La boite de nuit célèbre ou les morts venaient danser avec les vivants !

La boîte de nuit la plus populaire cachait un cimetière. Les histoires africaines de Fiona, le Paradise Club ouvert il y a 6 mois à Cocodi, devenu en quelques semaines le lieu le plus branché d’Abidjan. Musique enivrante, ambiance électrique, clients mystérieux qui dansaient jusqu’à l’aube. Mais ceux qui y entraient en ressortaient changer, vid comme si on leur avait volé quelque chose de vital.

 Et puis il y avait les disparitions, un client par semaine qui ne rentrait jamais chez lui. Volatilisé sur la piste de danse, Jessica allait découvrir la vérité. Le Paradise Club n’était pas construit sur un terrain vague comme le prétendait le propriétaire. Il était bâti sur l’ancien cimetière de Cocodi, celui qu’on avait fermé en 1987 après des événements inexpliqués.

 Et chaque nuit, les morts remontaient danser avec les vivants jusqu’à ce que la frontière entre les deux mondes devienne si floue que certains passaient de l’autre côté. pour toujours. Jessica Quamé avait 24 ans. Journaliste stagiaire à Abidjan Soir, elle couvrait habituellement les faits divers sans importance.

 Accident de circulation, vol à l’arrachée, inauguration de boutique. Rien de palpitant. Mais ce vendredi de juin, son rédacteur en chef, monsieur Diabaté, l’appela dans son bureau. Jessica, j’ai quelque chose pour toi. Un vrai sujet. Il lui tendit un dossier, des coupures de presse, des photos, des témoignages.

 Le Paradis Club, tu connais la nouvelle boîte de nuit à Cocodi. Tout le monde en parle justement, trop de monde en parle et pas toujours en bien. 7 disparitions en 6 mois, tous des clients du Paradise. La police dit qu’ils ont fugué mais les familles n’y croitent pas. Jessica parcourutu le dossier Rosine Aka, 22 ans, étudiante, disparut le 3 janvier, dernière fois vu au Paradise, Yve entouré, 28 ans, banquier, disparu le 18 janvier, dernier endroit connu, paradise.

 La liste continuait. Tu veux que j’enquête ? Je veux que tu y ailles. Ce soir, c’est vendredi, ça va être bondé. Observe, écoute, pose des questions discrètement. C’est dangereux, monsieur Diabaté hésita. Manè y est allée le mois dernier. Elle est revenue différente. Elle ne dort plus la nuit. Dit qu’elle voit des ombres danser dans sa chambre.

Les médecins parlent de stress post-traumatique mais elle refuse de dire ce qui s’est passé. Jessica prit le dossier. Une vraie enquête. Enfin, ce soir-là, elle se prépara soigneusement. Robe noire, talon haau, maquillage, il fallait se fondre dans la clientèle branchée du Paradise. Elle glissa son enregistreur dans son sac, son téléphone chargé à bloc pour filmer discrètement.

Le Paradise Club se dressait sur l’avenue François Mitteran, un bâtiment moderne tout en vert fumé et néon violet. La file d’attente s’étendait sur 100 m. Les videurs des colosses en costume noir triaient les clients. Seuls les plus beaux, les plus riches, les plus spéciaux entraient. Jessica s’approcha.

 Un videur détailla de la tête au pied puis sourit. Un sourire qui n’atteignait pas ses yeux. “Bienvenue au paradis, mademoiselle. Première fois ? Oui. Alors, préparez-vous à une nuit inoubliable.” Il tamponna sa main. Le tampon représentait une tête de mort stylisée avec des ailes d’ange. L’encre était froide, presque glaciale sur sa peau. L’entrée coûtait 20000 francs CFA.

Une fortune pour la plupart des Abidjanais. Mais la clientèle du Paradise n’était pas ordinaire. fils de ministre, fille d’ambassadeur, expatrié fortuné, star local. Jessica descendit un escalier en spirale. La musique montait des profondeurs, une base qui faisait vibrer les murs. L’escalier semblait interminable, bien plus profond que ne le laissait supposer la hauteur du bâtiment.

 Enfin, elle déboucha dans la salle principale et resta Boucheb. C’était immense. Une caverne transformée en cathédrale du vis. Le plafond disparaissait dans l’obscurité. Des colonnes de marbres noirs soutenaient l’ensemble et partout des corps qui dansaient. Mais il y avait quelque chose d’étrange. La piste était divisé en deux zones.

 Une partie sous les projecteurs où la jeunesse dorée se déchaînait et une partie dans l’ombre où d’autres silhouettes bougeaient. Des silhouettes flouses, indistinctes qui semblaient danser sur un autre rythme. Impressionnant, n’est-ce pas ? Jessica sursota. Un homme s’était matérialisé à côté d’elle. Grand, mince, costume blanc impeccable, la quarantaine élégante des yeux qui brillaient dans la pénombre.

 Je suis Christian Yappi le propriétaire. Jessica, enchanté. Première visite. Je m’en doutais. Les nouveaux ont toujours ce regardé puis effrayé puis fasciné. C’est l’effet paradise. Effrayé. Pourquoi aurais-je peur ? Christian sourit. Parce que votre instinct vous dit que quelque chose ne va pas, que cet endroit n’est pas normal et votre instinct a raison.

 Il lui prit le bras, la guida vers le bar. Laissez-moi vous offrir un verre. Le cocktail maison, spécialité de la maison. Le barman, un albinos aux yeux rouges, préparaux de verrs. Le liquide était noir avec des reflets argentés. Qu’est-ce que c’est ? Secret de fabrication. Mais je vous garantis que vous n’avez jamais rien bu de tel. Jessica tr pas ses lèvres.

 Le goût était indescriptible. sucré et amè à la fois avec un arrière-goût métallique comme du sang mélangé à du champagne. Alors Jessica dit Christian en la fixant. Qu’est-ce qu’une journaliste d’habitan Soir vient faire dans mon établissement ? Jessica faillit s’étouffer avec son cocktail. Comment savait-il ? Christian rit.

 Ne soyez pas si surprise, je connais tous mes clients et vous n’êtes pas une cliente ordinaire. Vous observez trop. Vous analysez ? Vous cherchez une histoire. Je ne mentisez pas. C’est inutile ici. Le paradise révèle la vérité de chacun. Regardez, il montra la piste. Dans la zone éclairée, les danseurs semblaient normaux, mais quand Jessica plissa les yeux, elle vit autre chose.

 Des ombres qui dansaient avec eux, des doubles sombres qui reproduisaient leur mouvement en décalé. Qu’est-ce que c’est ? L’âme qui danse avec le corps. Ici, les deux se séparent légèrement. C’est pour ça que les gens adortent cet endroit. Ils se sentent libérés. Mais certains il pointa la zone sombre, certains se libèrent trop. Leur âme part danser de son côté et parfois elle ne revient pas. C’est impossible.

Vraiment ? Alors expliquez-moi ça. Il la conduisit vers une alcauve. À l’intérieur une femme dansait seule. Mais Jessica voyait deux femmes, une en chair et en os, l’autre translucide, dansant tr mètres plus loin. Rosine aka dit Christian officiellement disparu le 3 janvier, mais elle est là toutes les nuits. Son corps du moins.

 Son âme est ailleurs. Jessica reconnut le visage des photos du dossier. Rosine dansait mécaniquement, les yeux vides. Il faut appeler la police. Pour leur dire quoi ? Qu’une disparue danse dans ma boîte. Il l’emmènerait, elle s’échapperait et reviendrait ici comme tous les autres. Les autres ? Christian lui montra d’autres alcoves.

 Dans chacune, une personne dansait seule. Jessica reconnut d’autres visages du dossier, les disparus, tout cela, ils ne sont pas vraiment partis, expliqua Christian. Leur corps est ici. Leur esprit est passé de l’autre côté dans l’ancien monde. L’ancien monde ? Christian s’assit, l’invita à faire de même. Vous savez ce qu’il y avait ici avant le Paradise ? Un terrain vague selon le permis de construire. Christi Henry.

 Les papiers officiels ment toujours. C’était le cimetière de Cocodi, le premier, ouvert en 1902 par les colons, fermé en 1987 après des incidents. Quels incidents ! Les morts ne restèrent pas tranquilles. Les gardiens entendèrent de la musique la nuit, voyent des lumières danser entre les tombes. Puis des vivants ont commencer à disparaître.

Attirés par la musique, on a fermé, coulé du béton surt, pensant que ça suffirait. Mais vous avez construit dessus. Je n’ai pas construit. J’ai révélé. Le paradise a toujours été là sous terre, un lieu où les morts venaient danser. J’ai juste ouvert la porte entre les deux mondes. Jessica frissonna. L’homme était fou.

 Ou alors elle regarda autour d’elle. Maintenant qu’elle savait quoi chercher, elle les voyait. Les autres, ceux qui n’étaient pas vraiment là. Translucides, flou, dansant parmi les vivants, des dizaines, des centaines peut-être. Ce sont les anciens occupants du cimetière. Ils viennent danser. Ils ont toujours aimé danser. La mort ne change pas ça.

 Mais les disparitions, parfois un vivant danse trop bien avec un mort. Leurs énergies se synchronisent. Le mort l’attire de l’autre côté, pas par méchanceté, par solitude. Vous ne pouvez pas imaginer la solitude de la mort. Un serveur s’approcha. Jessica remarqua qu’il n’avait pas d’ombre. Monsieur Yapi, elle est arrivée.

 Christian se leva. Excusez-moi, un rendez-vous important. Faites comme chez vous, Jessica. Mais un conseil, ne dansez pas trop longtemps et surtout ne suivez personne dans les zones sombres. Il disparut dans la foule. Jessica resta seul, son cocktail à moitié vide devant elle. Elle sortit discrètement son téléphone, commença à filmer.

 L’épreuve, il lui fallait des preuves. Elle s’approcha de Rosine. La jeune femme dansait toujours, perdue dans un monde que elle seule voyait. Rosine, Rosine Aka, pas de réaction. Jessica la toucha. Froide. La peau était froide comme le marbre. Rosine, votre famille vous cherche. Les yeux de Rosine se tournèrent envers elle vide.

 Puis elle parla, mais sa voix venait d’ailleurs de son double translucide qui dansait plus loin. Famille ? Je n’ai pas de famille, juste la danse. Toujours la danse. Venez danser avec nous. Le double translucide tendit la main vers Jessica, une main faite de brume froide. Jessica recula mais la musique changeait.

 Plus profonde, plus hypnotique. Ses pieds bougeaient malgré elle. La musique s’insinuait dans les oses de Jessica, une mélodie qu’elle n’avait jamais entendu mais qui lui semblait familière, ancienne, primale. Ses pieds suivaient le rythme malgré sa volonté. Elle se retrouva sur la piste principale. Autour d’elle, les corps se mouvaient en harmonie parfaite.

 Mais maintenant, elle voyait clairement : “Chaque danseur vivant avait un partenaire mort. Certains dansaient dos à dos, sans le savoir, d’autres face- à face, les mouvements parfaitement synchronisés. Magnifique, n’est-ce pas ? Une femme s’était matérialisée à côté d’elle. Belle, la trentaine, robe rouge sans mais Jessica voyait à travers elle translucide, morte.

 Vous êtes Viviana Blé, décédée en 1963, enterré ici à 28 ans, cancer du sein. Mais ici, je suis éternellement jeune, éternellement belle. Voulez-vous danser ? Avant que Jessica puisse refuser, Viviane lui prit les mains. Le contact était glacé mais électrisant. La musique explosa dans sa tête. Elle dansait. Non, elle volait.

Jessica sentait son corps devenir léger, aérien. Elle voyait la salle sous un autre angle. Les murs disparaissaient, révélant l’ancien cimetière. Les tombes dansaient avec eux. Pierre tombale transformé en piste de danse personnelle. “C’est merveilleux”, murmura Jessica malgré elle. “Attendait de voir le sous-sol”, rit Viviane.

 “Le sous-sol ?” Jessica reprit momentanément ses esprits. Il y avait un sous-sol ? Viviane l’entraînait vers un escalier qu’elle n’avait pas remarqué. Plus sombre, plus étroit. D’autres couples descendaient vivant et morts entre mêlé. Non, je ne peux pas. Mais si, vous êtes déjà à moitié de l’autre côté. Regardez.

Jessica baissa les yeux. Son corps était flou. Elle voyait ses mains mais aussi à travers ses mains comme si elle devenait transparente. La panique la saisit. Elle se débattit, échappa à l’emprise de Viviane, courut vers les toilettes. Dans le miroir, l’horreur, son reflet était double, son corps physique et son âme légèrement décalée.

 Elle s’aspergea le visage d’eau froide. Le choc la ramena. Les deux images se superposèrent à nouveau. Mais pour combien de temps ? Son téléphone vibrait. Un message de son rédacteur en chef. Jessica, où es-tu ? Il est 5h du matin. 5h du matin ? Impossible. Elle était arrivée à minuit. Elle avait l’impression que dix 10 minutes s’étaient écoulé.

 Elle sortit des toilettes, la salle avait changé, ou plutôt elle voyait différemment. Le Paradise était double, la boîte moderne et l’ancien cimetière superposé. Les néons clignotaient entre les croix. Les danseurs piétinaient des tombes invisibles. Elle devait partir maintenant. Mais la sortie, où était la sortie ? L’escalier par lequel elle était descendue avait disparu.

 À la place, un mur de terre comme si elle était enterrée vivante. Vous cherchez la sortie ? Christian Yapi était là mais différent, plus pâle, plus transparent. Était-il mort lui aussi ? Laissez-moi partir bien sûr, mais d’abord laissez-moi vous montrer quelque chose. Pour votre article, il la guida vers une porte qu’elle n’avait pas vu.

 Derrière un bureau. Les murs étaient découverts de photos anciennes, le cimetière à différentes époques. 1902, dit Christian en montrant la première inauguration. Les colons enterraient leur mort ici, mais ils ne savaient pas que c’était déjà un lieu sacré, un endroit où les Hébriers enterraient leur roi. Photo suivante 1945, première manifestation surnaturelle recensée.

 Un gardien rapporte avoir vu les morts danser. 1963, enterrement de Viviana Blé, la première à ne jamais vraiment partir. Son mari venait chaque nuit, disait qu’il la voyait danser sur sa tombe. On l’a pris pour un fou. 1987, la catastrophe. Une fête clandestine dans le cimetière. 30 jeunes musique, alcool, drogue.

 Au matin, on en a retrouvé que 15. Les autres avaient disparus. Leur corps était là mais vide comme des coquilles abandonnées. Le cimetière a été fermé, bétonné, mais ça n’a rien changé. Les morts continuaient à danser en dessous, à attendre. Attendre quoi ? Que quelqu’un rouvre la porte. ce que j’ai fait parce que voyez-vous Jessica, je suis le petitfils de Viviana Blé et toute ma vie j’ai rêvé de danser avec ma grand-mère.

 Il se tourna vers elle, ses yeux étaient complètement blancs. Elle m’a appris comment ouvrir la porte, comment créer le paradise. Un endroit où les vivants et les morts peuvent enfin se retrouver. Vous êtes fous, fou. Regardez autour de vous. Des centaines de personnes viennent chaque nuit. Elles payent une fortune pour danser ici.

 Pourquoi ? Parce qu’au fond tout le monde veut toucher l’éternité, même si ça coûte leur âme. Jessica recula vers la porte mais Christian ne fit rien pour l’arrêter. Partez si vous voulez, mais vous reviendrez. Ils reviennent tous. Elle courut à travers la salle, cherchant désespérément une sortie. Les danseurs ne la regardaient en même pas.

Perdu dans leur tran vivants et morts enlacés dans une danse éternelle. Enfin, elle vit des escaliers différents de ceux par lesquels elle était descendue, plus ancien en pierre usée. Elle grimpa. Les marche semblaient infinie. Ses jambes brûlaient. Elle émergea dans un cimetière, l’ancien cimetière de Cocodi.

Mais ce n’était pas possible. Il avait été détruit, bétonné. La lune brillait sur des tombes abandonnées, certaines ouvertes, béantes, d’autres couvertes de mousse et de lianes. Et partout cette musique faible mais persistante, elle marcha entre les sépultures, les noms sur les pierres tombales, quoi si Jean-Baptiste 1896 à 1954, Aquamarie 1920 à 1963, Viviane Ablé 1935 à 1963.

 La tombe de Viviane était ouverte, vide. Vous êtes dans l’entre. Jessica sursota. Un vieil homme était assis sur une tombe. Gardien ou fantôme ? Impossible à dire. L’entre deux, entre le monde des vivants et celui des morts, le paradis. C’est pour ça qu’on l’a appelé comme ça. Le paradis, c’est l’entre deux. Ni vraiment vivant, ni vraiment mort.

 Comment je sors d’ici ? devez choisir retourner dans votre monde ou rester ici. Mais attention, plus vous restez, plus c’est difficile de partir. Il montra les alentours. Jessica vit alors d’autres personnes errantes entre les tombes. Certaines transparentes, d’autres presque solides. Les disparues, tous les disparus du dossier.

 Eux ont trop attendu. Maintenant, ils sont coincés. Ni vivants, ni morts, condamnés, aérés. Mais leur famille les cherchent. Leur famille cherchent des corps pleins. Eux ne sont plus que des demi-corps. Leur autre moitié danse en bas pour l’éternité. Jessica sorti son téléphone. Pas de réseau. Mais l’appareil photo fonctionnait.

 Elle prit des photos, des vidéos, des preuves. “Ça ne servira à rien”, dit le vieil homme. “Les appareils ne captent pas l’entre. Vous verrez du vide sur vos images.” Il avait raison. L’écran ne montrait que du noir. Alors, comment prouver ? Vous ne pouvez pas. C’est pour ça que le paradise continue.

 Personne ne peut prouver ce qui s’y passe vraiment. Un bruit derrière elle. Rosine Aka approchait mais différente, plus solide, plus présente. Jessica, c’est vous Jessica, la journaliste ? Elle parlait vraiment parlait. Rosine, votre famille vous cherche. Ma famille ? Les yeux de Rosine se rempliront de larmes. Je me souviens maintenant.

 Maman, papa, mon petit frère, mais je ne peux pas revenir. Je suis trop loin maintenant. Il doit y avoir un moyen. Rosine secouait la tête. J’ai dansé avec lui, avec Marcus, mon fiancé, mort dans un accident il y a 2 ans. Il m’attendait ici. Nous avons dansé et dansé et maintenant elle leva ses mains translucides. On voyait à travers.

 Je disparais. Bientôt je serai comme lui. Un souvenir qui danse. Non, je vais vous sortir de là. Jessica prit la main de Rosine, froide mais tangible. Elle laattira vers ce qui ressemblait à une sortie. Une grille rouillée qui donnait sur une route. Mais plus elles avançaient, plus Rosine s’effaçait comme si s’éloignait du cimetière la dissolvait. Arrêtez, je disparais.

Jessica lâcha prise. Rosine redevint plus solide en retournant vers les tombes. Vous voyez, c’est le piège. On ne peut partir qu’en abandonnant une partie de soi, la partie qui a dansé avec les morts. Jessica comprit l’horreur. Tous ces gens étaient prisonniers, coincés entre deux mondes, incapable de vivre, interdit de mourir.

Il faut fermer le paradise. Le vieil homme rit. Fermer le paradise ? Impossible. Il a toujours existé. Avant la boîte, c’était le cimetière. Avant le cimetière, c’était la clairrière sacrée. Les morts ont toujours dansé ici. Christian Yapi n’a fait que monétiser l’éternité. Jessica devait sortir, prévenir les autorités.

 Même sans preuve, elle devait essayer. Elle courut vers la grille, la franchit. De l’autre côté, Abidjan la vraie. Le soleil se levait. 6h23 sur son téléphone qui retrouvait du réseau. 57 appels manqués. son rédacteur en chef, sa mère, ses collègues. Elle rappela Diabé. Jessica, bon dieu, où étais-tu ? Ça fait 12h qu’on te cherche.

 12h, j’étais au paradis. Le paradise a fermé à 2h du matin selon la police. Ils ont fouillé. Tu n’y étais pas fermé à 2h, mais elle y était encore à 5h. À moins que elle regarda ses mains. Le tampon tête de mort était toujours là, mais il pulsait comme vivant. J’arrive au journal, j’ai des choses à vous raconter.

 Elle prit un taxi. Dans le rétroviseur, elle vit son reflet normal. Mais parfois pendant une fraction de seconde, elle voyait l’autre, son double translucide, celle qui était restée là-bas. Au journal, elle raconta tout à diabaté. Il l’écouta sans l’interrompre. Puis sortit un dossier de son tiroir. Tu n’es pas la première.

 Regarde des témoignages, des dizaines, tous similaires. Des gens qui parlaient du paradise, de la danse avec les morts, de l’entre. Pourquoi vous ne publiez pas ? Avec quelle preuve ? Les photos ne montrent rien, les vidéos sont noires, les témoins sont considérés comme fous et surtout il montra une liste de noms. Les propriétaires du paradis, pas juste Christian Yapi, des ministres, des hommes d’affaires, des personnalités.

 Il protège l’endroit, trop d’argent en jeu. Mais les disparitions officiellement des fugues, des adultes qui partent volontairement. Pas de corps, pas de crime. Jessica était écœuré. Alors, on ne fait rien. On surveille, on documente, on attend le moment où ça dérapera vraiment. Ça arrive toujours avec ce genre d’endroit. Cette nuit-là, Jessica ne dormit pas.

Elle voyait le paradise quand elle fermait les yeux, entendait la musique, sentait l’appel. Le tampon sur sa main ne partait pas. Ni à l’eau, ni au savon, ni à l’alcool, comme un tatouage ou une marque. Trois jours passèrent. L’envie de retourner au paradis grandissait. Une obsession.

 Elle résistait mais c’était dur. Le 4e jour, Rosinakar est apparu. Enfin, son corps retrouvé errant dans les rues de Cocodi, vivante mais catatonique. Les médecins parlaient d’un état dissociatif sévère. Jessica alla voir à l’hôpital. Rosine fixait le vide. Parfois, ses lèvres bougeaient. Elle murmurait : “La danse ! Toujours la danse.” Sa mère pleurait.

 Ma fille est revenue, mais ce n’est plus ma fille, c’est une coquille vide. Le soir même, Jessica craqua. Elle retourna au Paradise. La file était encore plus longue. Les videurs la reconnurent. Sourire, nous savions que vous reviendriez. Ils reviennent tous. Elle descendit. La salle était bondée mais elle voyait différemment.

 Maintenant les vivants d’un côté, les morts de l’autre et au milieu, les entre deux. Ceux qui appartenaient aux deux mondes. Christian l’attendait au bar. Bonsoir Jessica. Prête pour la vérité complète cette fois ? Quelle vérité ? Que le paradise n’est pas une malédiction, c’est une bénédiction.

 Un endroit où la mort n’est plus une fa, où l’amour survit à tout, où la danse est éternelle. Il lui montra un couple. Un jeune homme vivant dansait avec une femme âgée transparente. Sa grand-mère, morte il y a 5 ans. Ils dansent ensemble chaque vendredi. Elle lui raconte les histoires de famille. Il lui parle du monde moderne.

 Où est le mal ? Une fillette courait entre les danseurs, transparente, riant, morte de leucémie à 8 ans. Mais ici, elle joue. Elle est heureuse. Ses parents viennent la voir. Où est le mal ? Jessica devait admettre que certains semblaient heureux. Mais et ceux qui disparaissent, qui restent coincés ? Ceux qui choisissent. Personne n’est forcé.

 Ils préfèrent l’entre deux à leur vie. C’est leur choix. Rosine n’a pas choisi. Rosine a dansé avec son amour perdu. Elle a choisi de le suivre. Puis elle a changé d’avis mais c’était trop tard. On ne peut pas danser avec la mort et revenir intacte. Jessica passa des heures au paradis cette nuit-là, observant, écoutant, comprenant.

 C’était plus complexe qu’elle ne pensait, pas juste bon ou mauvais, maigri comme l’entre deux lui-même. Certains venaient pleurer leur mort et trouvaient la paix. D’autres venaient chercher l’oubli et se perdaient. Le paradise ne jugeait pas. Il offrait à chacun de choisir ce qu’il prenait.

 À 3 heures du matin, Viviane Ablé réapparut. Vous êtes revenu. Je savais que vous reviendriez. Vous avez la marque maintenant. Elle montra le tampon sur la main de Jessica, la marque de ceux qui ont touché l’entre. Vous appartenez aux deux mondes maintenant comme mon petitfils Christian. Il a ouvert le paradise pour me retrouver. Noble intention.

 Mais les bonnes intentions pavent en l’enfer ou le paradis. C’est selon. Vous regrettez ? Viviane réfléchit. Je ne peux pas regretter. Les morts n’ont pas de regret, juste de la nostalgie. Je suis nostalgique de la vie, de la chaleur, du goût de la mangue, de la douleur même. Les morts ne ressentent rien, sauf quand ils dansent avec les vivants.

 Alors pour un instant, ils se souviennent. Elle prit la main de Jessica froide. Vous devez faire un choix. Racontez cette histoire et détruire le paradise où la garder et préserver ce lieu unique. Réfléchissez bien, car votre choix affectera des centaines de personnes vivantes et mortes. Jessica quitta le paradise à l’aube.

 Le tampon sur sa main avait disparu, mais elle savait qu’elle était marquée à jamais. Au journal, elle s’assit devant son ordinateur. L’article était là, dans sa tête. Tout y était. Les témoignages, les disparitions, la vérité sur l’ancien cimetière. Mais elle pensa aux couples qui dansaient, aux enfants morts qui jouaient, aux familles qui retrouvaient leur disparu même translucides.

 Elle pensa aussi aux disparus coincés dans l’entre, aux familles qui pleuraient des coquilles vides. Finalement, elle écrivit mais pas l’article qu’elle avait prévu. Le Paradise Club, entre mythes et réalité, un article nuancé qui parlait des disparitions mais aussi des retrouvailles, qui questionnait sans condamner, qui avertissait sans interdire.

 L’article fut publié, le paradise resta ouvert, mais moins de gens disparurent. Prévenus, les clients faisaient plus attention, ne suivèrent plus les ombres dans les zones sombres. Christian lui envoya un message. Merci, vous avez trouvé l’équilibre. Mais Jessica savait que l’équilibre était fragile. Un jour, quelqu’un danserait trop longtemps, s’enfoncerait trop profondément et ne reviendrait pas.

C’était le prix du paradise, le prix de danser avec les morts. Elle n’y retourna jamais. Mais parfois la nuit, elle entendait la musique, voyait les ombres danser dans sa chambre. L’entre deux l’appelait. Elle résistait pour l’instant. Mais elle savait qu’un jour, quand elle serait vieille, quand ce qu’elle aimait seraient apparti, elle retournerait au Paradise pour danser une dernière fois et peut-être cette fois ne pas revenir.

 Car c’était ça le vrai piège du paradise. Il offrait ce que tout le monde désirait au fond. Échapper à la solitude de la mort, même si ça signifiait se perdre dans l’entre deux pour l’éternité. Le Paradise Club existe toujours. Si vous passez par Cocodi un vendredi soir, vous verrez la file. Les néons violets, les videur au sourire énigmatique.

 L’entrée coûte toujours 21000 francs, le prix pour danser avec l’éternité. Certains disent que c’est juste une boîte branchée avec des effets tout spéciaux. D’autres murmurent qu’on y danse vraiment avec les morts. La vérité, comme toujours, est entre les deux. Si vous y allez, souvenez-vous, ne suivez personne dans les zones sombres.

Ne dansez pas trop longtemps avec les ombres. Et surtout, surtout n’acceptez jamais l’invitation à descendre au sous-sol. Car au Paradise, la frontière entre la vie et la mort est mince. Si mince qu’on peut la traverser sans s’en rendre compte. Et une fois de l’autre côté, le retour coûte plus cher que ce que la plupart sont prêts à payer.

 Une partie de leur âme. Merci d’avoir suivi cette histoire. Si elle t’a glacé le sang, abonne-toi et laisse un like. À très bientôt pour une nouvelle histoire.