Thierry Ardisson : Le dernier salut de l’homme en noir

Le 14 juillet 2025 restera gravé dans la mémoire de nombreux Français, non seulement pour sa portée symbolique, mais aussi parce qu’il marque la disparition de l’une des figures les plus marquantes du paysage audiovisuel français : Thierry Ardisson. À 76 ans, l’animateur, producteur et écrivain s’est éteint dans un hôpital parisien, emporté par un cancer du foie, dans la discrétion qu’il affectionnait tant. Mais si l’homme en noir s’en est allé, son empreinte, elle, reste indélébile.

Une vie dédiée à la télévision et à l’audace

De “Lunettes noires pour nuits blanches” à “Salut les Terriens !”, Thierry Ardisson a incarné un style, une voix, une manière singulière d’aborder l’interview et l’actualité. Toujours vêtu de noir, le regard masqué par ses éternelles lunettes, il cultivait le mystère tout en osant l’irrévérence. Il savait faire parler les invités les plus fermés, provoquer sans choquer gratuitement, faire rire tout en poussant à réfléchir.

Ardisson a marqué la télévision par ses trouvailles audacieuses, ses formats innovants, ses punchlines qui faisaient mouche. Mais derrière le vernis provocateur se cachait un homme cultivé, passionné par la culture, le cinéma, la politique et, surtout, l’humain.

Un hommage national et intime

Le 15 juillet, France 2 lui a rendu un vibrant hommage à travers une émission spéciale présentée par Stéphane Bern, ami et admirateur du défunt. Entouré d’anciens collaborateurs, de journalistes et de proches, il a retracé le parcours flamboyant de Thierry Ardisson, depuis ses débuts dans la presse jusqu’à son statut d’icône du petit écran. Des images d’archives, des extraits d’émissions cultes et des témoignages émouvants ont permis de dresser un portrait aussi complet que sensible.

Parmi les invités, Jérôme Béglé a livré une anecdote inattendue, dévoilant les débuts de la relation entre Ardisson et celle qui allait devenir sa femme, Audrey Crespo-Mara. Une romance née sous le signe du mystère et de l’élégance, à l’image de l’homme en noir lui-même.

“Il craque sur elle à la télévision et lui envoie un message”, raconte Béglé. “Il lui dit : ‘Je vous trouve bien, mais si vous m’autorisez à vous écrire demain, mettez une robe rouge.’ Le lendemain, elle portait du rouge.”

Et le jeu se poursuit. Chaque jour, un nouveau message accompagné d’un code couleur : bleu, vert, puis jaune. Jusqu’à cette demande claire : “Est-ce que demain on pourrait dîner ensemble ? Si vous acceptez, mettez une robe jaune.” Audrey accepte. Une cour à l’ancienne, pleine de charme et de subtilité, saluée par Stéphane Bern comme un moment de grâce dans un monde trop souvent brutal.

Audrey Crespo-Mara : le dernier message d’amour

Mariés depuis 2014, Audrey Crespo-Mara et Thierry Ardisson formaient un couple discret mais profondément complice. La journaliste, endeuillée mais digne, a été la première à annoncer publiquement la disparition de son époux. Dans un message simple et poignant, elle a rendu hommage à l’homme qu’elle aimait :

“Thierry est parti comme il a vécu. En homme courageux et libre. Avec ses enfants et les miens, nous étions unis autour de lui. Jusqu’à son dernier souffle.”

Cette déclaration résume à elle seule l’esprit dans lequel Thierry Ardisson a choisi de quitter ce monde : sans plainte, sans mise en scène inutile, mais avec une élégance rare. Lui qui avait tant fait parler les autres s’en est allé dans un silence pudique.

Une cérémonie à son image

Les obsèques de Thierry Ardisson auront lieu jeudi 17 juillet à 16h30, à l’Église Saint-Roch à Paris. Un lieu emblématique, souvent choisi pour les adieux aux grandes figures de la culture et des arts. Mais comme toujours, Ardisson a voulu que ce moment lui ressemble : personnel, stylisé, et non conventionnel.

Le faire-part, signé par sa femme et ses enfants, donne le ton avec une formule qui aurait pu être le titre d’une de ses émissions : “Chers amis, chers ennemis, dernier bonsoir !” Un clin d’œil à son humour grinçant et à sa lucidité sur les relations humaines.

Dans les moindres détails, il avait imaginé cette cérémonie. Des enfants de chœur, de l’encens, et surtout une playlist personnelle, soigneusement choisie, comme une dernière mise en scène. Il avait même souhaité que ses trois épouses soient présentes, dans un esprit d’unité et de réconciliation.

Et puis, bien sûr, le dress code “Ardisson” : lunettes noires fortement conseillées. Une manière de faire de ses adieux un événement, tout en conservant ce brin de distance et d’ironie qu’il affectionnait tant.

Une figure inclassable

Thierry Ardisson laisse derrière lui trois enfants – Manon, Ninon et Gaston – mais aussi une génération de téléspectateurs et de professionnels influencés par son style unique. Il n’était ni totalement journaliste, ni uniquement animateur, ni seulement producteur. Il était tout cela à la fois, avec une liberté de ton qui manquera cruellement dans un paysage audiovisuel de plus en plus formaté.

Son parcours inspire le respect. De ses débuts dans la presse écrite à ses incursions dans le cinéma et la littérature, il n’a cessé de repousser les limites, de tester les codes, de surprendre. Ceux qui l’ont croisé le décrivent comme un homme d’une extrême exigence, mais aussi d’une grande générosité avec ceux qu’il estimait.

Le documentaire “La face cachée de l’homme en noir”, réalisé par Audrey Crespo-Mara et diffusé mercredi 16 juillet à 22h50 sur TF1, permettra de découvrir cette autre facette, plus intime, plus vulnérable, de celui que l’on croyait connaître.

Dernier mot

Avec le départ de Thierry Ardisson, c’est une page de la télévision française qui se tourne. Mais comme toutes les grandes figures, il continue à vivre dans les souvenirs, les images, les phrases, et les émotions qu’il a su provoquer. Son dernier salut, orchestré avec soin, est à la hauteur de l’homme qu’il était : différent, élégant, impertinent, mais profondément humain.

Et désormais, chaque fois qu’un invité osera dire ce que personne n’ose, chaque fois qu’un silence pesant fera plus d’effet qu’un long discours, l’ombre bienveillante de l’homme en noir planera quelque part, entre les lignes.