Hugues Aufray : à 96 ans, le troubadour sans fortune qui a tout donné

Hugues Aufray, 94 ans : sa "maison du bonheur" en banlieue parisienne, où  il vit avec sa jeune épouse Murielle

Soixante ans de carrière, des chansons devenues immortelles, une voix reconnaissable entre mille… Et pourtant, derrière la légende de Santiano et de Céline, se cache aujourd’hui un homme dépouillé de sa fortune, trahi par ceux en qui il avait confiance. À 96 ans, Hugues Aufray, l’un des derniers grands troubadours de la chanson française, a accepté de se confier à Paris Match. L’artiste y révèle, sans amertume mais avec une lucidité désarmante, avoir été escroqué et dépouillé, au point de se retrouver aujourd’hui presque sans un sou.


Une carrière hors du temps

Depuis 1961, Hugues Aufray n’a jamais quitté la scène. Alors que beaucoup de ses contemporains ont rangé la guitare depuis longtemps, lui a continué, infatigable, à parcourir les routes, à chanter pour son public fidèle. Son répertoire, inspiré du folklore, du blues et de la country américaine, a marqué des générations. Santiano, Stewball, Céline, Le petit âne gris… Autant de titres devenus intemporels, fredonnés encore aujourd’hui dans les cours d’école comme dans les festivals de musique folk.

Mais derrière ce succès populaire se cache une réalité beaucoup moins radieuse. L’artiste, malgré des décennies de travail et de triomphes, confie aujourd’hui qu’il n’a « plus rien ».

« J’ai fait faillite », avoue-t-il simplement à Paris Match.

Une phrase brutale, presque inconcevable lorsqu’on pense à l’ampleur de sa carrière. Pourtant, Hugues Aufray ne cherche ni à s’apitoyer sur son sort ni à accuser le destin. Il raconte, avec la sagesse de l’âge, comment sa confiance et sa naïveté ont parfois coûté cher.


Victime d’escroqueries et de trahisons

Tout au long de sa vie professionnelle, Hugues Aufray s’est entouré d’associés et de collaborateurs, comme tout artiste. Mais certains d’entre eux, explique-t-il aujourd’hui, ont su profiter de sa bonne foi.

« C’étaient des escrocs. Des gens très intelligents et bien placés dans le métier », confie-t-il.

Le chanteur raconte comment, au fil des années, plusieurs personnes dans l’industrie ont tiré parti de son succès, gérant ses affaires à leur profit. Pendant plus de soixante ans, il dit avoir été abusé, trompé, exploité financièrement.

À ses débuts, Aufray avait rapporté des États-Unis des musiques et des chansons inédites, inspiré par le folk américain qu’il admirait tant. Enthousiaste, il avait partagé ces trouvailles avec son éditeur, sans imaginer que celui-ci allait en faire profiter d’autres artistes… à ses dépens.

« J’avais rapporté des musiques des États-Unis, des chansons que personne ne connaissait en France. Mon éditeur les a données à d’autres chanteurs. J’entends siffler le train, par exemple, c’était mon morceau, et il a été donné à Richard Anthony. »

Cette révélation amère illustre la confiance aveugle qu’il plaçait dans son entourage professionnel, et les conséquences que cela a eues sur sa carrière et sur sa situation financière.


Une générosité sans limite

Mais si les escroqueries ont contribué à l’appauvrir, Hugues Aufray assume aussi pleinement une autre raison de sa situation actuelle : sa générosité. Car le chanteur n’a jamais été avare de dons, ni de gestes envers les siens.

Au fil des années, il a décidé de transmettre son patrimoine à sa famille — à ses enfants, puis à ses petits-enfants — de son vivant. Non par contrainte, mais par conviction.

« J’ai tout donné, comme ça, pas de scandale à l’héritage », confie-t-il.

Dans cette phrase, il y a toute la philosophie d’un homme de paix, profondément attaché à la famille et au respect. Pour lui, l’argent n’a jamais été une fin en soi. Il préfère savoir ses proches à l’abri que de mourir en laissant derrière lui un héritage source de conflits.

Cette décision, à la fois noble et radicale, a toutefois laissé le chanteur dans une situation matérielle précaire.

Je suis sur la paille" : Hugues Aufray ruiné et forcé de vendre sa maison à  Marnes-la-Coquette - Public


Un homme simple, fidèle à ses valeurs

Il y a quelques années, Aufray a vendu sa maison de Marnes-la-Coquette, une grande demeure où il avait vécu de longs moments de bonheur.

« Elle était trop grande, et mes enfants étaient sans le sou lorsqu’ils sont partis à droite et à gauche », explique-t-il.

Un choix pragmatique, dicté autant par la raison que par la solidarité familiale. Depuis, il vit plus modestement, dans une simplicité qui semble lui convenir. L’artiste n’a jamais été attiré par le luxe, ni par les excès que connaissent parfois les vedettes.

Il a également fait don de sa fermette en Ardèche à sa fille aînée, Marie. Cette maison, pleine de souvenirs, abrite aujourd’hui Marie et son époux Philippe. C’est un lieu chargé d’histoire familiale, un refuge qui symbolise la transmission et la continuité.


Un artiste debout, malgré tout

Malgré les revers, Hugues Aufray n’a jamais perdu sa passion ni son énergie. À 96 ans, il continue de chanter, de se produire sur scène, et de partager avec le public l’amour de la musique et des mots. Sa voix, un peu rocailleuse mais toujours vibrante, reste celle d’un conteur.

Avec Murielle, sa compagne, il mène une vie paisible, loin du tumulte médiatique. Leur relation, discrète et sincère, lui apporte l’équilibre et la tendresse nécessaires pour continuer à avancer.

Aufray n’a pas besoin de richesse matérielle pour être heureux. Ce qu’il cherche désormais, c’est la sérénité.

« J’ai connu la gloire, la musique, l’amour du public. Que demander de plus ? »


L’héritage d’un homme libre

S’il ne possède plus grand-chose matériellement, Hugues Aufray laisse derrière lui un héritage inestimable : celui d’une carrière exemplaire, d’une œuvre qui a marqué la chanson française, et d’une vie menée avec droiture.

Dans un monde où le succès se mesure souvent à la fortune, son parcours rappelle qu’il existe d’autres richesses — celles du cœur, de la loyauté et de la transmission.

Escroqué, dépouillé, mais jamais brisé, Aufray demeure debout, fidèle à ses valeurs et à son art. Il incarne à sa manière cette vieille sagesse populaire qu’il a toujours chantée : la vraie richesse ne se compte pas en pièces d’or, mais en chansons, en souvenirs et en amour partagé.

Et tandis qu’il entonne encore Santiano devant des salles conquises, c’est tout un pan de la mémoire collective qui vibre avec lui. Hugues Aufray, le troubadour sans fortune, reste, plus que jamais, un homme riche — d’humanité.

Photo : Hugues Aufray - En France, Hugues Aufray jouant de la guitare, en  extérieur, chez lui, dans sa maison de Marnes-la-Coquette - Purepeople