Le procès de Cédric Jubillar : ce que l’on sait des dernières heures avant la disparition de Delphine Jubillar.

Cagnac-les-Mines, décembre . Cette journée devait être celle d’une renaissance, le prélude d’une liberté chèrement acquise. Pour Delphine Jubillar, infirmière et mère de famille, ce mardi marquait le début de ses vacances de Noël, mais surtout, le point de non-retour d’une existence qu’elle qualifiait elle-même de « vie de Bidochon », un quotidien terne et insatisfaisant qu’elle aspirait à fuir. Les heures qui ont précédé sa disparition mystérieuse dans la nuit sont aujourd’hui scrutées par la justice. Elles révèlent un entrelacs d’espoir, de secrets et de tensions extrêmes, culminant dans une scène de violence conjugale que seul un témoin a pu décrire.

Le récit de ces dernières heures, reconstitué par les enquêteurs et les juges, dessine le portrait déchirant d’une femme déterminée à tourner la page, et d’une fin qui, loin d’être un simple fait divers, est devenue l’une des affaires criminelles les plus obsédantes de ces dernières années.

Le Goût Doux-Amer de la Liberté Annoncée

La journée commence sous le signe de l’ordinaire, mais avec une intensité émotionnelle sous-jacente. Delphine est aperçue au volant de sa voiture, captée par une caméra de parking à Albi. Elle est en ville pour quelques courses, peut-être déjà l’esprit tourné vers sa nouvelle vie. Elle s’apprête à rentrer à Cagnac-les-Mines, où elle doit retrouver une amie.

Entre le matin et midi, la rencontre se déroule comme un moment suspendu. Delphine et son amie (qui a souhaité garder l’anonymat) discutent des cadeaux de Noël. L’amie le racontera plus tard : « Elle était souriante, nous nous sommes dit bisouille comme à notre habitude. C’est la dernière fois que je l’ai vue ». Ce sourire, figé dans le temps, est celui de la façade qu’elle s’efforce de maintenir, une posture de normalité face à un entourage qui ignore l’ampleur du bouleversement qui se prépare.

Car, en secret, Delphine échange de nombreux messages avec celui qui est devenu son nouvel amoureux. Leur relation n’est qu’une simple parenthèse ; elle est l’architecte de son avenir. La jeune infirmière est en instance de divorce, déterminée à quitter son mari, Cédric Jubillar, pour s’installer avec son amant. Leurs projets sont clairs : emménager ensemble à Albi, loin du foyer conjugal. Delphine ne porte plus le poids de l’inachevé (cette maison qui n’avance pas) ni l’oppression d’une vie qu’elle porte seule sur ses épaules. Elle est à l’aube d’une « vie meilleure ».

La Validation Choc : Le Secret Révélé

C’est en début d’après-midi que l’histoire prend un tournant inattendu, une sorte de bénédiction paradoxale qui scelle le destin. Delphine reçoit un message d’un numéro inconnu : il s’agit de la compagne de son amant. La relation extraconjugale a été découverte. On pourrait s’attendre à une tempête, à une rupture forcée. Mais, contre toute attente, la compagne adopte une position sidérante d’acceptation provisoire : « Nous nous sommes mis d’accord tous les deux pour que tant que nous habiterons ensemble nous soyons une famille j’accepterai tout ce qu’il se passera après ».

Cette acceptation, même conditionnelle, est une libération pour Delphine. Elle lui donne le feu vert moral pour avancer dans ses propres démarches. Elle répond avec une empathie étonnante : « Je comprends tout à fait ta requête en attendant je vais te laisser digérer la nouvelle et vous laisser en famille ».

La nouvelle est un tel soulagement que l’amant décide de célébrer l’événement. Il lui écrit : « Allez je commande grand jour me tarde de l’ouvrir ce carton ». Le vin commandé symbolise l’espoir, le début imminent d’un nouveau chapitre. Pendant que cet espoir grandit à distance, Delphine doit encore sauver les apparences au domicile familial. Cédric, son mari, est rentré un peu plus tôt.

La Dernière Soirée et l’Altercation Fatale

La famille, Delphine, Cédric et leur fils aîné, s’installe devant la télévision. C’est une scène banale, un dernier tableau de la vie qu’elle est sur le point de quitter. Les deux amants s’échangent les derniers messages de la soirée : « Demain matin on pourra se [parler] à quelle heure comme ça t’arrange je t’embrasse ». C’est la dernière trace connue, l’ultime mot d’espoir échangé avant le silence.

La suite de la soirée se déroule dans l’intimité du salon, un lieu qui, quelques heures plus tard, sera considéré par la justice comme une « très probable scène de crime ». C’est le fils du couple qui, par son témoignage d’enfant, apporte la lumière la plus crue sur ces instants.

Face aux enquêteurs et au juge, le petit garçon raconte avoir vu ses parents se disputer. Plus qu’une simple querelle verbale, il décrit une altercation physique : « avoir vu ses parents se disputer poussé l’un et l’autre ». La scène se déroule précisément entre le canapé et le sapin de Noël, sous la lumière blafarde du salon. Il assiste à cette violence conjugale avant de s’endormir. Ce témoignage est la pierre angulaire de l’accusation, il offre un mobile plausible — une violente dispute sur fond de séparation imminente et de rancœur amoureuse — qui contredit la version initiale de Cédric.

L’Appel de l’Aube et les Lunettes Brisées

Le silence qui suit l’altercation est brisé, près de quatre heures après le dernier message de Delphine à son amant. Cédric Jubillar appelle la gendarmerie. L’échange, reconstitué, est déconcertant de simplicité :

Gendarmerie : « Je vous écoute. » Cédric Jubillar : « Oui bonjour, je ne sais pas où est passée ma femme. » Gendarmerie : « C’est-à-dire, qu’est-ce qui vous arrive ? » Cédric Jubillar : « Je me réveille là, je suis tout seul à la maison. Elle était là tout à l’heure, je me suis couché en premier, et après il y avait le petit avec elle devant la télé. Donc je sais pas ».

L’étonnement est palpable dans les propos du mari, mais l’absence de réaction immédiate, le délai entre l’heure présumée de la dispute et l’appel, soulève des questions.

À leur arrivée, quelques minutes plus tard, les gendarmes font une découverte troublante qui donne corps au récit de l’altercation. Sur le comptoir de la cuisine sont retrouvés le sac à main de la jeune femme, sa carte bancaire et ses papiers d’identité. Delphine n’est pas partie volontairement. Mais l’indice le plus accablant est également présent : « ses lunettes de vue brisé en plusieurs morceaux ».

Ces lunettes, éclatées, sont le symbole muet d’une violence inouïe. Elles témoignent d’une confrontation, d’un choc suffisamment brutal pour les pulvériser. Face aux enquêteurs, Cédric Jubillar niera s’être disputé avec sa femme. Cependant, la présence des lunettes brisées vient confirmer le témoignage de l’enfant. L’hypothèse de la justice devient alors celle d’une « dispute sur fond de querelle amoureuse qui conduit au meurtre de la jeune infirmière par son mari dans leur salon ».

L’Impasse et la Présomption d’Innocence

Aujourd’hui, l’enquête a désigné un suspect principal. Cédric Jubillar, écroué depuis , est la seule personne mise en examen dans cette affaire, soupçonné d’avoir assassiné son épouse dans leur domicile. La justice a privilégié le mobile passionnel, soutenu par le témoignage crucial de l’enfant et les preuves matérielles trouvées sur place.

L’affaire Delphine Jubillar est une tragédie moderne, une histoire de vie rêvée qui s’achève dans la réalité d’une dispute conjugale. La « vie de Bidochon » que Delphine voulait fuir est devenue une scène de crime. Malgré les lourdes charges qui pèsent contre lui, Cédric Jubillar reste, à ce jour, présumé innocent. Le corps de Delphine, lui, n’a jamais été retrouvé, laissant la famille et toute la France dans l’attente d’une vérité définitive et du dernier acte d’une affaire qui a bouleversé la perception de l’intimité et de la violence domestique. Le mystère, figé dans le temps par les lunettes brisées sur un comptoir de cuisine, continue de hanter Cagnac-les-Mines.