Sonia Mabrouk. Ce nom résonne dans le paysage médiatique français comme celui d’une des journalistes et présentatrices les plus en vue de sa génération. Visage familier de CNews, aux commandes d’émissions incisives comme “Les voix de l’info” ou “Midi News”, elle incarne une présence à la fois calme et charismatique, disséquant l’actualité politique avec une précision redoutée. Mais derrière cette façade de confiance et de succès professionnel se cache une histoire bien plus complexe, un voyage marqué par une profonde tristesse, des défis identitaires déchirants et une lutte intérieure que peu de téléspectateurs peuvent deviner.

Née à Tunis en 1977 d’un père tunisien et d’une mère française, Sonia Mabrouk a grandi à la croisée de deux mondes, deux cultures, deux identités. Et c’est précisément à cette intersection que se niche ce qu’elle a admis être sa plus grande tristesse : une solitude profonde, un sentiment persistant de n’appartenir complètement nulle part.

En Tunisie, où elle a passé ses premières années, elle a été bercée par les valeurs musulmanes traditionnelles, les contes de sa grand-mère et la chaleur des repas méditerranéens. Un cocon culturel qu’elle a dû quitter. L’arrivée en France a été un choc. La jeune Sonia s’est retrouvée confrontée à une société où son origine nord-africaine la plaçait, trop souvent, dans le prisme des préjugés. Elle a confié plus tard ce sentiment d’être une “étrangère dans son pays d’adoption”, un endroit où les questions incessantes sur ses origines devenaient des barrières à son affirmation.

Cette tristesse n’était pas seulement un vague sentiment de déracinement. C’était une pression constante, le fardeau de devoir prouver, encore et toujours, sa légitimité et sa capacité à réussir dans une société encore gangrenée par les préjugés raciaux et religieux. Une douleur sourde qui n’a fait que s’intensifier lorsqu’elle a choisi d’entrer dans l’arène médiatique.

L’industrie des médias, un domaine où l’apparence et l’expression sont jugées avec une intensité impitoyable, est devenue son nouveau champ de bataille. En tant que femme, et qui plus est, en tant que femme d’origine tunisienne évoluant dans un secteur largement dominé par les hommes blancs, elle a dû affronter les regards suspicieux et les commentaires désobligeants. Certains collègues, par des sous-entendus cruels, laissaient entendre que son succès n’était dû qu’à son “apparence remarquable” plutôt qu’à son talent ou à ses efforts acharnés.

Ces mots, bien que jamais dits publiquement à l’époque, ont laissé des cicatrices invisibles. Elle a raconté ces nuits, seule dans son petit appartement parisien, à se demander si elle était vraiment à la hauteur, si elle avait la force de tenir bon dans ce monde qui semblait la scruter avec tant de méfiance. La lutte n’était pas seulement contre les critiques externes, mais aussi contre cette voix intérieure qui la forçait à concilier ses deux identités sans se perdre elle-même.

À cette blessure identitaire s’est ajoutée une perte personnelle d’une violence inouïe : la mort de sa mère. Sonia Mabrouk, d’ordinaire réservée sur sa vie privée, a laissé entrevoir la profondeur de ce chagrin. Sa mère, une Française forte et inspirante, avait été son roc, lui enseignant la résilience et l’estime de soi. Son décès a laissé un “vide incompressible”, la plongeant dans une nouvelle forme de solitude, celle de continuer son parcours sans son guide le plus cher. Elle a décrit ces moments déchirants, debout devant le miroir, cherchant l’image de sa mère en elle-même et ne trouvant que des larmes silencieuses.

Pourtant, c’est peut-être de ces fêlures qu’elle a tiré sa force la plus impressionnante. Sa carrière est un véritable parcours de combattante. Diplômée de l’IHEC et de la Sorbonne, elle a commencé comme journaliste indépendante, écrivant des articles perspicaces sur les relations économiques et politiques entre la France et les pays du Maghreb. Son talent a été rapidement repéré. En 2008, elle rejoint D8, puis en 2010, c’est la consécration avec CNews.

C’est là qu’elle brille. Sa capacité à poser des questions pointues, à naviguer les débats politiques les plus houleux avec un calme olympien, fait d’elle une intervieweuse respectée et redoutée. Ses face-à-face avec des figures majeures comme Emmanuel Macron, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon démontrent non seulement sa connaissance profonde des dossiers, mais aussi sa capacité à rester maîtresse d’elle-même dans les situations les plus tendues. Elle est saluée pour son approche neutre, mettant la vérité au premier plan, quitte à s’attirer les foudres des deux côtés de l’échiquier politique.

Car sa carrière n’a pas été un long fleuve tranquille. Sa position unique, en tant que femme d’origine tunisienne, l’a souvent placée au cœur des controverses, notamment sur ses commentaires concernant l’islam et l’immigration. Elle s’est retrouvée prise en étau : certains téléspectateurs la jugeaient trop dure envers la communauté musulmane, tandis que d’autres la critiquaient pour ne pas l’être assez. Un débat qu’elle a animé sur l’interdiction de la burqa a provoqué un véritable tollé, déchaînant des vagues de commentaires haineux l’accusant de partialité.

Ces critiques l’ont blessée, elle qui s’est toujours efforcée de maintenir une perspective équilibrée. Il y a eu des jours où, face au déferlement de commentaires malveillants, à la distorsion de ses propos, elle s’est demandé si le jeu en valait la chandelle.

Ce que le public ne voit pas, ce sont les “efforts qui font pleurer”. Sonia Mabrouk est une travailleuse acharnée. Elle a raconté ces nuits blanches, passées à relire des rapports et des articles jusqu’à 3 heures du matin, terrorisée à l’idée de faire la moindre erreur lors d’une interview en direct. Lorsque son émission “Les voix de l’info” a reçu un prix télévisuel, ses larmes n’étaient pas seulement de joie. C’était le relâchement deannées de pression, la libération d’un poids immense.

Cette vulnérabilité, elle a finalement choisi de l’embrasser. En 2021, elle publie “Éloge de l’hypersensibilité”. Le livre est un voyage personnel et émotionnel, une exploration de cette sensibilité qui a façonné sa vie et sa carrière. Elle a admis avoir écrit certains chapitres “en larmes”, en faisant face à ses vieux démons, à ses souvenirs de doute et à ses moments de faiblesse. Oser parler de son hypersensibilité dans une industrie qui valorise la dureté était un acte de courage immense.

Aujourd’hui, Sonia Mabrouk ne se contente pas d’être une journaliste. Elle se voit comme un “pont”. Forte de sa double culture, elle aspire à utiliser sa position pour jeter des ponts entre les communautés, pour aider à réduire les préjugés et les malentendus qui fracturent la société. Elle veut que son public non seulement écoute, mais réfléchisse, questionne et recherche la vérité, même si celle-ci est inconfortable.

Elle continue également d’écrire, non plus seulement pour analyser la politique, mais pour préserver les valeurs de tolérance et de résilience que sa grand-mère lui a transmises. Elle espère inspirer la jeune génération, et en particulier les femmes qui, comme elle, luttent pour trouver leur place. Le succès de ses livres, traduits et étudiés dans les écoles, prouve que sa voix porte bien au-delà des plateaux de télévision. Sonia Mabrouk n’est pas seulement un visage de l’info ; elle est une penseuse, une auteure, et une voix essentielle dans le dialogue français.