Claude François : le chagrin monstrueux de sa mère Chouffa.

Le 11 mars 1978 à 14 h 45, la France bascule dans la stupeur. Claude François, idole des foules, chanteur adulé, tombe tragiquement, électrocuté en voulant redresser une applique défectueuse dans sa salle de bain. À seulement 39 ans, celui que l’on surnommait « Cloclo » disparaît brutalement, laissant derrière lui un vide immense. Pour ses millions de fans, ce fut une sidération nationale, mais pour ses proches, et particulièrement sa mère, ce drame marqua le début d’un chagrin qui ne se refermera jamais.

Lucia François, née Lucia Mazzei, femme d’origine calabraise installée à Ismaïlia en Égypte avant de rejoindre la France, venait tout juste de fêter son 68ᵉ anniversaire le 20 février 1978, quelques jours avant la mort de son fils. Déjà frappée par la disparition de son mari Aimé en 1961, elle voyait en Claude non seulement le fils adoré, mais aussi l’homme qui avait pris, en partie, la place du père disparu. Lorsque le drame éclata, elle fut littéralement brisée. Ceux qui étaient présents aux obsèques du chanteur se souviennent de ses cris déchirants : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! » répétait-elle, incapable d’accepter cette fatalité absurde.

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Les relations entre Claude et sa mère n’avaient pourtant pas toujours été simples. Tous deux avaient un caractère fort, parfois même explosif. Josette, la sœur aînée du chanteur, racontait combien mère et fils pouvaient entrer en conflit pour des broutilles. Mais au-delà de ces tensions, ils partageaient une complicité profonde. Claude, malgré son emploi du temps frénétique et les exigences de sa carrière, trouvait toujours un moment pour penser à elle. Il la couvrait de roses rouges, ses fleurs préférées, et croyait pouvoir soulager son diabète en lui faisant manger chaque jour un petit pot de caviar, persuadé que « c’est plein de cellules vivantes ». Derrière ses extravagances et ses croyances parfois naïves, on sentait un fils aimant, attentif et désireux de préserver sa mère de la souffrance.

Dans certains enregistrements personnels, Claude François avouait même ce vœu insensé : « Que ma mère vive trois milliards d’années et que je vivote en paix. » Ces mots, empreints d’une tendresse infinie, prennent une résonance tragique lorsque l’on sait que c’est lui qui est parti le premier, précipitant Lucia dans une solitude irrémédiable.

Le jour même de sa mort, quelques minutes avant l’accident, Claude avait encore appelé sa maison de Dannemois, en Essonne, pour donner des instructions : préparer des chambres pour ses Clodettes qui devaient loger là après une répétition. Ce détail anodin illustre la banalité du quotidien qui précédait ce basculement irréversible. Pour Lucia, la nouvelle fut un choc d’une violence inouïe. Dans la nuit, on vint lui annoncer l’impensable : son fils n’était plus. À partir de cet instant, sa vie bascula.

Claude et sa maman Chouffa

Durant les années qui suivirent, elle témoigna à plusieurs reprises de son désarroi. En 1984, dans une interview accordée à France Soir, elle confiait sa douleur de voir s’éloigner les prétendus amis de son fils : « Les soi-disant amis qu’il avait avant sa mort et qui le suivaient partout ont disparu. » Quelques fidèles, dont Michel Drucker, prenaient régulièrement de ses nouvelles, mais l’entourage flamboyant de Cloclo s’était volatilisé. Il ne lui restait alors que sa fille Josette, ses petits-enfants, et surtout l’amour indéfectible des fans.

En 1987, elle expliquait dans Télé 7 jours : « Depuis le 11 mars 1978, ce sont les fans qui m’ont aidée à vivre, en ne parlant surtout pas de mon petit Cloclo. » Derrière cette phrase, on devine à quel point l’absence était insupportable, et combien chaque mot, chaque souvenir public pouvait rouvrir la blessure. Pour elle, Claude restait avant tout « un garçon exceptionnel », et elle insistait sur le fait qu’elle le pensait déjà de son vivant, bien avant que la tragédie n’en fasse une légende.

Sa peine ne s’apaisa jamais. Elle survécut quatorze ans à son fils, jusqu’au 22 décembre 1992, date à laquelle elle s’éteignit, emportant avec elle une part du mystère et de la douleur de cette histoire familiale. Entre-temps, elle avait vu son fils devenir une icône intemporelle, dont les chansons continuaient à résonner partout, mais chaque refrain, chaque apparition télévisée posthume, chaque commémoration, lui rappelait la perte irréversible.

Aujourd’hui encore, les documentaires consacrés à Claude François, comme celui diffusé en février 2018 sur France 3 intitulé La revanche du mal-aimé, ravivent ce souvenir. On y rappelle la complexité de l’homme, la rigueur obsessionnelle de l’artiste, mais aussi la tendresse maladroite du fils, qui, derrière ses colères et ses exigences, cherchait simplement à protéger sa mère. Pour Lucia, cette contradiction fut peut-être la plus difficile à porter : voir son enfant admiré du monde entier, mais emporté avant elle, dans des circonstances absurdes.

L’histoire de Claude François et de sa mère est celle d’un lien viscéral, fait de heurts mais aussi d’un amour inconditionnel. Elle incarne ce que vivent tant de mères confrontées à l’impensable : la perte d’un enfant. La sienne a été exposée au grand jour, commentée, scrutée, parfois instrumentalisée. Mais derrière le tumulte médiatique, il restait une femme seule, brisée, qui n’a jamais cessé de répéter au fond d’elle-même : « Ce n’est pas vrai. »