« Trop faible » : Jordan Bardella met le feu aux poudres sur l’assistanat et le plan à 15 milliards pour limiter les aides aux Nationaux


Article: Le fossé se creuse entre la « France du travail » et une partie du pays que les ouvriers, les artisans et les entrepreneurs estiment être la « France de la paresse ». C’est le malaise profond, et désormais explosif, que Jordan Bardella, président du Rassemblement National, tente de cristalliser au centre du débat public avec la sortie de son ouvrage Ce que veulent les Français. En listant les attentes et les frustrations d’une vingtaine de Français « qui se lèvent tôt et ne comptent pas leurs heures », l’eurodéputé pose une question simple, mais dévastatrice : notre modèle social est-il devenu un piège qui pénalise l’effort et la méritocratie ?

L’analyse de M. Bardella est cinglante et résume le sentiment d’une grande partie de la population active. Selon lui, le différentiel entre le travailleur et celui qui ne travaille pas est « trop faible dans notre pays ». En résulte une sensation d’injustice fiscale où une « trop grande partie » des revenus est reversée à un État jugé « confiscatoire », laissant le sentiment à ceux qui contribuent de « porter sur leurs épaules les efforts de toute la société ». La question des aides sociales, et de leur conditionnement, devient ainsi un enjeu non seulement économique, mais moral et identitaire.

L’édito de Patrick Cohen met en lumière cette tension, mais révèle surtout la ligne de faille idéologique qui traverse le Rassemblement National. Entre une rhétorique anti-assistanat, chère à la droite, et la prudence sociale de Marine Le Pen, désireuse d’éviter la « guerre des pauvres contre les pauvres », le parti tente de maintenir un équilibre délicat. Cet article décrypte la double stratégie du RN, entre mesures sociales et économiques fortes pour revaloriser le travail et une proposition de préférence nationale aux conséquences budgétaires spectaculaires.


« Le travail rapporte à peine plus que de ne rien faire » : Le malaise de la France ouvrière

Jordan Bardella s’appuie sur le témoignage de la France qui souffre. Dès l’ouverture de son livre, il cite Bernard, un marin pêcheur de Sète qui travaille jusqu’à 95 heures par semaine et déplore que le fruit de son labeur acharné rapporte « à peine plus que de ne rien faire ». Ce constat, récurrent chez l’agriculteur François qui se « crève à la tâche pour des clopinettes » pendant que d’autres « passent leur vie au RSA », est au cœur de la stratégie de conquête du RN.

Le discours est clair : il ne s’agit pas d’attaquer les victimes des « accidents de la vie », pour lesquelles le modèle social français doit rester protecteur. Il s’agit de dénoncer l’abus et l’injustice structurelle qui découle d’une fiscalité jugée excessivement lourde sur le travail, et d’un système d’aide qui, par effet de seuil, annihile la motivation de l’effort. Pour M. Bardella, c’est un « combat permanent » qu’il faut mener contre « la paresse » et l’« assistanat », un terme qu’il utilise, contrairement à Marine Le Pen.


La Contradiction du RSA : Contrepartie contre Précarisation

Le Revenu de Solidarité Active (RSA) cristallise la contradiction du Rassemblement National. Face au projet de loi visant à conditionner le versement du RSA à 15 heures minimum d’activité, les deux figures du parti ont affiché des positions politiquement différentes, bien que justifiées a posteriori par une même prudence.

Marine Le Pen, par le passé, a voté contre ce conditionnement, dénonçant l’idée générale selon laquelle les bénéficiaires du RSA seraient des « profiteurs qui ne veulent pas travailler ». Pour l’ancienne candidate à la présidentielle, le RSA ne permet pas de vivre, et l’idée de pointer du doigt ses bénéficiaires revient à organiser une « guerre des pauvres contre les pauvres ». Cette posture vise à protéger une base électorale issue des classes populaires, souvent en difficulté, et qui peut légitimement avoir recours aux aides sociales.

De son côté, Jordan Bardella, tout en reconnaissant que le RN a voté contre cette proposition spécifique, se dit d’accord sur le fond : « il faut des contreparties aux prestations sociales de ce type qui sont versées. » Le bémol qu’il apporte est d’ordre technique : il faut éviter que les bénéficiaires du RSA, contraints à l’activité, ne soient utilisés par les employeurs pour « précariser le travail », en recourant à eux au lieu de proposer de vrais contrats stables.

Cette divergence – MLP axée sur l’évitement du clivage social, JB sur le principe de la contrepartie – révèle les deux courants du parti. Mais l’objectif final reste le même : revaloriser l’effort et le mérite sans aliéner les couches sociales les plus vulnérables.


La Proposition Choc : 15 Milliards d’Euros de Générosité Retirés aux Étrangers

La mesure la plus significative et la plus radicale de la plateforme sociale du RN ne concerne pas les Français, mais les étrangers. Jordan Bardella souhaite « réserver cette générosité du modèle social français » aux « seuls nationaux ».

L’argument est purement financier, au-delà de l’enjeu identitaire. Selon les chiffres du parti, ces aides sociales non-contributives (celles qui ne nécessitent pas d’avoir cotisé pour y avoir droit) versées aux étrangers représentent « au bas mot, 15 milliards d’euros par an » (un chiffre supérieur à l’estimation de 12 milliards de l’Institut Montaigne). Pour M. Bardella, il s’agit d’un levier absolument nécessaire pour « remettre de l’ordre dans les comptes de l’État ».

En focalisant la critique sur les dépenses sociales au bénéfice des non-nationaux, le Rassemblement National réaffirme son principe de préférence nationale. L’idée est de réduire drastiquement la dette sociale, que le directeur de la BPI, Nicolas Dufourcq, chiffre aux deux tiers de la dette publique, et de libérer des marges de manœuvre financières pour la « France du travail ».


Libérer la richesse et réformer les retraites : L’emploi des jeunes en ligne de mire

Le plan pour la « France du travail » ne s’arrête pas à la restriction des aides. Il passe par des mesures visant à revaloriser les salaires et à stimuler l’emploi.

Jordan Bardella reprend une idée déjà défendue par Marine Le Pen : celle d’exonérer les employeurs de cotisations patronales sur une augmentation de 10 % des salaires. Cette mesure vise à donner aux patrons qui le souhaitent la possibilité de faire un « geste » pour leurs salariés sans pénaliser leur compétitivité. L’objectif est de rendre le salaire net plus attractif et d’améliorer concrètement le pouvoir d’achat.

En parallèle, le RN cible un autre mal français : l’entrée trop tardive des jeunes sur le marché du travail. M. Bardella déplore que le premier emploi stable ne soit atteint qu’à 27 ans en France, contre 23 ans en Allemagne. Ce retard de plus de trois ans représente des « points de PIB en moins » et, surtout, des « cotisations en moins » pour le système de retraites. C’est dans cette incapacité à avoir plus d’actifs pour cotiser que réside, selon lui, le « cœur du déficit sur les retraites ».

Quant à la réforme des retraites d’Élisabeth Borne, elle est fustigée pour son injustice sociale. M. Bardella, qui cite sa mère (aide-soignante, forcée de travailler jusqu’à 62 ans et six mois) comme témoin de cette injustice, estime que la réforme a pénalisé ceux qui avaient commencé à travailler très tôt. Sa philosophie est l’inverse : ce sont ceux qui ont commencé à travailler plus tard qui devraient travailler plus longtemps. Affichant une position de rupture frontale avec le gouvernement, il maintient que le RN votera contre les budgets de l’État et de la Sécurité sociale, refusant toute « négociation perdue » avec les macronistes, même en échange de suspensions pour certaines générations.

En conclusion, la stratégie de Jordan Bardella et du Rassemblement National est celle d’un redressement économique et social par la discipline identitaire. En dénonçant l’écart « trop faible » entre les revenus du travail et ceux des aides, le parti cherche à capter le vote d’une classe laborieuse épuisée par la pression fiscale. La promesse de 15 milliards d’euros d’économies par la préférence nationale est la clé de voûte financière de ce projet, visant à la fois à libérer l’investissement dans le travail et à donner un signal fort que l’effort et la contribution à la nation seront désormais les seuls critères de légitimité pour bénéficier de la solidarité française. Reste à voir si le parti parviendra à tenir cette ligne en évitant le piège de la « guerre des pauvres ».