l’ARCOM (ex-CSA) et aux obligations de classification et d’horaires de diffusion, Internet, YouTube, Spotify et autres n’exigent aucun contrôle préalable.

C’est là que réside le danger majeur. Comme l’a conclu Charlotte, ceux qui écoutent le rappeur « ne prennent pas de distanciation, ils vous prennent au mot ». Le rôle de l’artiste est d’éveiller, de choquer, de faire réfléchir, mais quand le message est une incitation directe au meurtre et au racisme, la barrière de la liberté artistique est pulvérisée. Le rappeur peut bien demander d’écouter l’album entier pour saisir son « bourdonnement des colibris », l’extrait litigieux reste la seule chose que beaucoup retiendront.

Cette interview est plus qu’un clash, c’est un document accablant sur l’état de la société française, où la violence verbale est devenue un fonds de commerce, où les peines de justice semblent dérisoires face à la démesure des propos, et où un artiste utilise le miroir du trauma non pas pour la guérison, mais pour l’escalade de la haine. La « pulvérisation » du rappeur par Charlotte n’est pas une victoire, mais le signal que le débat sur l’identité, l’histoire et la place des communautés en France est loin d’être clos, et qu’il se déroule désormais dans un climat d’une toxicité sans précédent. Le silence, parfois, serait moins dangereux que ces paroles.