Ils ont vu ce qu’il ne fallait pas voir…

Ils ont vu ce qu’il ne fallait pas voir. Tout a commencé comme un simple défi. Cette nuit-là, trois jeunes ont voulu faire le buzz, mais ce qu’ils ont filmé ne les a jamais quitté. Bienvenue sur les histoires de Flodive. C’était un vendredi soir. Dans un salon, trois amis installaient fébrilement leur caméras sur un trépied bancal.

 Leur chaîne YouTube s’appelait l’Afrique invisible. Une idée née d’un paris entre rire et rêve d’abonnés. “Franchement, ce soir, on va tout casser”, déclara Joël, le plus extraverti du trio en ajustant le micro. “C’est toujours ce que tu dis à chaque épisode”, répondit Sarah en levant les yeux au ciel. “Oui, oui, je sais, mais cette fois c’est différent”, reprit-il avec un sourire confiant. Noé, lui, restait silencieux.

 Il testait les lumières. Leur concept était simple, raconter les légendes et mythes africains mais en les testant sur le terrain. Il voulit prouver ou réfuter ce que tout le monde chuchotait sans oser y croire. Le live commença, l’écran s’alluma, la caméra rouge clignota. “Bonsoir la team”, lança Joël amusé.

 “Ce soir, on vous parle des esprits, des fantômes et de toutes ces histoires qui font peur à nos parents.” Les commentaires fusèrent aussitôt racontez celle du lac au mort. Faites le totem de minuit. Et la dame du marché, vous osez ? Sarah lut le message à haute voix. La dame du marché, c’est quoi encore ça ? Les commentaires explosèrent.

 Des dizaines de spectateurs racontaient leur version. On la voit à partir de 3h du matin seule dans le marché. Si elle te regarde, ton reflet disparaît du miroir. Elle attend quelqu’un. Noé montrait déjà son inquiétude. Non, pas celle-là. Joël éclata de rire. Frère, arrête. Tu crois à ces trucs ? Ce n’est pas une histoire comme les autres, avou Noé. Ma grand-mère disait que il s’interrompit.

Les commentaires s’enflammaient. Raconte, raconte. Sarah ajusta la caméra vers lui. Vas-y Noé et effrain-nous un peu. Le jeune homme soupira puis parla d’une voix lente. Elle s’appelait Taafa, une vendeuse de riz au marché de Goloba. On disait qu’elle travaillait dur. Un soir, elle a disparu. Personne ne l’a revu.

 Mais depuis, les gardiens disent qu’une femme marche entre les étales vides à trois du matin. Elle ne parle pas, elle regarde. Et quand tu entends le tambour du marché battre deux fois dans la nuit, c’est le signe qu’elle s’éveille. Si tu restes encore là après le second battement, alors tu la vois. Un silence s’installa. Sarah allait plaisanter pour briser l’attention quand un bruit sec retentit derrière la caméra. Un objet venait de tomber.

 Joël sursauta, le micro encore à la main. C’est quoi ce bruit ? Sarah se retourna. Le trépied secondaire, celui qu’il n’avait pas touché, gisait au sol. Tu as mis ça là exprès ? Demanda-t-elle, mi souriante, mi inquiète. Non, je te jure, répondit Joël en se penchant pour le ramasser. Les abonnés dans le chat cessèrent de plaisanter. Sarah esquissa un rire. Bref, presque étouffé.

 Bon, on va vérifier. Non, Joël bondit. Exactement. Épisode spécial : “La dame du marché. La légende est-elle réelle ?” Noé grimassa. “Vous êtes fous !” “Oui, et c’est pour ça qu’on a des vues”, répondit Joël en riant. Le jour J, ils se préparèrent pour aller enregistrer leurs vidéos au marché Goloba. Ils sortirent leurs sacs, lampe frontal, caméras, trépied, batterie.

 Sarah s’amusait à tester les micros. Vérification 1 2 3. Si un fantôme est présent, qu’il se manifeste. Joël pouffa. C’est bon, tu es prête pour le bêtisier. Noé lui restait pensif. Les gars, je vous préviens, si on entend des tambours, on sort. T’inquiète, le seul tambour qu’on va entendre, c’est mon cœur. Plaisanta Joël.

 Noé observait les deux autres rires, déjà excité par la vidéo à venir. Il sentait pourtant une boule dans sa gorge, un mélange de peur et d’orgueil. Ces histoires, ce sont juste des légendes, dit-il enfin, plus pour lui-même que pour eux. Sarah le fixa. Alors, pourquoi tu trembles ? Noé esquissa un sourire.

 Pour prouver qu’il n’y a rien à prouver, Joël éclata de rire. Voilà l’esprit scientifique qu’on aime. Mais Noé sentit que ce n’était pas la curiosité qui le poussait à venir. C’était la peur de passer pour celui qui croit. À heures, ils montèrent dans la vieille voiture de Joël, direction le marché de Goloba, désert à cette heur. Les rues étaient presque vides. Quelques taxis passaient, phare coupant la nuit.

Sarah filmait tout, riant entre deux frissons. On dirait un film d’horreur, j’adore. Mais plus ils approchaient du marché, plus c’était étrange. Pas de chien, pas de musique, pas même un claxon, seulement le vent qui soulevait des sacs plastiques dans les ruelles. Noé serra les dents. Vous sentez quoi ? Répondit Joël. L’air il est différent.

Joël fit mine de s’en moquer. Ils arrivèrent et descendirent de la voiture. Devant le grand portail du marché, Sarah fit un zoom avec sa caméra. On est officiellement devant le marché de Goloba. Il est 2h47 du matin. Joël montra sa montre. À 3h pile. On entre. Et si elle est là ? Demanda Noé. Joël ha ossa un sourcil. Alors mon frère, on fera un million de vues.

 Le trio éclata d’un rire mais quelque part un bruit retentit. Comme si quelqu’un renversait des bassines dans l’obscurité. Sarah baissa sa caméra. Vous avez entendu ? Noé hoa la tête. C’est le vent, hein ? Le compte à rebour commençait. Ils mirent leurs lampe frontales et attendirent. Les yeux fixés sur le portail du marché. 2h59 3h00.

Sarah demanda : “Vous êtes sûr que c’est une bonne idée ?” Trop tard pour reculer”, répondit Joël, la voix faussement détendue. Mais Noé lui, gardait les yeux fixés sur la grande grille. Un gros cadenapandait au centre. Et plus inquiétant encore, à travers les barreaux, on apercevait une petite lumière jaune au fond du marché.

 Ils marchèrent vers le portail du marché. “Les gardiens !” souffla-t-il. Sarah s’arrêta net. “Attends, quoi ? Il y a des gardiens ?” “Deux !” répondit Noé. “Je les ai déjà vu le jour. Ils dorment dans la pièce là-bas près du poste électrique. Joël ha ossa les épaules. Bah, ils dorment sûrement.

 On fait vite, on entre, on filme et on ressort. Joël s’accroupit près du portail, sortit de sa poche un petit sac. Sarah frança les sourcils. C’est quoi ça ? Un tournevis ? Expliqua Joël avec un sourire. T’inquiète, je remets tout après. Le métal grinça faiblement. Sarah fit un pas en arrière crispé.

 Tu es obligé de faire autant de bruit. Relaxe rit Joël. C’est juste un cadna, mais sa voix tremblait un peu. Noé jetait des regards autour d’eux, inquiet. Joël força légèrement le verrou. Un clic raisonna. Le cadna tomba dans sa main. Voilà. Sarah le fusilla du regard. Si les gardiens nous attrapent, on finit au commissariat. Ou pire, ajouta Noé à mi-vie.

 Joël leva les yeux au ciel, mais il évita de répondre. Il poussa doucement la grille. Les trois amis se figèrent. Aucun bruit, pas même un souffle. Sarah inspira profondément. OK, on y va vite. 5 minutes, pas plus. Ils se glissèrent à l’intérieur. Lampe frontale allumée, caméra entre les mains de Sarah. Noé souffla. Le gardien, tu crois qu’il a entendu ? Joël fit un signe de tête négatif. Silence. Écoutez.

Il parlait à voix basse, craignant de faire du bruit. L’air vibrait d’attente. Mais au loin, quelque chose claqua comme une porte métallique qui se referme lentement. Sarah sursauta. Joël, c’est pas drôle. J’ai rien fait. Ils s’enfoncèrent dans l’allée principale. Les ombres s’étiraient hautes. Un robinet fuyait quelque part, goutte après goutte. Puis un bruit léger, à peine audible, des pas.

 Noé se rédit il y a quelqu’un. Sarah était sa lampe. Les autres aussi. Les trois restèrent immobiles, retenant leur souffle. Au loin, un rayon de lampe balaya les stands. Les gardiens. Joël murmura : “Cachez-vous !” Ils se jetèrent derrière un étale. Une voix se fit entendre. Didier, tu as entendu ? Ce n’est rien, frère. Ferme les yeux un peu.

 Reviens te coucher. Les pas s’éloignèrent. Sarah expira. On va finir en prison à cause de toi, Joël. Il répondit : “C’est bon, on y est presque. Juste un plan et on repart.” Ils avancèrent lentement, caméra allumée contournant les étales renversées. “Le marché semblait plus vaste qu’en plein jour. On dirait qu’on tourne en rond.” Souffla Noé.

 Sarah tenait la caméra et filmait chaque détail. Regardez bien les gars, on est au cœur du marché hein, il est Elle jeta un œil à l’heure. 3h15. OK, on fait un plan d’intro genre les chasseurs d’esprit dit Joël en se plaçant devant la caméra. Et si les esprits n’aiment pas qu’on les filme ? Demanda Sarah, alors ils mettront un dislike répondit Joël en riant.

 Puis un bruit de pas régulier. Quelqu’un ou quelque chose marchait à l’intérieur du marché. Soudain, un son raisonna, faible d’abord comme un battement de cœur. Puis plus clair, un tambour loin, une pulsation sourde. “Dites-moi que vous avez entendu”, chuchota Sarah. Joël tenta un sourire. Peut-être un mariage dans le quartier voisin à “À 3h du matin”, demanda Noé. Personne ne répondit. Le tambour raisonna à nouveau.

 Cette fois plus fort. Boum booum. Les trois amis se tenaient immobiles. Le marché respirait. Sarah filmait toujours. Soudain, lape frontale vacilla. L’écran se brouilla quelques secondes. Puis une voix à peine audible s’éleva comme un murmure. Elle arrive un. Elle arrive de elle arrive trémit. C’est une blague Joël ? Il secoua la tête. Je te jure c’est pas moi.

 Un courant d’air froid passa puis il la vire. Tout au bout de l’allée, une femme immobile de dos drapé d’un pagne rouge foncé, une bassine vide sur la tête. Elle semblait attendre. Joël sentit sa gorge se serrer. C’est quelqu’un ? Non. Noé attrapa son bras. Ne bouge pas. Peut-être une sans-abri, tenta Sarah, mais la femme leva lentement la main et fit un geste lent comme pour les inviter à s’approcher. Joël voulut reculer mais ses pieds refusaient d’obéir.

 La caméra de Sarah enregistrait sur l’écran, l’image tremblait toute seule comme si une main invisible la secouait. “On s’en va maintenant”, dit Noé. “Attends juste un plan de plus !” souffla Joël. Il fit un pas. La femme pencha la tête légèrement comme si elle écoutait. Puis lentement, la femme se tourna. Son visage était couvert d’un pagne blanc à moitié déchiré.

 Mais à travers le tissu, on voyait deux yeux ouverts, des yeux fixes, profonds, ni vivants, ni morts. Ses pieds nus, sales, blessés, couverts de poussière. Sarah poussa un cri étouffé. C’est pas possible balbucia Noé. La femme point lentement un doigt vers eux et au même instant, une petite voix raisonna. Vous l’avez regardé. Sarah voulut hurler mais se couvrit la bouche à temp. Joël prit la caméra de ses mains et courut.

 Sarah le suivit et Noé ferma la course. Mais en sortant du marché, un dernier son raisonna derrière eux. Le claquement de la grille du portail qui se referma tout seul. Ils coururent jusqu’à la voiture. Sarah s’anglotait. Joël démarra en trombe. Mais dans le rétroviseur, il vit quelque chose bouger derrière la grille.

 Une silhouette immobile, toujours debout, toujours là. Le tambour retentit une dernière fois comme un battement de cœur, puis plus rien. Le moteur gronda. Le marché disparut dans le rétroviseur. La voiture roulait vite, avalant la route déserte. Sarah fixait encore son écran de caméra, incapable de comprendre. Joël brisa enfin le silence. On a vraiment vu ça, hein ? Noé serra les dents, les mains moites sur son pantalon.

 Je sais pas ce qu’on a vu, mais on aurait pas dû. Sarah ditous entendu quoi encore ? Les tambours. Les deux garçons tendirent l’oreille. Seulement le bruit du moteur. De retour dans l’appartement de Joël, ils s’enfermèrent. Sarah posa la caméra sur la table. On regarde ? Noé hésita. “Non, pas maintenant. On doit comprendre ce qui s’est passé”, insista Joël. Il connecta la caméra à l’ordinateur.

L’écran s’alluma. Un dossier s’ouvrit automatiquement. Il cliqua. La vidéo démarra. On y voyait leur entrer dans le marché, leur rire nerveux puis les ombres. Sarah, penchée sur l’écran dit : “Stop, avance un peu.” Joël fit défiler et là, il la virre, la femme, mais cette fois, elle n’était pas seule.

 Derrière elle, dans les coins sombres de l’image, d’autres silhouettes apparaissaient flou, immobile. Elle semblait les regarder. “On rien vu de tout ça là-bas”, chuchota Noé surpris. Sarah posa la sure. Derrière la dame, les visages, les figures dans l’ombre n’avaient pas Dieu, juste des orbite creuse et pourtant on sentait leur regard. Puis soudain, l’écran clignota. Joël arrêta la lecture.

 Personne ne bougeait. Quelques minutes plus tard, Sarah et Noé rentrèrent chacun chez soi. Deux jours après, Sarah s’affala dans le canapé. Elle venait de rentrer à la maison. Fatigué, elle voulait juste dormir. Mais quand elle prit son téléphone pour mettre son alarme, elle jura que pendant une fraction de seconde, elle crut lire sur l’écran. Regarde dehors. Mais quand elle appuya de nouveau sur l’écran, rien.

 Son sang se glaça. Elle hésita. Puis lentement, elle écarta le rideau de la fenêtre. Dehors, la cour était vide, sauf quelque chose bougeait. Un pagne rouge glissait au sol comme mu par une présence invisible. Un cri lui échappa avant qu’elle ne s’en rende compte. Le soleil ne s’était pas encore levé quand Noé se réveilla tout d’un coup. Il crut d’abord avoir entendu un bruit de verre.

 Le cœur battant, il resta immobile, à l’écoute. Puis un second bruit, léger, étouffé. Quelqu’un marchait dans le salon. Il se redressa et s’avança. Quand il arrive au seuil du salon, il s’arrêta net. Une femme se tenait là debout au centre de la pièce, d’eau à lui, une bassine vide à la main. L’air autour d’elle semblait lourd. Noé sentit son estomac se nouer.

E qui est là ? La femme tourna lentement la tête à moitié seulement comme si elle l’avait entendu respirer. Juste assez pour qu’il distingue une joue grise ridée marquée par le feu ou le temps. Noé recula d’un pas. Non non. Il ferma les yeux une seconde. Quand il les rouvrit, la pièce était vide. La bassine avait disparu. L’air redevint normal.

Juste un salon. Il chercha à reprendre son souffle. Il sentit ses jambes trembler. Joël, appelle, faut que j’appelle Joël. Il alla prendre son téléphone. Sur l’écran une vidéo. Il hésita, la gorge sèche. Il n’avait rien filmé cette nuit-là. D’un geste tremblant, il appuya sur lecture. L’écran s’éclaira.

 On le voyait là allongé, la respiration lente. Puis une ombre se pencha au-dessus de lui. Pas un visage, juste une forme. La vidéo trembla puis s’arrêta net. L’écran du téléphone resta noir. Le téléphone glissa de sa main et tomba au sol. “Qui a enregistré cette vidéo pendant mon sommeil ?” se demanda-t-il.

 Joël, de son côté essayait de rationnaliser. Il copiait les fichiers du tournage sur son ordinateur, se répétant que tout cela n’était qu’un effet d’optique. Une ombre, une passante qui s’était amusée à les effrayer, un jeu de lumière. Soudain, une voix étouffée sortit des écouteurs. Un murmure de femme, inaudible, juste un souffle.

 Il arracha les écouteurs d’un geste brusque. Son cœur bondissait sans cesse. Mince, c’est quoi ça ? Une goutte de sueur lui coula le long de la tee. Paniqué, les trois se retrouvèrent le lendemain soir même chez Noé. Sarah avait les traits tirés, Joël, les yeux cernés. “On est foutu, dit-elle.

 Il doit bien y avoir une explication”, tenta Joël sans y croire vraiment. “Oui”, répondit Noé en regardant le sol. “On peut pas rester comme ça”, murmura Joël. “Tu veux faire quoi ?” siffla Sarah. “Repartir là-bas ?” “Non, juste comprendre. Regardez encore les images, voir si c’est un effet, un bug, quelque chose. Noé se coouait la tête. Plus on la regarde, plus elle nous regarde. Et si c’était justement ce qu’elle veut ? Demanda Sarah presque pour elle-même.

 Les mots moururent entre leurs lèvres. Alors, ils se mirent d’accord. Joël s’occuperait de la vidéo. Il l’examinerait image par image, essayerait d’en tirer quelque chose de rationnel. Sarah, elle, promis de ne plus toucher à la caméra, ni même d’en parler publiquement, du moins pour l’instant.

 “On reste en contact”, dit Joël d’une voix qu’il voulait ferme. “Oui, répondit Noé et fais attention à ce que tu montes.” “Je sais”, soupira Joël. La matinée avait un goût troublant. Sarah, Joël et Noé essayaient de reprendre une vie normale. En apparence, mais rien n’était normal. Sarah se regardait dans le miroir de sa salle de bain.

 Elle n’arrivait pas à dormir depuis deux nuits. Elle tenta de se calmer. Respire Sarah, c’est juste le stress, se dit-elle. Mais en se penchant pour se laver le visage, elle aperçut quelque chose sur son bras. Une marque fine, comme une brûlure à peine visible. Elle frotta. Rien ne partait. La peau picotait et plus elle frottait, plus la marque semblait s’assombrir. Elle leva la tête.

 Derrière elle, dans le miroir en bué, une forme sombre semblait se tenir dans le coin de la pièce. Elle se retourna aussitôt. Rien, mais la marque sur son bras, elle s’était assombrie encore. De son côté, Joël n’avait pas quitté son ordinateur depuis le matin. Il avait promis aux autres de garder son calme, de rester rationnel.

 Mais au fond, il voulait surtout voir, comprendre ce qu’ils avaient filmé. Les séquences défilaient lentement, image par image. Ils zoomaient. scrutait, ajustait le contraste. Rien d’anormal au début. Puis à la 8e minute, un détail le fit frissonner des frroid.

 Dans la caméra devant Sarah, à quelques mètres, juste avant qu’elle ne crie, une silhouette d’homme apparaissait un instant floue, presque transparente. Il recula la vidéo, avança, recula encore. La forme bougeait et cette fois, il distingua quelque chose de précis, un bras tendu vers l’objectif, comme s’il voulait sortir de l’écran de son ordinateur. Joël tomba de sa chaise. L’image vibra, le son se distordit, l’écran s’éteignit.

 Noé, lui n’avait pas quitté sa maison. Il avait fermé tous les rideaux, éteint tous les écrans, mais ça ne changeait rien. Il sentait toujours une présence. Le soir, quand il fermait les yeux, il avait l’impression qu’on marchait autour de son lit et parfois, il entendait un souffle tout près de son oreille.

 Il décida d’aller voir Mb, un vieux devin du quartier connu pour voir ce que les autres ne voient pas. Quand il entra, Mbini fronça les sourcils. “Quelqu’un t’a suivi ici”, souffla-t-il. “Comment ça ? Elle ne t’a pas quitté ? Celle qui t’a vu cette nuit ? Elle t’a choisie.” Noé sentit la sueur perlée sur sa nuque. “Comment le sais-tu ? Qu’est-ce que je dois faire ?” Le devin prit une calebasse.

 Il versa de l’eau et quelques feuilles séchées. Puis il plaça un miroir au fond du bol. “Regarde dedans. Si elle t’a marqué, tu verras son reflet avant le tien.” Noé hésita. Puis il se pencha. L’eau vibra. L’image de son visage se forma lentement et devant son visage une femme. Son visage à moitié dissimulé, ses yeux fixés sur lui.

 Il se leva brusquement, renversant la calebasse. L’eau se répandit sur le sol, formant un cercle autour de ses pieds. L’homme leva la main. Ne bouge pas. Il regarda l’eau au sol attentivement. Elle a mis une marque sur toi, une empreinte de passage. Comment ? Comment on enlève ça ? Le vieil homme ferma les yeux, soupira, on ne l’enlève pas, on la rend, revient dans une semaine. Le soir même, les trois se retrouvèrent chez Sarah.

Personne ne riait. Sarah montra la marque sur son bras. Joël était incapable de parler. Noé leur raconta la visite chez le devin. Il dit qu’elle nous a marqué. “Pourquoi ?” demanda Sarah la voix tremblante. “Parquon l’a regardé et qu’on a filmé, Joël leva les yeux pâles. Alors, c’est une punition !” Noé fit un geste d’impuissance abattu ou un rappel.

 “Dans leur monde, on ne regarde pas les morts. On doit comprendre ce qu’elle veut.” Joël haussea la voix. “Elle veut qu’on crame nos caméras, c’est tout ?” “Non”, répondit Sarah doucement. Elle veut qu’on sache. Les jours suivants, Noé décida d’aller voir le devin de nouveau. Cette fois, il emmena Sarah et Joël avec lui. Ils le trouvèrent dans la cour, assis sous un arbre en train d’égrener des graines entre ses doigts.

 “Vous avez réveillé quelque chose ?” leur dit-il sans lever les yeux. Sarah s’approcha. “On veut comprendre qui est-elle ?” “Oui, celle du marché”, dit Joël. “Tu le sais déjà !” répondit le vieil homme en regardant Noé, un sourire triste aux lèvres. Tu l’as raconté sa légende mais tu n’as jamais dit la vérité.

 Noé lui demanda : “Comment ça ?” “La version que tu connais, celle du marché, c’est celle qu’on raconte pour endormir les enfants.” dit Mbéni. “Pour ne pas les effrayer. C’est ça ?” demanda Sarah. “Oui, pour qu’il n’ait pas à savoir ce que les vivants ont fait aux morts.” répondit le devin. Il prit une longue inspiration puis reprit. “Tu vois, ta n’a jamais disparu comme ta grand-mère te l’a dit, Noé. Elle a été effacée.

 Il se tue un moment comme s’il écoutait quelque chose que les autres ne pouvaient pas entendre. Puis il reprit. On lui appris tout. Sa dignité, sa vie. Quand elle est morte, on n’ pas prié pour elle. On a fermé son cercueil trop vite et elle a promis que tant qu’on vendrait sur ce sol, elle reviendrait. Un frisson glacé s’empara de Sarah.

 Et nous, on a filmé. Quand vous l’avez filmé, vous l’avez lié à vous, répondit le devin calmement. Je vous dirai quoi faire, mais si vous voulez en savoir plus sur cette histoire, allez parler à maman Gabriella, une ancienne vendeuse du marché. C’est la dernière à l’avoir vu vivante. Elles étaient proches, dit-il. Où la trouvé ? Demanda Noé.

 Au vieux quartier près du fleuve. Ils prirent la voiture de Joël. Le quartier semblait figé dans le temps. Maison basse, ruelles étroites, linge qui pendaaiit au vent. Dans une cour, une vieille femme pilait de ligneam. C’est vous qu’on appelle maman Gabriella ? Demanda Sarah. Oui ! Répondit-elle sans lever la tête. On cherche des réponses sur Taafa ajouta Joël.

 Le pilon s’arrêta net. La vieille femme leva des yeux fatigués mais lucide. Vous êtes les enfants des images, hein ? Ceux qui sont allés la filmer. Benny me l’a dit. Elle soupira. Elle voulait qu’on l’écoute. Maman Gabriella les fit asseoir et raconta d’une voix lente. Taafa vendait le riz le plus parfumé du marché.

 Chaque matin, avant que le soleil ne se lève, on voyait la fumée montée de sa marmite. L’odeur, mélange de piments, de feuilles de laurier et de poisson fumé flottait jusqu’aux premières ruelles du quartier. Les clients disaient que son riz avait le goût de la bénédiction.

 Quand on lui demandait son secret, elle répondait toujours la même chose en souriant, “C’est juste la main du cœur.” Taafa croyait que tout ce qui passait par les mains d’une femme devait porter une bénédiction, sinon ça empoisonné la vie. Mais les autres vendeuses, ell ne voyaient pas ça ainsi. Taafa vendait trop. Chaque jour, sa table était vide avant midi pendant que les leurs restaient pleines.

 Certaines commencèrent à chuchoter. Elle met quoi dans son riz ? Un ce n’est pas normal de vendre autant. Et la jalousie fit son œuvre lente et vénimeuse. Un jour, la femme du chef du quartier, orgueilleuse et frustrée que son propre commerce décline, lança la rumeur qui allait détruire Tafa.

 Elle déclara publiquement devant les autres cette femme cuisine pour les esprits. Personne n’avait jamais entendu pareilles choses. Mais un matin, le fils du chef du quartier mourut subitement après avoir mangé le riz de Tafa. Et la rumeur devint certitude. C’est elle.

 Elle a empoisonné mon fils parce que je l’ai accusé de cuisiner pour les esprits cria la femme du chef. C’est la marchande du riz qui a pris son âme”, criaient certaines femmes. Les hommes vinrent la chercher. Elle disait qu’elle n’avait jamais fait de mal, mais personne ne voulait l’entendre. Ils l’ont battu et avant le coucher du soleil, le sol du marché avait bu son sang.

 Avant de mourir, elle a dit : “Un jour, je reviendrai à l’heure où le monde dort, à l’heure où ni le jour ni la nuit ne veulent m’accueillir. Et quand les vivants me verront, ils porteront ma marque et je prendrai leur liberté.” Sarah sentit la brûlure sur son bras pulsé à ses mots. Joël baissa la tête. Noé ferma les yeux. “Comment rompre ça ?” demanda Noé. Maman Gabriella répondit : “Faut aller là où tout a commencé.

Selon les instructions de maman Gabriella, il devait retourner au marché de Goloba. Pas pour filmer cette fois. À 3h, ils s’y rendirent, portant chacun une calebasse d’eau et une bougie. Le marché dormait, mais l’air était différent. Une chaleur étrange s’en dégageait comme si quelqu’un cuisinait encore dans l’ombre.

 Ils posèrent les bougies sur le sol à l’endroit où ils avaient vu la femme la première fois. Il faisaient le moins de bruit possible pour ne pas attirer l’attention des gardiens. Sarah chuchota. Qu’est-ce qu’on doit dire ? Noé se souvenait des mots de Mbénie. Si elle t’a marqué, appelle-la comme on appelle la pluie, sans peur, sans défi. Alors Noé parla.

Tafa nous ne sommes pas venus te défier. Le vent se leva. Les bougies vacillèrent. L’ombre d’une silhouette apparut entre les étales. Tafa ! Elle avança lentement vers eux. Chaque pas semblait raisonner dans leur poitrine. Sarah sentit son bras brûler. Joël se figea. Noé tomba à genou. La femme s’arrêta à quelques mètres. Elle leva la main. Paume ouverte.

 On est désolé, ne nous fait pas du mal, lança Sarah précipitamment. La gorge serrée par l’angoisse. Le vent s’arrêta. Elle disparut. Les bougies s’éteignirent une à une. Dans le noir, Sarah sentit la brûlure sur sa peau s’effacer. Noé pleura silencieusement. Joël sentit un froid, puis plus rien. Ils tournèrent le dos au marché sans se retourner. C’est fini, dit Sarah dans un souffle.

 Oui ! Finiit par répondre Noé. Mais Joël lui ne répondit pas. Et pour la première fois depuis des jours, aucun d’eux ne sentit le regard de la dame du marché. Le lendemain soir, sans rien dire aux deux autres, il alluma son ordinateur. Il regarda les chiffres de la chaîne YouTube.

 Leur dernier live n’avait presque rien rapporté et là, devant lui, il tenait le contenu. Sarah lui avait dit : “Deffacer la vidéo.” Noé avait parlé de malédiction, mais Joël n’entendait plus rien. Cette vidéo allait tout changer. Il la regarda une dernière fois, puis cliqua sur “Publier.” Joël ferma les yeux, un sourire aux lèvres. On va exploser. En moins de 12 heures, la vidéo explosa effectivement. Des milliers de vues puis des centaines de milliers.

 Les commentaires défilaient à toute vitesse. C’est du cinéma ? Non, c’est trop bien fait. Ce n’est pas un effet. Regardez à 3h7, elle bouge vraiment. Moi, je ne vois rien du tout. Vous inventez. Arrêtez vos montages, c’est juste un prank. Non, frère, on voit clairement une femme. Pour les uns, on voyait la femme en rouge.

 Pour d’autres, le marché était vide. Sarah appela Joël furieuse. “Dis-moi que tu as pas fait ça. Calme-toi Sarah”, répondit-il. “C’est juste une vidéo. On doit montrer la vérité. La vérité ? Tu joues avec quelque chose qu’on ne comprend pas. Justement, il faut que les gens sachent.” Il raccrocha. Quelques jours plus tard, la vidéo dépassa le million de vues.

 Les influenceurs la commentèrent, les sceptiques la démontèrent. Mais au fond, personne n’était d’accord. Les images semblaient instables. Dans la chambre de Joël, l’ambiance n’avait rien d’un succès. L’air sentait la sueur, la peur et la fatigue. Il n’avait pas quitté son lit depuis de jours. Il s’endormit sans s’en rendre compte, le téléphone toujours dans la main.

 Quand il rouvrit les yeux, il faisait noir. Son écran brillait faiblement. Il était 2h03. Il ne se souvenait pas s’être levé, mais il était déjà dans sa voiture dans la rue, direction le marché. Le lendemain, un homme du quartier affirma avoir aperçu une silhouette escaladant le portail du marché de Goloba vers 2h45 du matin.

 Il raconta que le jeune homme semblait avancer comme en somnambule, les yeux ouverts mais absents. Dans le silence de la nuit, il aurait entendu un murmure répété : “Je reviens, je reviens.” Le témoin expliqua qu’il avait voulu s’approcher, pensant d’abord à un voleur ou à un fou, mais avant même d’avoir franchi quelques pas, un froid glacial l’aurait traversé.

 Très intense, l’atmosphère autour du marché frémissait, disait-il, comme si quelque chose respirait derrière la grille. Pris de panique, il trébcha en arrière, tomba presque puis s’enfuit sans se retourner. La voiture de Joël était toujours là, garée devant le portail rouillé.

 Les vitres embuées, les portières verrouillées, le moteur froid, mais aucune trace de lui comme s’il s’était volatilisé. Quand Sarah apprit la nouvelle, elle sentit le sol se dérober sous ses pieds. Son cœur battait si fort qu’elle eut l’impression d’entendre à nouveau les tambour du marché. Noé la rejoignit quelques heures plus tard. Le visage livide. Aucun d’eux n’avait dormi.

 Aucun n’osait prononcer le nom de Joël. Il savait seulement une chose. Si sa voiture était restée devant le marché, c’est qu’il y était retourné. Et s’il n’avait été retrouvé nulle part, alors peut-être que Joël n’était pas parti. Peut-être qu’il était resté là-bas, retenu par la dame du marché. Sarah montra son téléphone à Noé.

 Regarde, la vidéo continuait de se propager. Des comptes anonymes la republiaent sans arrêt. Certains disaient l’avoir téléchargé pour la sauvegarder avant la censure. “On ne peut plus l’arrêter”, dit-elle d’une voix cassée. “Oui, il faut arrêter.” Ils se connectèrent à leur chaîne YouTube. En silence, ils supprimèrent la vidéo.

 Ils décidèrent de garder la chaîne ouverte mais de ne plus jamais rien publier. Plus de live, plus d’enquête. Pourtant, dans les heures qui suivirent, la vidéo continua d’apparaître ailleurs. TikTok, Facebook, des versions recadrées, ralenties, commentées. Certaines ne montraient rien, juste un marché vide.

 D’autres, au contraire, laissaient deviner une silhouette rouge au fond du plan. Chercher à tout voir, c’est parfois s’exposer à ce qu’on ne devrait pas voir. Les histoires effacées, les voix étouffées et les vérités niées ne disparaissent pas. Elles se transmettent autrement jusqu’à être entendu. La curiosité nourrit la connaissance, mais lorsqu’elle se change en défi ou en moquerie, elle attire des forces que la raison seule ne peut contenir.