La bonne a découvert que les bébés de sa patronne étaient des serpents !

La bonne a découvert que les bébés de sa patronne étaient en réalité des serpents qui prenaièrent forme humaine la nuit. Solian descendit du downfo, les pieds nus dans des tongs usés, son unique valise en plastique bleu attachée avec une corde. Elle avait 22 ans, les yeux trop grands pour son visage maigre et une lettre froissée dans la poche.

 Viens vite ma sœur. Madame Pai Bien. C’est chez madame Marelia desgrave qu’on l’attendait dans une immense villa blanche aux vitres teintées qui reflétaèrent les palmiers comme des miroirs menteurs. Dès le portail électrique ouvert, une odeur de jasmin sucrée lui sauta mêlée à autre chose. Une odeur froide, presque reptilienne, qu’elle ne fut pas encore nommée.

 Madame Marellia l’accueillait elle-même sur le perron, drappée dans un boubou en soit émeraude, les lèvres peintes en dorées, un sourire si parfait qu’il semblait dessiner. Solien, ma petite, entre donc. Ici, on va te traiter comme une fille de la maison. Sa voix était douce comme du miel chaud, mais ses yeux, d’un verre presque jaune ne clignaient presque jamais.

 Derrière elle, deux bébés jumeaux dormaient dans une poussette double en cuir blanc, emmitoufflé dans des couvertures brodées d’or. Ils étaient magnifiques. La peau caramel, les lèvres roses, tellement paisibles qu’on aurait dit des poupées. Voici Kelan et Auréline, mes trésors. Tu vas t’en occuper la nuit surtout. Moi, je dors mal depuis leur naissance.

Solianocha la tête intimidé. La gouvernante précédente, une femme d’aquai, était partie du jour au lendemain sans dire au revoir. On murmurait dans le quartier qu’elle avait vu quelque chose qu’elle n’aurait pas dû. Mais Solien n’avait pas le choix. Sa mère était malade à Port Harcour. Les factures de l’hôpital s’empilaient.

 Elle entra. Les premiers jours furent étrangement calmes. Madame Marellia sortait beaucoup, parfumée, toujours accompagné de son chauffeur taciturne prénommé Darion. un colosse au regard vide qui ne parlait presque jamais. Solien faisait le ménage, la cuisine, donnait le biberon aux jumeaux qui ne pleuraient jamais, jamais.

 Ils ouvraient juste leurs petits yeux verts, trop grands eux aussi, et la fixaient longtemps, longuement, comme s’ils la reconnaissent déjà. La nuit, elle dormait dans une petite chambre attenante à la nursery, une porte communiante toujours entrouverte au cas où. C’est la troisième nuit que tout bascula.

 Solian se réveilla en sursaut, la bouche sèche, un bruit, un froissement comme du tissu qu’on traîne sur le carrelage. Elle se redressa dans son lit, le cœur cognant. La veilleuse de la nurserie projetait une lumière orangée à travers la porte entrouverte. Elle se leva sans bruit, pieds nus et s’approcha. Ce qu’elle vit la figea sur place. Les berceaux étaient vides.

 Les couvertures ent par terre. Au milieu de la pièce, deux longs serpents noirs, luisants, aussi épais que son bras, se dressaient à moitié. La tête plate levée, les yeux brillants comme des braises vertes. Leurs écailles capturèrent la lumière et la renvoyaitent en reflets huileux. L’un d’eux tourna lentement la tête vers elle et ouvrit la bouche, révélant deux crochets fins comme des aiguilles.

 Un sifflement bas, presque un murmure sortit de sa gorge. “Maman !” Solian étouffa un cri en plaquant sa main sur sa bouche. Ses jambes tremblaient si fort qu’elle dut s’appuyer au chambranle. Et puis sous ses yeux orifiés, les serpents commencèrent à changer. Leur corps se tordit, se raccourcit, les écailles fondirent comme de la cire chaude.

 La peau humaine apparut lisse et dorée. En moins de 10 secondes, Kelan et Auréline étaient là, nu sur le tapis, souriant, tendant leurs petites mains potelées vers elle en gazouillant, comme si rien n’avait eu lieu. Elle recula, trébuch, se cogna contre le mur. Les bébés ou ceux qui en avaient l’apparence se mirent à rire.

 Un rire clair et innocent qui raisonna dans toute la maison. Au même moment, elle entendit les talons de Madame Marelia dans l’escalier. La porte de la nurcerie s’ouvrit en grand et la maîtresse de maison apparut en nuisette de soie noir, les cheveux défets, les yeux brillants du même verre surnaturel.

 Elle regarda Solian, puis les jumeaux, puis Solian à nouveau et sourit lentement, très lentement. “Tu les as vu, n’est-ce pas ?” dit-elle d’une voix douce, presque tendre. Elle s’agenouilla, prit les bébés dans ses bras, les embrassa sur le front. Les enfants se blottirent contre elle avec une avidité étrange. Ne t’en fais pas, ma petite, ils ne te feront rien tant que tu restes sage.

Solian sentit ses genoux se dérober. Elle tomba assise par terre, la gorge nouée. Madame Marelia se releva majestueuse et s’approcha d’elle, ses pieds nus ne faisant aucun bruit sur le marbre. Elle se pencha, caressa la joue de Solian du bout des ongles longs et pointus. Tu sais garder un secret Solian ? Parce que si tu parles, elle laissa la menace planée puis se redressa.

 Va te recoucher. Demain, tu continueras à t’occuper d’eux comme avant. Et surtout, surtout tu ne diras rien à personne, pas même à Darion. Il est jaloux, tu sais, très jaloux. Elle tourna les talons, les jumeaux dans les bras et remonta l’escalier sans se retourner. Solian resta là prostré.

 jusqu’à ce que le jour se lève, le corps glacé, l’esprit en miette. Quand enfin, elle osa retourner dans la nurserie, les berceaux étaient impeccable, les couvertures bien bordées et les bébés dormaient profondément, le visage angélique, les petites mains jointes sous le menton. Mais dans la lumière grise de l’aube, elle remarqua quelque chose sur le tapis.

 Une écaille noire, luisante, grande comme une pièce de monnaie. Elle la ramassa du bout des doigts. L’écaill étaient tièdes, vivantes. Les jours suivants furent un cauchemar éveillé dont Soliant ne pouvait pas se réveiller. Elle se levait à l’aube, faisait semblant de sourire, donnait le bain aux jumeaux qui la regardait avec ses yeux trop verts en battant des cils comme des anges.

 Mais dès que la nuit tombait, elle tremblait de tous ses membres. Elle avait caché les cailles noires dans une vieille boîte de biscuit sous son matelas. Parfois quand elle était seule, elle la sortait et la posait sur sa paume. Elle était toujours tiède comme si un cœur minuscule battait à l’intérieur. Madame Marellia, elle était plus douce que jamais.

 Elle offrait à Solien des robes neuves, des chaussures en cuir véritables, des bijoux en or qui brillaient trop fort. “Tu fais partie de la famille maintenant”, répétait-elle en lui pinçant gentiment la joue. Mais chaque fois que ses ongles laissaient de petites marques rouges qui mettaient des heures à disparaître, Darion, le chauffeur rodait plus souvent dans la maison.

 Il ne disait rien, mais ses yeux suivaient Solian partout, lourd, accusateur, comme s’il savait. Une fois, elle le surprit en train de renifler l’air autour de la nurserie, les narines dilatées, la mâchoire crispée. La 6e nuit, Solien n’arrivait plus à dormir. Elle avait mis trois cadenas à l’intérieur de sa porte, mais elle savait que ça ne servirait à rien.

 Vers 2h du matin, elle entendit à nouveau le froissement. Cette fois, ce n’était pas dans la nursery, c’était dans le couloir, lent, régulier, comme un gros corps qui se traîne. Elle se leva, le cœur au bord des lèvres et colla son oreille contre la porte. Le bruit s’arrêta juste devant chez elle, puis un petit coup léger, presque timide.

Solian, c’était la voix d’Auréline, toute douce, toute enfantine. Ouvre grande sœur, on a froid. Solian recula jusqu’au mur. Ses dents claquaient. Un deuxième coup plus fort. Solian, maman a dit que tu devais nous faire chauffer du lait. La voix de Kelane cette fois plus grave, plus lente.

 Elle plaqua ses mains sur ses oreilles mais les coups continuaient rythmés, patients. Puis le silence, un silence si lourd qu’elle crut devenir folle. Elle attendit une heure, de heures. Quand enfin, elle osa entrouvrir la porte, le couloir était vide. Mais sur le carrelage blanc, il y avait une traînée luisante comme une trace de bave épaisse qui menait jusqu’à l’escalier.

Le lendemain matin, madame Marelia l’attendait dans la cuisine, assise devant une tasse de café fumant. Elle portait une robe rouge sang qui semblait boire la lumière. “Tu as mal dormi, ma petite ?” demanda-t-elle sans lever les yeux. Solian secoua la tête, incapable de parler. Madame Marelia sourit, découvrant des dents un peu trop pointues.

 Ce soir, j’ai invité un pasteur très puissant. Il va bénir la maison et les enfants. Tu seras là bien sûr. Habile-toi bien. Elle se leva, posa une main possessive sur l’épaule de Soliant. Et surtout ne fais pas cette tête effrayée. Les enfants sentent la peur, tu sais, ça les excite. L’après-midi, Solien tenta de téléphoner à sa mère avec le vieux Nokia qu’elle cachait dans ses affaires.

 Mais dès qu’elle composa le numéro, l’écran devint noir et une voix d’homme R sortit du haut par l’heure. Ne fais pas ça, Solien. Elle lâcha le téléphone comme s’il brûlait. Quand elle le ramassa, l’écran était redevenu normal, mais le numéro de sa mère avait disparu de la liste d’appels. À 19h précise, une Mercedes noire se gara devant la villa.

Un homme en costume blanc en sortit, grand, maigre, le crâne rasé, tenant une bible en cuir de serpent. Il s’appelait Pasteur Nerios. Ses yeux étaient du même verre que ceux de la famille. Il serra la main de Madame Marellia avec une familiarité étrange, presque intime. “Mes bébés ont grandi”, dit-il en entrant dans le salon où les jumeaux étaient assis sur un tapis sage comme des images.

 Il s’agenouilla devant eux, leur caressa la tête. Kelan et Auréline se mirent à ronronner, un son grave, profond qui fit vibrer les vitres. Solian fut forcé de servir le vin de palme et les petits fours. Chaque fois qu’elle passait près du pasteur, il tournait lentement la tête vers elle comme un lézard qui suit une mouche. À un moment, il lui saisit le poignet.

 Sa main était glacée. “Tu as une belle âme, petite”, murmura-t-il. “Pur, mes enfants l’aiment déjà.” Madame Marellia éclata d’un rire cristallin. “Ne les ferais pas, Nérios, elle est encore timide.” La cérémonie commença à minuit. Ils éteignirent toutes les lumières sauf des bougies rouges disposées en cercle autour des symboles étranges tracés avec de la poudre blanche sur le marbre.

 Le pasteur Nerios se mit à chanter dans une langue que Soliant ne connaissait pas. Une langue qui faisait mal aux oreilles comme des griffes sur du verre. Les jumeaux assis au centre du cercle commencèrent à se balancer d’avant en arrière. Leurs yeux devinrent entièrement verts sans pupille. Madame Marellia ôta son boubou.

 En dessous, sa peau était couverte d’écailles minuscules, irisées qui apparaissaient et disparaissait selon la lumière. Soliant, debout dans un coin, serrait si fort son tablier que ses jointures étaient blanches. Elle vit alors quelque chose qui lui glaça le sang. Sous la robe du pasteur, une queue longue et noire se déroulait lentement sur le sol, se levant autour de ses chevilles.

 Il se tourna vers elle, la langue fourchut et murmura : “Ce soir, nous allons te faire un cadeau, Soliant. Tu vas devenir comme nous, une vraie mère pour mes petits. À cet instant précis, les bébés se levèrent d’un bon. Leurs bouches s’ouvrirent démesurément, révélant des crochets luisants de venins. Ils rempèrent vers elle à une vitesse terrifiante, leur petit corps déjà en train de se tordre, de s’allonger, les craquants comme du bois sec.

 Madame Marellia éclata d’un rire hystérique. Ne résiste pas, ma chérie, ça fait juste un peu mal au début. Solian hurla enfin. Elle attrapa la croix en argent que sa grand-mère lui avait donné avant de partir du village, la brandit devant elle. Les serpents enfants s’arrêtèrent net, sifflant de rage, la langue frémissante.

 Le pasteur Nerios plissa les yeux. Une croix bénie. Intéressant. Il fit un pas en avant et la croix devint brûlante dans la main de Solian, si brûlante qu’elle la lâcha avec un cri de douleur. La croix tomba par terre et fondit comme du beurre, laissant une flaque d’argent fumant. C’est là que Darion entra dans le salon. Il était pied nu, torse nu, le corps couvert de tatouages anciens qui semblait bouger tout seul.

 Dans sa main droite, il tenait une machette rouillée. Ses yeux n’étaient plus vides. Il brûlait d’une haine pure. “Assez !” gronda-t-il d’une voix si grave que les bougies vacillèrent. Madame Maréia se tourna vers lui, furieuse. “Darion, tu oses après tout ce que j’ai fait pour toi ?” Darion Ricana, tu m’as maudit, Marelia, tu m’as transformé en chien de garde, mais j’ai attendu, j’ai attendu que quelqu’un vienne, quelqu’un qui est assez de foi pour briser ton cercle.

 Il pointa sa machette vers Soliant, elle. Puis il se tourna vers le pasteur Nerios. Et toi, faux prophète, retourne dans le trou d’où tu sors. Un combat terrifiant s’engagea. Darion frappa le premier, la machette sifflant dans l’air. Le pasteur para avec son bras qui se transforma instantanément en un serpent géant enroulant autour de la lame.

 Madame Marelia hurla, se jeta sur Darion, toute griffe dehors. Son visage se déformant en quelque chose d’inhumain. Les jumeaux serpents fondirent sur les jambes de Darion, plantant leur crochets dans sa chair. Mais le grand chauffeur ne broncha pas. Il arracha Kellian de sa cuisse, le projeta contre le mur où il éclata en une gerbe d’écailles noires.

 Solian profita du chaos pour courir vers la porte, mais Auréline, déjà à moitié serpent, s’enroula autour de sa cheville et la fit tomber. La petite bouche s’ouvrit, prête à mordre. Solian, dans un ultime sursaut, attrapa la flaque d’argent fondue, encore brûlante, et la jeta au visage du serpent bébé. Auréline hurla, un hurlement strident qui fit exploser deux bougies et se tordit de douleur, la peau fumante.

 Darion, couvert de sang et de venin, planta sa machette dans le dos de madame Marellia. Elle se retourna, les yeux écarquillés et cracha un jet de venin noir qui brûla le torse du chauffeur. Mais il teint bon, tourna la lame. Un bruit humide, horrible. Madame Marelia s’effondit à genoux, les mains crispées sur la plaie béante.

 “Tu tu ne peux pas, balbucia-t-elle.” Darion se pencha à son oreille. “Je t’ai aimé autrefois avant que tu me voles mon humanité.” Il arracha la machette et d’un revers trancha la tête du pasteur Nerios qui rampait déjà vers lui sous forme de cobra royal. Le silence retomba lourd, poisseux. Les corps serpents se contorsionnaient encore faiblement sur le sol. Darion tituba jusqu’à Solian.

 la releva brutalement. “Cours !” souffla-t-il, la bouche pleine de sang. “Cours maintenant avant que le sort se referme.” Solian, les larmes aux yeux, secoua la tête. “Et vous ?” Il eut un sourire triste. “Moi, je suis déjà mort depuis longtemps. Va !” Elle courut. Elle traversa le salon ensanglanté, le couloir, le jardin.

 Le portail électrique était ouvert comme s’il l’attendait. Dehors, la rue était déserte, la lune énorme et rouge. Elle courut jusqu’à ce que ses poumons brûlent, jusqu’à ce que ses pieds saignent dans ses tongues. Elle ne s’arrêta qu’en arrivant au grand marché d’Ochaudi au milieu des vendeuses de petit-déjeuner qui commençaient à installer leur braserau.

 Elle se cacharière un étal de tomat altante et là, seulement là, elle regarda derrière elle. La villa blanche était toujours là, au loin, immobile, mais toutes les lumières s’étaient éteintes d’un seul coup. Et dans l’air flottait encore cette odeur froide, reptilienne qui semblait la suivre. Solian sortit la boîte de biscuit dessous son pagne.

 Les cailles noires étaient toujours tièdes, mais maintenant elle pulsait fort comme un cœur. Solian resta accroupi derrière l’étal de Mamachika jusqu’à ce que le soleil soit haut fasse fumer les tois en tôle. Les odeurs de beignets frits, d’oignons grillés et de piment la ramenaient à la vie. Mais chaque battement de l’écaille dans sa poche lui rappelait que le cauchemar n’était pas fini.

Mama Chika, une grosse femme au rire Tony Truant, finit par la remarquer. E petite, tu es blanche comme du lait cahillé. Viens boire du thé. Solien ne nous a pas refuser. Elle s’assit sur un tabouret en plastique, les mains tremblantes autour du verre brûlant. Mamika la dévisagea longuement. Toi, tu viens de chez les Dégraves, hein ? Solian sursauta si fort que le thé se renversa sur ses genoux.

 La vieille femme posa une main lourde sur son épaule. Calme-toi. Ici au marché, on parle bas mais on sait tout. Viens derrière. Derrière l’étal, il y avait une petite cabane en parpin où Mamachika rangeait ses sacs de riz. Elle ferma la porte, tira un rideau en wax et sortit d’un coffre rouillé, une bouteille de jean local et une photo sur la photo, une jeune femme souriante, enceinte posait devant la même villa blanche.

 “C’était ma fille, Elwanda”, dit Mamachika d’une voix rook. Elle aussi était bonne là-bas. Elle est revenue un jour avec le ventre rond en disant que Madame Marellia lui avait fait un cadeau. 9 mois après, elle a accouché d’un serpent mort. Elle s’est pendue le lendemain. Les larmes coulaient sur les joues de la vieille, mais ses yeux étaient durs.

Depuis, je surveille cette maison du diable. Tu n’es pas la première à fuir, mais tu es la première à arriver vivante. Solian sortit l’écaille de sa poche. Dès qu’elle la posa sur la table, Mamachika recula d’un pas. Jésus Marie Joseph, c’est une écaille de reine, celle de Marelia elle-même. Tant qu’elle bat, elle n’est pas vraiment morte.

 Elle va te traquer, petite jusqu’au bout du monde. Solian sentit son estomac se nouer. Qu’est-ce que je dois faire ? Mamachika attrapa la bouteille de jean, en versa dans une coupelle, il jeta trois grains de piment et une pincée de poudre noire. On va consulter quelqu’un qui connaît les vieux secrets ce soir. Mais d’abord, tu dois te cacher.

Elle la cachèrent dans la soupente au-dessus du marché, une pièce minuscule pleine de sacs d’arachide où l’air sentait le rance et la sueur. Solian y passa la journée à trembler, écoutant les bruits du marché, le cœur battant au même rythme que l’écaill. À la tombée de la nuit, Mamachika revint avec un homme voûté, pied nu, vêtu d’un simple pagne rouge.

 Il avait les yeux complètement blancs comme s’ils étaient retournés dans leurs orbites. Il s’appelait Baba Lisian. Dès qu’il entra, il renifla l’air et pointa un doigt osux vers la poche de Soliant. Donne-la moi. Sa voix était un souffle de vent sec. Solian hésita. Mamachika la poussa doucement. Fais-lui confiance.

 Il est le dernier dibia encore vivant qui connaît le nom secret des mami serpents. Solian tendit l’écaille. Dès que les doigts de Babalisian la touchèrent, elle se mit à briller d’une lumière verte malade. Le vieil homme ferma les yeux. Son corps se rédit. Quand il parla, ce n’était plus sa voix.

 C’était celle de madame Marelia, suave et vénimeuse. Tu crois pouvoir m’échapper, petite souris ? Je sens ton odeur partout. Je vais faire éclore mes bébés dans ton ventre. Tu seras leur nouvelle mère. Baba Lisian rouvrit les yeux à tempant. Elle est déjà en route. Elle a pris une autre forme, une forme que personne ne soupçonnera.

À cet instant, on frappa à la porte de la soupente. Trois coup lants. La voix de Darion, r et épuisé, traversa le bois. Ouvre Solian, c’est moi. Mamachik attrapa une machette cachée sous un sac de riz. Solian, le cœur battant, déverrouilla. Darion entra en titubant. Il était méconnaissable. La moitié gauche de son visage était brûlée par le venin, l’œil pendant hors de l’orbite, mais il tenait encore debout.

 Il tomba à genou devant Solian. Je je les ai ralentis, mais elle a bu mon sang. Elle est plus forte maintenant. Il tendit une main couverte de cloques. Dans sa paume, il y avait un petit flacon en argile scellé avec de la cire rouge. Le cœur de Marelia. Je l’ai arraché avant de partir. Tant qu’il bat, elle peut changer de corps.

 Il faut le brûler dans le feu des sept rivières, sinon elle reviendra toujours. Babalisiane prit le flacon, le renifla, grimassa. Il pue la mort ancienne. Il faut aller à Ozun, là où la déesse pardonne même au serpent. Mais le chemin est gardé. Les enfants sont déjà nés une deuxième fois. Ils ont pris les cords de deux vendeuses du marché. Elles sourit trop.

 Elles sentent le jasmin froid. Solian sentit la terreur lui mordre les entrailles. Darion leva son œil valide vers elle. Je viens avec toi, je te dois ça. Mamachika attacha un pagne autour de la taille de Solian. Il glissa un couteau de cuisine et une petite bourse de Cori. Prends aussi ça. Quand tout sera perdu, jette-les par terre et crie mon nom trois fois.

 Ils partirent à l’aube dans un bus brinballant bus de nuit direction Ozogbo. Darion enveloppé dans une couverture grelotait de fièvre. Baba Lisian chantait doucement dans une langue oubliée tenant le flacon contre son cœur. Solian collé à la fenêtre sale regardait la gosse s’éloigné. À chaque arrêt, elle scrutait les visages des passagers qui montaient.

 À Ibadan, deux jeunes femmes entrèrent : “Superbes ! Lèvres dorées, yeux trop vert.” Elles s’assirent juste derrière elle. Solian sentit l’odeur de Jasmin. L’une d’elles posa une main manucurée sur son épaule et murmura à son oreille. Maman nous manque, grande sœur. Tu nous ramènes à la maison ? L’autre montra ses dents.

 Entre ses canines, deux petits crochets luisaient. Darion se redressa d’un bon malgré la douleur et brandit le flacon comme une grenade. Reculez, démon ! Les deux femmes sifflèrent, langue fourchue et tout le bus se mit à hurler. Baba Lisian ouvrit la fenêtre et jeta une poignée de poudre rouge. Les créatures reculèrent en crachant la peau fumante.

 Le chauffeur, paniqué, arrêta le bus au milieu de la route. Les passagers s’enfuirent en criant au diable. Les deux femmes serpents se glissèrent par les fenêtres et disparurent dans la brousse, laissant derrière elle une traînée luisante. Ils continuèrent jusqu’à Osogbo à pied sous une pluie battante qui transformait les chemins en bou rouge.

 Darion perdait son sang par les plais qui ne se refermaient pas. À l’entrée de la forêt sacrée d’Ozun, un panneau rouillé indiquait, interdit aux impurs. Baba Lisian s’arrêta, leva le flacon vers le ciel. Ici, la déesse jugera, mais il faudra payer le prix. Solian hoa la tête. Elle était prête à tout. Au cœur de la forêt, la rivière brillait sous la lune comme du mercure.

 Des statues anciennes couvertes de mousse les regardait avec des yeux vides. Baba Lisian creusa un trou au bord de l’eau. Il déposa le flacon puis une noix de cola du jean du sang de sa propre veine. Il se tourna vers Solien. Pour que le feu prenne, il faut un sacrifice volontaire, un cœur qui bat encore. Darion, sans un mot, s’avança.

 Il prit le couteau de cuisine des mains de Solian, le posa contre sa propre poitrine. J’ai déjà vécu trop longtemps comme un monstre. Laisse-moi réparer. Solian hurla. Non. Mais Darion sourit pour la première fois. Tu m’as rendu mon humanité rien qu’en ayant peur avec moi. Il enfonça la lame. Le sang gicla, noir et épais sur le flacon.

 Babalisian entona un champ si puissant que les arbres tremblèrent. Une flamme verte, froide, jaillit du trou enveloppa le cœur de Marelia. Un hurlement déchirant traversa la forêt. Un cri de femme, d’enfants, de serpents tout à la fois. Et puis plus rien. Le silence. La rivière se mit à bouillonner. Une femme immense, peau d’ébines, cheveux fait de Lian surgit de l’eau. Osoun en personne.

Elle posa une main fraîche sur le front de Solian. Tu as payé le prix, enfant. Le serpent ne te poursuivra plus. Puis elle regarda le corps sans vie de darion, hoa la tête avec respect et le fit doucement glisser dans l’eau où il disparut sans une éclaboussure. Solian tomba à genou, épuisé, vidé.

 Baba Lisian ramassa une poignée de cendre encore tiède là où le flacon avait brûlé. Il les versa dans la petite bourse de Coris. Garde ça, tant que tu les auras, aucun serpent ne t’approchera. Il la regarda longuement. Mais souviens-toi, certains secrets ne meurent jamais complètement. Ils dorment.

 Quand Soliant revint à la gosse trois jours plus tard, la villa blanche avait brûlé dans la nuit. On parla d’un court circuit. Les corps calcinés de Madame Marellia et du pasteur Nerios furent retrouvés enlacés dans le salon. Les jumeaux, eux, avaient disparu. On ne retrouva que deux petites combinaisons blanches, vides posées sur les berceaux noir-cis.

 Solian ne retourna jamais à Port Harcour. Elle resta au marché avec Mamachik, vendit des tomates et des piments forts. Parfois, tard le soir, quand le marché se vida, elle sortait la bourse de cendre et l’écaille qui ne battait plus. Elle les serrait contre son cœur et murmurait : “Darion, je n’oublierai pas.” Mais certaines nuits, quand la lune est trop rouge et l’air sent le jasmin froid, elle entend tout près un froissement léger comme un gros corps qui se traîne sur le carrelage.

 Et dans l’ombre, deux petits yeux verts la regardent fixement, attendant qu’elle ferme les siens. Des années passèrent. Solion devint Mama Solian, la reine des piments d’chaudi, celle à qui on venait de loin pour les condiments les plus forts et les histoires les plus vraies. Elle ne parlait jamais de la villa blanche, mais tout le monde savait qu’il ne fallait pas la déranger quand elle fermait les yeux un instant.

 Assise sur son tabouret, la main posé sur la petite bourse de Coris pendue à son cou. Un soir de décembre, alors que le harmatan rendait l’air sec et doux, une vieille femme voilée s’approcha de son étal. Elle tremblait, soutenue par deux adolescentes aux yeux très verts, trop verts. La vieille découvrit son visage. C’était la mère de Madame Marellia, ridée comme un vieux serpent séché.

 Elle posa sur la table une enveloppe épaisse et une photo. Sur la photo, Kelan et Auréine, maintenant grand, beau, humains, debout dans un pensionnat catholique au Canada. Leurs yeux étaient devenus noisettes, ordinaire. “Ils ne se souviennent de rien”, murmura la vieille d’une voix cassée. “Le feu d’Ossun a tout effacé.

 Ils ne savent même pas qu’ils ont tu une autre mère. Je viens seulement te dire merci et te supplier de me pardonner pour ma fille.” Elle ouvrit l’enveloppe. Des milliers de dollars canadiens et un billet d’avion allit simple pour Toronto. Viens les voir une fois, juste une fois. Ils ont besoin d’une tente, pas d’un souvenir. Soliant regarda longtemps la photo.

 Les jumeaux souriaient timides, sans crochet, sans écaill. Elle caressa le visage des enfants avec son pouce, puis referma l’enveloppe et la rendit à la vieille. Dites-leur que tante Solian les aime déjà, mais je reste ici. Mon marché, mes piments, mes sœurs de Haudi, c’est ma famille maintenant. Elle sourit pour la première fois sans peur.

 Et puis quelqu’un doit bien veiller à ce que plus jamais un serpent ne mette les pieds à la gosse. La vieille pleura, embrassa les mains de Solian et partit. Les adolescentes se retournèrent une dernière fois. L’une d’elles fit un petit signe timide de la main. Solian le leur rendit. Cette nuit-là, elle monta sur le toit en tôle du marché, seule avec la lune.

 Elle sortit la bourse, défit le nœud et laissa le vent emporter les cendres grises qui restaient au fond. Les cailles noires, elle était devenue blanche comme de l’ivoire, froide, morte. Enfin, elle la posa sur le rebord et d’un petit coup de talon la fit tomber dans la rue déserte. Au matin, un gamin la ramassa pour jouer.

 Elle n’était plus qu’une jolie pierre brillante. Solian inspira profondément l’air de la gosse, chargé d’oignons frits, de gasoilles et de vie. Elle murmura dans la nuit. Darion, Mamachik, Elwanda, on a gagné. Et pour la première fois depuis 7 ans, elle dormit sans faire de cauchemar.